IA en dermatologie: oui, mais pas à n'importe quel prix

Un peu plus tôt l'an dernier, le géant Google avait annoncé en grande pompe le lancement de son application utilisant l'intelligence artificielle pour identifier les conditions dermatologiques Derm Assist pour la fin 2021. Aujourd'hui en 2022, aucune nouvelle de cette application, un soulagement pour les dermatologues qui s'inquiètent des répercussions qu'elle pourrait avoir. Le but de l’application est simple: l’usager partage sur l'application trois photos de sa peau, cheveux ou ongles et répond à quelques questions. Grâce à la banque de données de l’application et à l’intelligence artificielle (IA), le diagnostic le plus probable parmi les 288 conditions reconnues par l’application est proposé. «Cet outil ne se veut pas être un outil diagnostic ou substituer un avis médical, puisque plusieurs conditions requièrent l’avis d’un clinicien, un examen en personne ou des tests supplémentaires tels qu’une biopsie», se défendait Google lors de l’annonce. En effet, le géant du web espère avec cette application outiller les patients à prendre une décision éclairée sur la nécessité de consulter ou non. Si l’application devait être lancée vers la fin de 2021, elle n’est toujours pas disponible au pays ni même aux États-Unis. Contacté à ce sujet, Google n’a pas voulu préciser à quel moment l’application sera lancée et, surtout, si elle sera disponible au Canada et sous quelle forme. En effet, pour que l’application soit considérée comme un outil médical, Derm Assist doit d’abord être évalué par Santé Canada. Or, l’organisme fédéral a confirmé qu’aucune demande d’homologation d’instrument médical n’a été faite en ce sens jusqu’à présent. «Santé Canada a examiné les renseignements accessibles au public concernant cette application et ne dispose pas de suffisamment d’informations pour déterminer si elle peut être considérée comme un instrument médical au Canada. Une évaluation réglementaire en bonne et due forme serait nécessaire», a indiqué l'institution à ProfessionSanté.ca. Accueil mitigé Bien que Derm Assist ne prétend pas être une application d’autodiagnostic, la présidente de l’Association des médecins spécialistes dermatologues du Québec (AMSDQ), la Dre Dominique Hanna, est convaincue que les patients vont tout de même l’utiliser de cette façon, comme ils utilisent déjà Google Images. Bien qu’elle soit grandement en faveur de l’utilisation de la technologie en dermatologie, elle met tout de même des bémols sur la pertinence de cette application. Selon elle, la banque d’images est encore assez limitée. De plus, elles proviennent de patients qui n’ont jamais été vus par un dermatologue en personne. «Pour les cas de cancer, entre autres, il n’y a pas eu de corrélation et de confirmation avec une biopsie ou une chirurgie. Les dermatologues consultés se prononçaient à postériori sur les photos», critique la médecin. «Les études démontrent que les images servant à alimenter l'IA sont plus fiables si elles ont été faites à l'issue d'une consultation avec un dermatologue, que ce dernier est convaincu du diagnostic et, si c’est un cancer, qu'il a procédé à une biopsie pour le confirmer. Quand on fait le processus à l’envers, on risque d’être moins adéquat», ajoute-t-elle. Elle s’inquiète du fait que cette application ne soit pas assez précise et puisse créer un faux sentiment de sécurité chez certains patients. «Que se passerait-il si l’application manque un mélanome et que le patient ne consulte pas, car il croit que tout est normal?» se questionne la dermatologue. Le contraire pourrait aussi arriver, selon la Dre Hanna. Les patients pourraient être davantage inquiets après avoir consulté cette application et faire augmenter le nombre de requêtes en dermatologie. «À quoi bon avoir une application comme ça si on rassure faussement le patient ou si on engorge le système avec des inquiétudes inutiles? C’est un peu épeurant», croit la médecin qui ajoute que si l’accès aux services publics de dermatologie était plus facile, ce genre d’application ne verrait probablement pas le jour. Une initiative canadienne Cofondatrice de la clinique de dermatologie en ligne DermaGO, la Dre Emilie Bourgeault a aussi quelques réserves quant à l’application Derm Assist puisque, selon elle, les médecins auraient dû faire partie intégrante du développement de l’application. Par ailleurs, elle critique le fait que le patient qui consulte l’application n’a aucun encadrement ou de suivi médical par la suite. «Le patient se fait dire qu’il a du psoriasis par l’application par exemple, mais après il fait quoi?», se demande-t-elle. Depuis 2018, la Dre Bourgeault travaille au développement d'une plateforme d’aide diagnostic en dermatologie qui s’adresse aux professionnels de la santé de première ligne. La plateforme, Oro Health, bénéficie d'une base de données d’environ 50 000 images provenant des patients ayant consulté un dermatologue sur DermaGO. Oro Health se concentrera sur les 40 conditions de peau les plus communes en dermatologie, telles que l’acné, la rosacée ou le psoriasis. La particularité de cette plateforme d’intelligence artificielle En plus du diagnostic, elle fournira aussi un plan de traitement au professionnel de la santé qui l’utilise. «Le but est de fournir des outils concrets à la première ligne pour aider au diagnostic et au plan de traitement des conditions les plus communes en dermatologie. Le but n’est pas de remplacer les médecins, mais bien de leur donner un outil de plus pour augmenter l’efficacité, l’accès et le triage», explique la Dre Bourgeault. Elle espère ainsi observer une diminution du nombre de consultations en dermatologie pour les conditions mineures qui pourraient être prises en charge par les professionnels de première ligne. Pour aider à l’accessibilité aux soins dermatologiques, Dre Bourgeault croit qu’il ne faut pas perdre de vue que les dermatologues sont des médecins spécialistes. «Il y a beaucoup de méconnaissances encore sur les affections dermatologiques, donc les dermatologues finissent aussi par agir à titre de première ligne en dermatologie», dit la médecin. «D'un autre côté, la première ligne de soins se retrouve avec des cas de plus en plus complexes et finit donc par les référer à un spécialiste», ajoute-t-elle. Elle précise qu’il ne faut pas non plus sous-estimer l'importance de la prise en charge des conditions mineures en dermatologie, puisque celles-ci peuvent avoir un impact négatif chez des patients. D’où son désir de rendre sa plateforme accessible aux professionnels de première ligne. Aucune date officielle n’est encore déterminée pour le lancement de la plateforme Oro Health, qui sera disponible sur le site internet de Dermago. La Dre Bourgeault précise toutefois qu’elle souhaite obtenir l’homologation d’outil médical auprès de Santé Canada cette année.

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