«Il subsiste une grande méconnaissance du rôle de l'IPS dans le réseau» – Chantal Fortin

Les infirmières praticiennes spécialisées (IPS) sont moins d'une centaine au Québec, alors qu'elles sont près de 2000 en Ontario.Les réserves du Collège des médecins à l'égard de cette nouvelle profession de la santé ou le manque de vision politique sont parfois cités comme des éléments ayant contribué au retard du Québec à ce chapitre.Pourtant, les IPS estiment qu'elles pourraient grandement contribuer à améliorer l'accessibilité aux soins de santé, en plus de prodiguer des soins d'une très grande qualité.Leur faible nombre freine-t-il leur implantation dans les établissements de santé? Les IPS peuvent-elles réellement améliorer l'accessibilité aux soins de santé?Profession Santé a posé ces questions à Chantal Fortin, infirmière praticienne spécialisée en néphrologie à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont et présidente de l'Association des infirmières praticiennes spécialisées du Québec (AIPSQ).Étant moins d'une centaine, les IPS ont-elles du poids dans le réseau?De plus en plus. Au début, notre association ne comportait que sept membres! Six ans plus tard, nous en avons près de 120, incluant les finissantes.Ceci étant dit, il subsiste une grande méconnaissance du rôle de l'IPS dans le réseau de la santé en ce qui a trait à ses capacités de prise en charge des patients.Même le rôle contemporain des infirmières bachelières est parfois mal compris. Imaginez alors celui des IPS! Qu'est-ce qui distingue l'IPS du médecin et de l'infirmière?L'approche globale des soins de l'IPS. Comme elle suit un nombre plus limité de patients, elle peut leur consacrer plus de temps, notamment pour faire de la prévention ou promouvoir la santé.L'IPS établit aussi un lien avec les autres professionnels de la santé et les proches du patient, ce qui lui permet de comprendre sa dynamique familiale.Quel serait le rapport professionnel idéal entre l'IPS et le médecin?L'IPS est une professionnelle autonome, qui partage certaines activités médicales avec un autre professionnel autonome: le médecin. L'idéal serait donc un rapport de collaboration.Là où il peut y avoir une certaine ambiguïté, c'est que les lignes directrices prévoient que le directeur médical d'un établissement s'assure des actes médicaux posés par les IPS.L'objectif n'est pas de créer une hiérarchie entre les médecins et les IPS, mais plutôt de s'assurer que la qualité des actes posés soit équivalente.Comment se déroule l'intégration des IPS dans les établissements?À titre d'exemple personnel, les deux premières années à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont ont été plus difficiles. Il fallait évaluer la portée du rôle des IPS en néphrologie et établir les activités médicales qu'elles peuvent effectuer sans rendre les médecins mal à l'aise.Aujourd'hui, les médecins néphrologues ne pourraient plus se passer de nous. Notre présence a permis de diminuer le temps d'attente de trois mois en néphrologie générale. Les néphrologues peuvent donc se concentrer sur des activités où leur expertise est essentielle.En première ligne, l'intégration des IPS est-elle plus difficile, notamment à cause de considérations financières des médecins?Dans les cliniques médicales, la rémunération des médecins de famille a certainement été l'un des obstacles majeurs à l'intégration des IPS en soins de première ligne.L'entente1 conclue par la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec et le gouvernement, l'été dernier, permet, selon moi, d'amoindrir l'impact financier qu'aura pour les médecins la prise en charge de certains patients par les IPS.Les IPS peuvent jouer un rôle essentiel afin d'accroître l'accessibilité aux soins de première ligne en rencontrant une part importante de patients dont le dossier médical est considéré comme plus léger.Par exemple, elles contribuent au suivi des enfants de 0 à 5 ans sans médecin de famille ou à celui des personnes âgées souffrant de maladies chroniques. Elles peuvent aussi effectuer des visites à domicile.En Ontario, il existe plusieurs cliniques d'IPS en soins de première ligne. Ce modèle devrait-il être implanté au Québec?Actuellement, ce serait impossible. D'abord parce que cela nécessiterait des changements législatifs afin de permettre cette pratique, mais aussi car les IPS de première ligne ne sont pas assez nombreuses.En revanche, dans un contexte où la pratique serait libéralisée, où les IPS seraient plus nombreuses et acceptées par la grande majorité des médecins, cela serait tout à fait possible et pertinent.Toutefois, je ne suis pas sûre que je verrai cela se réaliser durant ma carrière! Il y a des IPS en Ontario depuis plus de 20 ans et l'apparition de ces cliniques est assez récente. Au Québec, il y a des IPS en soins de première ligne depuis trois ans seulement...Le modèle ontarien est-il meilleur que le modèle québécois?Pas nécessairement. Un article récent faisait état de tensions entre des IPS et des médecins, malgré tout le recul historique qu'ils ont.Mais comme les IPS sont implantées en Ontario depuis plus longtemps, leur modèle de pratique est mieux compris par les autres intervenants.Quels sont les principaux défis à relever pour les IPS québécoises?La formation, l'implantation, l'intégration et la rétention sont des aspects à améliorer. C'est un défi considérable pour les infirmières qui ont déjà quinze ans de pratique de se lancer dans une pareille démarche, pour un salaire qui ne sera pas si élevé.Des médias ont récemment fait mention du taux d'échec inquiétant des IPS à l'examen de certification de l'OIIQ. Quelle est votre opinion?Ce taux d'échec reflète le manque de standardisation des programmes de formation entre les facultés de sciences infirmières. Le taux d'échec varie grandement d'une université à une autre. Dans un cas, ce taux était de 40 %, tandis qu'il était de moins de 10 % dans une autre.Comme les universités ont dû créer leurs programmes rapidement, elles n'ont pas eu le temps de s'assurer qu'ils étaient standardisés. Par ailleurs, elles manquent de professeurs et de ressources pour garantir un bon encadrement dans les milieux de stage.L'examen de certification, rédigé avec l'approbation du Collège des médecins, est-il trop difficile? Est-il un frein à la profession ou un gage de qualité?Notre association est très à l'aise avec l'examen de certification. Si l'examen n'était pas assez sévère et que des erreurs étaient commises par les IPS, les patients en paieraient le prix, ce qui n'aiderait pas la profession. Il faut surtout travailler à améliorer les programmes de formation.Doit-on prioriser la création d'autres spécialités IPS ou l'implantation des IPS actuelles?Il faut consolider les conditions des IPS actuelles, car les défis sont très nombreux. Les conditions de travail, notamment, représentent un facteur important pour encourager des infirmières à devenir IPS. Pour le moment, le salaire des IPS est calculé en fonction du salaire des infirmières bachelières. Or, leur pratique est très différente.Une autre difficulté, c'est que les établissements n'ont pas de budget autonome pour l'embauche d'IPS. Les emplois ne sont que partiellement subventionnés par l'État. Les établissements doivent payer le reste.L'oncologie est cependant une spécialité où les besoins de la population sont grands. Assurons-nous de ne pas brûler les étapes afin de l'implanter correctement.L'entente1 prévoit une rémunération maximale pour les médecins de 30 000 $ pour le temps qu'ils consacrent à discuter avec les IPS de l'état de santé de leurs patients. Un autre montant de 30 000 $ est octroyé à la clinique pour les frais d'installation d'une IPS.Chantal Fortin recommanderait-elle à une collègue ou à une étudiante de devenir IPS?Chantal Fortin a gradué comme infirmière en 1997. Après avoir travaillé dans plusieurs unités hospitalières, dont les soins intensifs et en chirurgie, elle s'est découvert un vif intérêt pour la néphrologie. Elle fait partie de la première cohorte d'IPS à avoir gradué au début des années 2000.Près d'une dizaine d'années plus tard, avec tous les défis mentionnés lors de l'entrevue, recommanderait-elle à une collègue infirmière ou à une étudiante de devenir IPS?«Malgré les problèmes que j'ai mentionnés, je recommanderais n'importe quand le fait de devenir IPS, car c'est une pratique vraiment intéressante. J'apprécie le défi intellectuel quotidien que représente la profession, ainsi que le lien privilégié que je noue avec mes patients.»

«Il subsiste une grande méconnaissance du rôle de l'IPS dans le réseau» – Chantal Fortin

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