Hémato-oncologie: «Une année misérabiliste à plusieurs égards»

Le président de l’AMHOQ, le Dr Martin Champagne.L’hémato-oncologie, pourtant un secteur priorisé par le gouvernement du Québec, a été durement éprouvée par la pandémie. Le président de l’Association des médecins hématologues et oncologues du Québec (AMHOQ), le Dr Martin Champagne, évoque «une année catastrophique» pour les patients. Pour ses membres aussi.Le délestage lors de la première vague a eu des effets très nocifs en hémato-oncologie. Les patients présentaient des maladies à un stade beaucoup plus avancé en raison des retards de diagnostic, diminuant du même coup les chances de succès de leurs traitements. «Il y a eu un sous-diagnostic des cas de cancers, déplore le Dr Champagne. On a connu beaucoup d’ennuis au niveau des bilans, des investigations, et plusieurs patients ont perdu des chances de guérison.»L’importance du contact avec les patientsIl y a quelques années, l’AMHOQ avait réalisé un sondage auprès de ses membres concernant différents aspects de leur pratique. Ce qu’il en ressortait comme la valeur la plus importante, c’était l’importance du contact avec les patients. Les hémato-oncologues tiraient une très grande satisfaction (95%) de cette relation en personne avec eux. Or, dit le Dr Champagne, ce contact a disparu en grande partie en 2020. «À plusieurs égards, résume le Dr Champagne, ce fut une année misérabiliste.»Il a été difficile pour ces médecins spécialistes de voir leurs patients se présenter tardivement après un diagnostic de cancer; certains ont tardé car ils craignaient de consulter, d’autres ont subi des délais dans l’investigation. «Cela a certainement affecté le moral des hémato-oncologues», ajoute-t-il.À lire aussi: Dommages collatéraux de la pandémie: une détérioration globale de la santé cardiaque est à prévoirÀ l’Hôpital de Verdun, où il pratique, même si sa spécialité était considérée comme un service essentiel, les activités en hémato-oncologie ont diminué de près de 30%. Les hémato-oncologues ont quitté l’hôpital pour aller donner des chimiothérapies extra-muros.Partout au Québec, les établissements ont confiné leurs unités d’oncologie et de chimiothérapie afin de protéger les patients. Un geste compréhensible, mais qui a eu pour effet de couper les hémato-oncologues de l’hôpital. Ils ne voyaient plus leurs collègues. «Cela a eu un impact organisationnel important», note-t-il.Les limites de la téléconsultationDans certains centres, le contact en personne avec les patients a diminué de 20 à 50 %. Les hémato-oncologues ont été forcés de faire beaucoup de dépistage par téléphone. D’emblée, les contacts sont presque constamment téléphoniques. «Certaines activités d’hémato-oncologie peuvent se faire par téléphone, précise le président de l’AMHOQ. Si un patient a tendance à saigner, le questionnaire va te mettre sur la piste et orienter ton bilan. Il y a des types de cancer que tu peux voir en images par internet. Mais un téléphone n’est pas approprié pour rassurer le patient atteint d’un cancer.»«Pour valider l’information, les termes, faciliter la compréhension, l’appel téléphonique n’est jamais aussi bon, et la capacité de rétention n’est pas très élevée quand tu donnes une mauvaise nouvelle, dit-il. Autrefois, on rencontrait le patient avec un de ses proches, mais nous sommes limités pour ce qui est des visiteurs. C’est plus de temps, plus d’attention, et c’est très exigeant. Même si nos cliniques sont plus petites en termes de volume, tu es aussi fatigué à la fin de ta journée, sinon plus, à cause de l’incapacité d’obtenir la compréhension de ton patient par téléphone et de valider cette information.»Répercussions sur les cancersHeureusement, il y a eu une priorisation des interventions chirurgicales pour les cas oncologiques. Les chirurgies se font donc rapidement. Mais là où le bât blesse, c’est avec le dépistage.En raison de la pandémie, les programmes de dépistage des cancers du sein et du côlon ont été suspendus. L’endoscopie n’a pas rattrapé le retard accumulé. Le prix à payer pour les retards diagnostiques sera important, prévient le Dr Champagne. Des épidémiologistes ont estimé que le risque de mortalité par cancer en raison des délais de diagnostics pourrait augmenter jusqu’à 10% par année pour les 10 prochaines années.Il croit aussi que les retards dans le diagnostic et le traitement des cancers imposera un fardeau supplémentaire en oncologie pendant plusieurs années. Les gens auront besoin de thérapies plus intenses, de plus d’interventions, de chirurgies plus importantes, et le risque de rechute sera plus grand puisque la maladie sera plus avancée.Les impacts financiers seront gros également : avec des cancers plus avancés, et davantage de rechutes, les budgets d’oncologie de la province ne pourront qu’en être plus affectés.L’autre grande crainte pour le Dr Champagne, et pas la moindre, c’est l’essoufflement du personnel si la crise devait perdurer ou s’accélérer, notamment en raison des départs, de la fatigue des hémato-oncologues et de la pénurie d’infirmières. Jamais il n’aurait imaginé que la COVID-19 aurait autant de répercussions pendant autant de temps quand elle a débarqué au Québec en mars dernier.

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