Il n’y a pas de quoi rire: le gaz hilarant pour traiter la dépression

Bien que le surnom de «gaz hilarant» évoque quelque chose de réjouissant, ce n'est que récemment qu'il a été pris au sérieux pour aider à traiter les dépressions résistantes aux traitements.En effet, le protoxyde d'azote est l'un des nombreux anesthésiques qui suscitent l'enthousiasme en matière de prise en charge de la dépression. Le protoxyde d'azote, la kétamine, le propofol, le sévoflurane et l'isoflurane font tous l'objet d'études sur leur rôle possible dans la dépression clinique. La kétamine est déjà utilisée à cette fin dans de nombreux établissements.Concernant le recours aux anesthésiques pour traiter la dépression, «la kétamine est actuellement la rock star, mais l'oxyde nitreux est très prometteur», affirme la Dre Beverley Orser, anesthésiste et professeure de médecine à l'université de Toronto, coauteure d'un article publié dans la revue Anesthesiology à propos des médicaments d'anesthésie générale utilisés pour traiter la dépression.Les médicaments anesthésiques sont prometteurs pour de multiples raisons – c’est pourquoi ils ne sont pas toujours envisagés pour cette indication. Il est intéressant de noter qu'ils ciblent des récepteurs cérébraux différents de ceux ciblés par les antidépresseurs actuels.En général, les antidépresseurs (y compris les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine) ciblent le système des monoamines. Ils «prennent généralement des semaines ou des mois pour agir et sont associés à des effets indésirables qui réduisent l'adhésion au traitement», écrivent les chercheurs dans leur article.À lire aussi: Mise à jour des lignes directrices pour la prise en charge de la dépression chez l’adulteLes anesthésiques, dont la kétamine et le protoxyde d'azote, agissent principalement en bloquant le N-méthyl D-aspartate (NMDA), ce qui entraîne une perte de conscience et une analgésie – bien qu'ils ciblent également d'autres récepteurs. Mais la dysrégulation du système NMDA peut contribuer aux troubles de l'humeur et à l'anxiété, ce qui indique l'existence de liens possibles entre l'anesthésiologie et la psychiatrie.«Actuellement, on ne sait pas si les propriétés antidépressives des agents anesthésiques généraux résultent d'une seule voie commune ou de plusieurs mécanismes différents. Tous les médicaments anesthésiques modifient généralement l'équilibre entre l'excitation et l'inhibition dans le système nerveux central, et des changements régionaux dans l'équilibre entre l'excitation et l'inhibition ont été décrits dans le contexte du trouble dépressif majeur», précise l'article.Tout a commencé avec la kétamine, découverte en 1956. Longtemps utilisée pour la sédation et le traitement de la douleur, ce n'est qu'en 2000 qu'elle est apparue comme un traitement possible de la dépression. Dans le cadre d'un petit essai contrôlé par placebo, sept patients souffrant de troubles dépressifs majeurs (TDM) ont reçu une dose unique de placebo ou une faible dose de kétamine.Les résultats ont surpris tout le monde. Non seulement l'état des patients ayant reçu de la kétamine s'est rapidement amélioré, mais l'effet s'est prolongé pendant plusieurs jours. Depuis, de nombreux essais ont été menés, l'utilisation de la kétamine pour le traitement de la dépression majeure s'est relativement répandue et, en 2019, la FDA a approuvé l'eskétamine pour le traitement de la dépression. Santé Canada a également approuvé ce médicament en 2020 pour le traitement des TDM.L'eskétamine est une version intranasale de la kétamine qui est associée à un antidépresseur oral classique. En raison de ses effets indésirables, son approbation exige qu'elle soit administrée dans un cadre clinique restrictif où les patients sont sous surveillance médicale. «En raison des risques reconnus qui sont associés à son utilisation, l'eskétamine n'est disponible que dans le cadre d'un programme de distribution contrôlée», indique ainsi Santé Canada. Mais en Grande-Bretagne, le NHS, département de la santé, a refusé de l’autoriser en raison des inquiétudes suscitées par les effets secondaires possibles. «Ce qui est clair, c'est que ces médicaments ont des propriétés antidépressives rapides mais prolongées, qui persistent longtemps après l'élimination du médicament et de ses métabolites. Mais ce qui est tout aussi intéressant, c'est qu'ils ne semblent pas avoir le même effet sur un cerveau normal et sain», observe la Dre Orser. Ils pourraient ne pas être aussi efficaces chez les personnes souffrant d'une dépression plus légère.Cela conduit également à penser que «quelque chose est déréglé dans la dépression, et que les médicaments viennent corriger une erreur. C'est très intéressant parce que les médicaments donnent aussi des indications sur la biologie du dérèglement qui cause la dépression», ajoute-t-elle auprès du Medical Post et Profession Santé.À lire aussi: Quels sont les antidépresseurs de première intention qui font le plus grossir?L'existence d'effets durables des médicaments a bouleversé certaines idées traditionnelles en anesthésiologie, comme la croyance selon laquelle une fois qu'un médicament anesthésique s'est dissipé, il est éliminé du cerveau et celui-ci revient à son état de base. Des études récentes montrent qu'il existe des effets à plus long terme, ainsi qu'un risque accru d'altérations neurocognitives, voire de démence, chez les patients âgés qui subissent une anesthésie générale.Qu'il s'agisse de gaz hilarant ou de kétamine, les médicaments doivent être traités avec respect en raison des divers risques associés à leur administration. Même si les doses sont nettement inférieures à celles utilisées pour l'anesthésie.«Ces médicaments doivent être prescrits par un médecin et ne doivent être administrés qu'à des patients sélectionnés par un psychiatre dans un environnement où ils peuvent être correctement surveillés et soignés», alerte la médecin.Plusieurs études ont examiné l'oxyde nitreux comme antidépresseur. Deux essais portant sur des patients souffrant de TDM ont montré qu'un traitement unique d'une heure par protoxyde d'azote entraînait une réduction rapide et significative des scores de dépression par rapport au placebo. La Dre Orser a également participé à un essai contrôlé randomisé en double aveugle dirigé par le psychiatre Benjamin Goldstein de l'Université de Toronto, dans lequel le protoxyde d'azote inhalé à faible dose a été comparé au midazolam intraveineux chez des patients souffrant de dépression bipolaire. L'imagerie par résonance magnétique (IRM) simultanée à l'administration du médicament a permis d'examiner le flux sanguin dans le cerveau en tant qu'indicateur de la réponse au traitement. Les résultats ont montré une réduction significative des scores de dépression dans les deux groupes de traitement, mais une réduction plus importante de la sévérité de la dépression le jour même dans le groupe traité par oxyde nitreux. Cependant, les améliorations n'ont pas duré lors d'une évaluation sur 24 heures.À lire aussi: Mieux diagnostiquer la suicidalité grâce à ses sous-typesLes médicaments anesthésiques tels que la kétamine sont également utilisés pour traiter la douleur, ce qui pose la question de savoir si les voies impliquées dans la dépression sont également impliquées dans la douleur. Ou si la dépression peut être considérée comme une variante de la douleur physique.En effet, selon une infolettre de Harvard Health, «les personnes souffrant de douleurs chroniques ont trois fois le risque moyen de développer des symptômes psychiatriques, souvent des troubles de l'humeur ou de l'anxiété, et les patients dépressifs ont trois fois le risque moyen de développer des douleurs chroniques.»Le bulletin précise également que «la douleur, en particulier la douleur chronique, est un état émotionnel aussi bien qu'une sensation physique. C'est une expérience complexe qui affecte la pensée, l'humeur et le comportement, et qui peut conduire à l'isolement, à l'immobilité et à la dépendance aux médicaments.» Plusieurs antidépresseurs sont utilisés pour traiter la douleur.Bien qu'il reste encore beaucoup à apprendre, «il faut retenir qu'il s'agit d'un domaine vraiment passionnant», conclut la Dre Orser.

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