«Il est temps que les médecins se mettent au pas de la pratique collaborative» - Dre Jocelyne Sauvé

«Il est temps que les médecins se mettent au pas de la pratique collaborative. Qu’ils s’appuient sur les compétences distinctives des autres professionnels de la santé, dont les infirmières. Le médecin, seul, ne peut plus y arriver», indique à Profession Santé la Dre Jocelyne Sauvé, vice-présidente associée aux affaires scientifiques à l’Institut national de santé publique.«Notre réseau de santé doit se mettre à l’heure interdisciplinaire, car les professionnels ne se rencontrent pas. Or, personne n’est plus assez compétent pour travailler seul, dans un réseau d’une telle complexité», a-t-elle précisé en marge du Congrès 2014 de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, tenu à Montréal sous le thème La santé dans tous ses états. La Dre Sauvé y a présenté un bilan de santé des Québécois.Mais les médecins veulent-ils vraiment que les choses changent? «D’abord, beaucoup sont épuisés. Ensuite, oui, certains veulent changer, mais d’autres, non. Le jour où tous les médecins voudront que les choses évoluent, nous ferons un grand pas en avant», répond la Dre Sauvé.Et pour amortir le choc de l’impact à venir des changements sanitaires et sociodémographiques, il faudra, entre autres, selon elle, revoir les modes de rémunération des médecins. Ils reposent actuellement sur les volumes, alors qu’ils devraient plutôt prendre en compte la réalité des cas cliniques.Bilan sombre, mais…Devant des centaines d’infirmières, la Dre Sauvé a dressé un bilan plutôt sombre de l’état de santé de la population. Celui des soignants n’est guère plus reluisant, a-t-elle ajouté, le médecin évoquant, entre autres, la pénurie de main d’œuvre appréhendée dans toutes les catégories de personnel, l’épuisement dû à une adaptation constante, des technologies en retard. «Et que dire de l’état de nos finances!»Mais le Québec a bien des atouts en mains, poursuit-elle, en autant qu’il mise sur l’apport conjugué de professionnels compétents. Cela dit, il faut compter aussi avec le risque de démobilisation et le cynisme, selon elle, car «il manque en ce moment un souffle de mobilisation dans le réseau».En effet, si pour amener les gens à travailler ensemble, il faut fusionner les établissements, «alors, c’est tout le Québec qu’il faudrait fusionner! Là, on veut réformer des structures, mais si rien ne vient par la suite pour régler le problème d’accès aux soins, on n’est guère plus avancé. Il faut repositionner l’acte médical, et surtout, ne pas faire fi de ce qui a été fait de bon jusqu’ici, car avec chaque réforme vient la tentation de tout recommencer à zéro.»Des raisons d’espérerUne jeune infirmière dans la salle a demandé où étaient les raisons d’espérer pour la relève, sachant que d’ici quelques années, «la moitié des gens présents dans la salle seront à la retraite». Il est clair que c’est dans le rapprochement des gens, a répondu la Dre Sauvé. Et pour cela, il faut revoir les modes de dispensation des services et consolider le travail en réseau.«Personne n’est compétent seul, ni comme individu ni comme établissement», a-t-elle insisté. D’où l’urgence d’utiliser les compétences de tous les professionnels, d’instaurer une pratique collaborative, notamment avec des infirmières plus autonomes (actes délégués). «La solution réside donc dans les changements de mode de pratique, pas dans les structures. Si on ne fait rien pour modifier les pratiques, on s’en va dans le mur.»La main tendueLa Dre Sauvé donnait sa conférence peu après le passage du ministre de la Santé, Gaétan Barrette, au congrès de l’OIIQ. Elle s’est réjouie d'entendre que le Ministre voulait faire plus de place aux infirmières. «Il semble prêt à leur laisser du champ, à écouter leurs revendications historiques et à travailler au besoin contre les docteurs dans ce domaine. Historiquement en effet, les médecins n’ont pas été, disons, facilitants.»La Dre Sauvé a souligné l’importance de la «main tendue» par le Ministre. Une infirmière dans la salle s’est étonnée que «le ministre Barrette demande aux infirmières de faire un acte de foi.» Elle trouve étonnante aussi sa façon de procéder, qui consiste à nommer 28 PDG et à constituer ainsi une sorte de conseil des ministres parallèle pour gérer le budget de la santé, qui représente près de la moitié de celui du Québec.Une autre a rappelé combien il était difficile d’avoir accès aux médecins. «C’est ça le problème actuel, l’accès aux soins.» Une infirmière a évoqué les propos du ministre Barrette, qui cite en exemple certains organismes de soins américains, dont le Kaiser Permanente. Cela a fait réagir la Dre Sauvé. «Là-bas, les médecins, salariés, sont engagés dans la gestion, ils auto-critiquent leurs pratiques et ont des comptes à rendre. Au Québec, à ces chapitres, on n’en est encore qu’aux balbutiements.»Enfin, un infirmier d’expérience a dressé la liste des changements de structures qu’il a connus depuis 30 ans, sans grands impacts, selon lui, sur la qualité des soins: virage ambulatoire, fermeture d’hôpitaux, fusions d’établissements, mises à la retraite massives, entrée du privé, réformes successives, etc. Il a posé une question: «Peut-on simplement soigner les gens?»Il a été applaudi.Trois tendances, trois raisons de modifier les pratiquesDe l’avalanche de données fournies par la Dre Jocelyne Sauvé au Congrès 2014 de l’OIIQ, on peut en retenir trois qui militent pour un changement de pratique. Trois tendances qui auront un impact majeur sur la façon dont les soins seront dispensés :Allongement continue de l’espérance de vie, certes, mais comportant en moyenne 10 ans avec des incapacités. «On ne parvient pas à comprimer la morbidité, ce qui a des impacts sur la pratique»;Concomitance de deux phénomènes: hausse marquée du nombre de personnes de plus de 65 ans et hausse du nombre de personnes ayant des incapacités. Le tiers des plus de 65 ans prend au moins 3 médicaments par jour;Hausse continue des maladies mentales qui seront, en 2020, la 3e grande maladie chronique, selon l’OMS. Et les choses ne s’améliorent pas dans ce secteur.La Dre Sauvé a rappelé l’importance de réduire, en amont, les pressions exercées sur le système de santé. Et cela passe, pour l’essentiel, par la prévention. On connait très bien les trois grands facteurs de vie sur lesquels il faut agir énergiquement, dit-elle: lutter contre la sédentarité, améliorer l’alimentation et arrêter de fumer (24% des Québécois fument encore contre 16% en Colombie-Britannique).En cumulant ces trois saines habitudes de vie – et seulement 25% des Québécois le font -, on réduirait de beaucoup les risques de plusieurs maladies.À une époque où l’on se targue de pratiquer une médecine des données probantes, s’étonne la Dre Sauvé, il faut 17 ans, selon les études, pour passer de la connaissance d’une donnée probante à son application. «Peut-on s’arranger pour raccourcir ce délai?»Enfin, l’une des clefs d’une meilleure santé passe par la responsabilisation accrue des patients. En peu de temps en effet, le malade dépendant est devenu un «patient expert». Là, le rôle de l’infirmière est crucial, conclut la Dre Sauvé, notamment pour soutenir les autosoins.

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