Intermède syndical - Les doubles identifications

Un petit texte pour nous changer de la Loi 2Avez-vous remarqué le nombre de codes d’accès qu'il nous faut utiliser pour pouvoir fonctionner en médecine? Récemment, le DMÉ que j'utilise s'est doté d’un système à double identification pour assurer la sécurité des données informatiques. Ce qui fait que pour pouvoir avoir accès aux dossiers, je dois non seulement indiquer mon nom d’utilisateur et mon mot de passe (qu’il me faut changer à tout bout de champ), mais aussi inscrire un numéro d'identification généré par un boulier électronique, lequel m’envoie une série de chiffres sur un authentificateur externe. Or, pour obtenir ce numéro qui change à toutes les 30 secondes, il me faut ouvrir mon cellulaire qui, lui aussi, me demande mon nom d’utilisateur, mon mot de passe et une double identification basée sur ce même système de boulier externe. Comme je travaille dans différents milieux cliniques, je n’arrête pas de devoir entrer et réentrer mes divers noms, mots et codes pour pouvoir exercer. Ça n’en finit plus. Mais, comme si ce n’était pas suffisant, il me faut aussi entrer d’autres codes pour continuer: code pour faire mes prescriptions électroniques, code pour insérer ma signature électronique et code pour faxer à la pharmacie. Code aussi pour consulter OACIS, code pour le Conseil Numérique et code encore pour la télédermatologie. Quant à la clé DSQ, gare aux erreurs, car après cinq tentatives infructueuses, le système crashe et ma clé devient aussi caduque que les messages adressés à Ethan Hunt dans Mission impossible. Et puis, c’est encore le même stratagème pour communiquer avec la FMOQ, le CMQ, la RAMQ ou Xacte. Même pour lire Profession Santé, il me faut m’identifier!Évidemment, je sais bien qu’il existe des gestionnaires de noms d’utilisateur et de mots de passe, mais croyez-vous que je sois assez stupide pour mettre toutes mes informations personnelles sur une seule et même application électronique? Si Desjardins a réussi à dilapider toutes nos informations personnelles sur le dark web de façon si cavalière, je suis convaincu que n’importe quel petit pirate informatique puisse aisément s’approprier tous mes secrets, même ceux que j’ai oubliés et ceux que j’ignore.J’en fait même des cauchemars…Tenez, hier j’ai rêvé que j’allais au paradis et que je rencontrais Saint-Pierre. J’étais dans une grande salle qui ressemblait à une salle d’attente d’une urgence bondée. Il y avait là plein de monde pour un seul et unique médecin en fonction. Le pauvre homme était surveillé par des inspecteurs. À toutes les 15 minutes, une sonnerie se faisait entendre indiquant que le docteur devait, fini pas fini, passer au suivant. Pourtant l’afficheur qui indiquait le nombre de personnes en attente marquait toujours 999. Il y avait aussi des surveillants qui scrutaient le travail du médecin, évaluant son anamnèse, son examen physique, ses diagnostics différentiels et son jugement clinique au moyen de caméras fixées aux plafonds des salles d’examen. Au mur, la photo géante du commissaire aux plaintes des usagers invitait les insatisfaits et les mouchards à déposer leurs griefs dans la grande boîte prévue à cette fin installée sous sa photo.J’observais le bon Saint-Pierre qui écrivait d’une longue plume d’oie les noms des entrants. Le Saint homme était assis à une grande table et vérifiait l’identité des postulants qui demandaient à aller au Ciel. C’était un bel homme d’un âge avancé. Une belle tête, les cheveux tout blancs, une grosse barbe, une figure débonnaire. Il ressemblait à Yves Lambert, le chanteur de folklore, mais aussi Yves Lambert, mon ami médecin de famille décédé des complications de la COVID. L’homme me semblait au-dessus de son poids. J’estimais son IMC à 35 kg/m2, son tour de taille supérieur à 102 cm – il devait porter du 42 peut-être même du 44. Je me disais que le bon Saint-Pierre devait sûrement être diabétique, dyslipidémique, hypertendu et arthrosique, et peut-être même souffrir d'insuffisance cardiaque non restrictive et d'apnée du sommeil, et qu’il aurait gagné à prendre de l’Ozempic ou du Mounjaro. Vous savez, lui disais-je, l’Ozempic et le Wegovy, c’est du pareil au même, du sémaglutide commercialisé sous deux noms différents; tout comme le Mounjaro et le Zepbound, qui sont tous les deux du tirzépatide. Un vieux truc de compagnies pharmaceutiques pour faire encore plus d’argent. Y a-t-il de ces vendeurs du temple là-haut?Arrive donc mon tour. Le bon Saint-Pierre me demande alors mon nom d’utilisateur et ma date de naissance. Je fais une erreur sur cette dernière. Faut dire, à ma décharge, qu’à ma naissance, le curé du village qui m’a baptisé s’est trompé sur mon baptistère: il a inscrit la date de la journée précédente. De telle sorte que toute ma vie durant, j’ai eu deux dates de naissance, celle inscrite sur mon baptistère et celle indiquée sur mon certificat de naissance.Ce n’est pas grave, me dit Saint-Pierre, pour vérifier votre identité, je vais simplement vous demander de répondre à trois questions auxquelles vous avez précédemment répondues:Quel est le nom de l’école que vous fréquentiez au primaire?Et me voilà bien embêté. Avais-je indiqué «Ste-Thérèse-de-l’immaculée-Conception-du-Très-Saint-Rédempteur», avec ou sans accent, avec ou sans majuscule, avec ou sans tiret?Quelle est la marque de votre première automobile?Pas plus facile non plus. Cela fait bien longtemps. Était-ce le vieux Chevrolet Biscayne 1966 que mon père m’a donné, rendu à 160 000 milles, les pneus à fesse, le plancher défoncé, ou la Vega 1971 que mon beau-frère m’a vendue en prétendant qu’elle était en parfait état?Quel était votre sport préféré au secondaire?Pas simple non plus. Au Collège, j’arrivais de la campagne. Je n’avais pratiqué aucun sport. Par contre, j’étais excellent pour conduire le tracteur (le meilleur du comté à ce qu’on dit) et pour tirer les vaches, mais je doute que ce soit ce que j’avais précédemment indiqué? Le ping-pong peut-être.Erreur. Faux. Niet.Je me voyais bien mal pris. Exclu du paradis pour faute d’identification.Saint-Pierre me dit alors:Ne vous en faites pas, nous allons simplement utiliser la double identification…Mais Saint-Pierre, lui répondis-je, je ne peux pas… J’ai oublié mon cellulaire sur Terre!Sur ce je me suis réveillé, perdu dans l’univers, encore à la recherche de mon identité.

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Derrière ce blogue:

Roger Ladouceur

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