Infirmière: le débat sur le baccalauréat obligatoire refait surface

Doit-on rendre le baccalauréat obligatoire pour les infirmières au Québec? Ce débat vieux qui date de plus de 25 ans a été relancé la semaine dernière par la publication du rapport des commissaires sur les états généraux de la profession infirmière. Ce rapport de 104 pages, qui représente l’aboutissement d’un exercice de six mois et de la consultation de 106 avis et mémoires, est clair: le baccalauréat doit être obligatoire pour exercer la profession d’infirmière. «Les connaissances se sont développées et les problèmes de santé se sont complexifiés, alors il faut rehausser la formation. La profession infirmière est la seule profession de la santé à ne pas avoir vu sa formation être rehaussée», a expliqué Francine Ducharme, la commissaire qui a coécrit le rapport avec Robert Salois, l’ancien commissaire à la santé et au bien-être du Québec. Ces dernières années, les autres provinces canadiennes et une majorité de pays francophones ont rendu le baccalauréat obligatoire pour les infirmières. Au Québec, même s’il n’est pas obligatoire, le diplôme universitaire a néanmoins la cote chez ces futures professionnelles. En effet, 59% des diplômés continuent leur parcours scolaire à l’université au terme de leur formation collégiale. De plus, en 2020-2021, c’est une infirmière sur deux qui était détentrice d’un baccalauréat. Si le baccalauréat devient la norme, le cheminement scolaire serait de cinq ans plutôt que trois. Deux choix s’offriraient aux étudiants: le DEC-BAC (technique infirmière pendant ans ans au CÉGEP et deux ans à l’université) qui est déjà offert, ainsi que la formation générale au CÉGEP combinée à trois ans d’université. Les commissaires prévoient que des mesures transitoires de cinq ans seront nécessaires avant l’imposition de cette nouvelle norme. Aussi, les infirmières qui sont déjà en pratique profiteront d’une clause dite «grand-père» et n’auront donc pas à retourner sur les bancs d’école. Valoriser le savoir féminin La conclusion du rapport a réjoui l’Ordre des infirmières et des infirmiers du Québec (OIIQ), qui milite depuis des années pour le baccalauréat obligatoire. Selon l'ordre professionnel, ce rehaussement de la formation permettrait aux infirmières d’avoir les compétences requises pour donner des soins sécuritaires. «Actuellement, des domaines de connaissance ne sont pas vus au collégial, par exemple, les soins critiques, la traumatologie, des situations d’urgence, les soins à domicile, le travail en collaboration interprofessionnelle, explique le président de l’OIIQ, Luc Mathieu. Des jeunes gradués qui sont envoyés aux soins intensifs n’ont jamais été exposés à ces soins. Ce n’est pas réjouissant pour la qualité des soins aux patients.» Si le gouvernement n’a jamais instauré cette mesure, malgré la complexité grandissante des cas, c’est avant tout parce que cette profession est féminine, avance Luc Mathieu. «C’est comme si le savoir féminin, plus particulièrement celui lié aux soins, n’était pas très valorisé. On postule que l’infirmière, pourvu qu’elle soit gentille et qu’elle ait un peu de formation, peut faire le travail». Le Collège des médecins en faveur En plus de l’OIIQ, plusieurs autres organisations et établissements ont récemment demandé le rehaussement de la formation. En mai, lors des États généraux de la profession infirmière, plusieurs CISSS et CIUSSS, le CHU Sainte-Justine, l’Association des conseils des infirmières et infirmiers du Québec, entre autres, l’ont fait. De plus, le Collège des médecins du Québec (CMQ) s’est prononcé en faveur pour la première fois. «Pour le Collège, il est clair que cette formation doit être universitaire, sinon les compétences acquises ne pourront être optimisées et les infirmières ne pourront jouer pleinement le rôle auquel la population du Québec est en droit de s’attendre au 21e siècle», indique le CMQ dans son mémoire. Sans mentionner le baccalauréat obligatoire, la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec estime de son côté qu’«avec l’évolution des connaissances, le nombre grandissant de patients atteints de maladies chroniques et le développement important des traitements, les infirmières doivent se doter de règles de formation de très haut calibre». Contre le baccalauréat obligatoire Longtemps farouchement opposée au baccalauréat obligatoire, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) se fait maintenant discrète sur le sujet. Dans son mémoire déposé en mai, la FIQ ne fait aucunement mention de la formation. De plus, l’organisation syndicale qui compte 76 000 membres a refusé une demande d’entrevue avec ProfessionSanté.ca qui souhaitait avoir sa réaction à la publication du rapport. Néanmoins, d’autres organisations qui s’opposent au baccalauréat obligatoire, poursuivre leurs revendications. Mercredi, en réaction au rapport des commissaires, une coalition de six organisations, dont cinq du domaine de l'éducation, a tenu une conférence de presse pour demander à ce que le «débat stérile» sur la formation infirmière cesse. Elle a également réclamé que le ministère de l’Enseignement supérieur entreprenne la révision du programme offert dans 46 des 48 cégeps. «Le caractère qualifiant du DEC en Soins infirmiers doit être renforcé plutôt que constamment remis en question», a affirmé la présidente de la Fédération des enseignantes et enseignants du Cégep, Lucie Piché. De son côté, le président-directeur général de la Fédération des cégeps, Bernard Tremblay, estime que rendre le baccalauréat obligatoire dans le contexte actuel du manque de main-d'oeuvre dans les hôpitaux «relève de l’inconscience». Celui-ci rapporte que dans un sondage mené par la Fédération dans les cégeps au printemps dernier, auprès de la population étudiante inscrite en Soins infirmiers, 44% des 3500 répondants n’auraient pas choisi la profession si le baccalauréat avait été obligatoire. «Ce serait un bien mauvais choix que de décourager celles et ceux qui veulent actuellement exercer la profession alors que les conditions de travail sont aussi exigeantes», lance-t-il. Force d’attraction Les commissaires Francine Ducharme et Robert Salois ne font toutefois pas la même évaluation. Selon eux, le fait de rehausser les normes d’entrée à la profession aura un effet d’attraction. «Lorsque le baccalauréat est devenu obligatoire en Alberta et en Colombie-Britannique, le nombre d’inscriptions a augmenté de 45% et 60% respectivement», indique le commissaire Salois. Luc Mathieu abonde dans le même sens. «L’impact de cette mesure a permis de faire augmenter de façon considérable le nombre de diplômés», observe le président de l’OIIQ. Par ailleurs, les commissaires proposent que les étudiantes puissent prêter main-forte dans les hôpitaux après leur diplôme collégial en Soins infirmiers. Ces étudiantes auraient un statut de résidente, comme il existe en médecine par exemple. Ce statut permettrait au diplômé d’effectuer certaines tâches et atténuerait ainsi les risques de pénurie.

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