Faut-il faire le ménage dans les programmes de soutien aux patients?

Des patients obligés de prendre leurs médicaments dans certaines pharmacies de spécialité référées par des programmes de soutien aux patients (PSP) financés par des compagnies pharmaceutiques, des pharmaciens condamnés par leur ordre professionnel pour avoir donné des ristournes aux PSP en échange de clientèle… Ce système parallèle de distribution de médicaments de spécialité est connu, mais difficile à contenir. Une récente série d’articles d’enquête parue dans Le Devoir a, encore une fois, mis les PSP sur la sellette. Ces programmes, financés par des compagnies pharmaceutiques, prennent en charge des patients – 80 000 au Québec – dont le diagnostic demande un traitement onéreux, plus difficilement remboursable. Cette prise en charge par des professionnels de la santé permet non seulement un suivi médical, mais aussi un soutien financier pour le remboursement des molécules. En 2017, Amélie (prénom fictif) a eu un abcès sur l’intestin en raison d’une maladie de Crohn mal maîtrisée. Elle devait prendre des médicaments de spécialité, la rendant immunosupprimée. Elle a été inscrite à un PSP où on lui suggérait de faire préparer ses médicaments dans une pharmacie située à plus de 300 kilomètres de son domicile. «J’ai refusé que ça vienne d’une pharmacie d’ailleurs. J’ai acheté mon médicament à ma pharmacie dès la première dose. J’avais expliqué que quand je veux un steak, je ne l’achète pas à 300 km de chez moi; j’explique à mon boucher la coupe que je veux.» Amélie connaissait ses droits et les a fait valoir, mais ce n’est pas le cas de tous les patients. Une question d’éducation? Quand le patient connaît ses droits et sait qu’il peut choisir son pharmacien, cela peut contribuer à limiter ce système parallèle. Toutefois, c’est aux professionnels qu’incombe la responsabilité de respecter les règles, souligne Benoit Morin, président de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP). «C’est choquant qu’on doive éduquer un patient à faire attention à de mauvaises pratiques. Il est malade. Il n’a pas le contrôle. Il n’a pas à gérer le tirage de couverte. Ce n’est pas à lui de s’assurer que ses droits soient respectés. C’est à nous, professionnels, de nous en assurer», tempête-t-il, rappelant que l’AQPP continue de condamner ce modèle d’affaires. Pratique nord-américaine Le code de déontologie des pharmaciens du Québec est bien différent de ceux des autres provinces du Canada et des États-Unis. Ailleurs, les PSP sont monnaie courante et ils sont largement acceptés. «Les compagnies pharmaceutiques ont une façon de faire nord-américaine et ne voient pas la nécessité de s’adapter au marché québécois parce que ça ne semble pas causer de problème. Au Québec, le dirigisme est interdit. il faut respecter ce principe», affirme Benoit Morin. Le président sortant de l'OPQ, Bertrand Bolduc, reconnaît que le code de déontologie des pharmaciens du Québec est différent de celui des autres provinces canadiennes. «Au Québec, il faut être pharmacien pour être propriétaire d’une pharmacie. Ce n’est pas le cas dans les autres provinces. Dans d’autres provinces, les gestionnaires de PSP ont des pharmacies ou sont des pharmacies. Ça ne fonctionne pas au Québec», précise-t-il. Si Bertrand Bolduc estime que certains PSP respectent la réglementation québécoise, Benoit Morin se dit plus sceptique. «Les PSP qui fonctionnent sans pression sur le patient, c’est une minorité», affirme-t-il. Pas que les pharmaciens Dans ce dossier complexe, Bertrand Bolduc se désole que les instances représentant les pharmaciens fassent cavalier seul et que d’autres instances et le gouvernement ne condamnent pas les PSP qui enfreignent les règles québécoises. «On a du pouvoir sur les pharmaciens. On n’a pas de pouvoir coercitif sur les autres professions, sur Santé Canada, la RAMQ ou les compagnies pharmaceutiques, souligne-t-il. Nous essayons d’avoir de l’influence. J’ai fait des représentations auprès des compagnies pharmaceutiques pendant mon mandat afin de les sensibiliser sur le fait qu’au Québec, le code de déontologie assure au patient le choix de son pharmacien.» Le président de l’OPQ interpelle d’ailleurs d’autres ordres, comme l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec et le Collège des médecins du Québec à se pencher sur ce dossier. Le président de l’AQPP est du même avis. «Il faut condamner tous ceux qui participent aux stratagèmes qui privent les patients de leur choix de choisir leur pharmacien. Les autres professionnels doivent se questionner sur le rôle qu’ils jouent là-dedans», exige Benoit Morin. Une honnêteté clinique Les présidents de l’AQPP et de l’OPQ se questionnent sur l’honnêteté clinique des autres professionnels de la santé qui travaillent au sein des PSP. Pour Bertrand Bolduc, les professionnels de la santé ne peuvent plus être cliniquement objectifs lorsqu’ils travaillent pour un PSP. «Au-delà du fait que le patient ne peut pas choisir son pharmacien, on peut se poser ces questions: Quand le produit n’est plus le meilleur, est-ce que le suivi du PSP permet de reconsidérer le traitement? Si un patient a des effets indésirables ou que le médicament est inefficace, est-ce qu’il va être dirigé vers un autre traitement ou on va essayer d’ajuster la dose pour garder le patient dans le programme?» illustre-t-il. Benoit Morin, de l’AQPP, mentionne que la majorité des pharmaciens, avec les nouveaux actes délégués, peuvent prendre en charge les patients qui ont des médicaments de spécialité. Cependant, il arrive qu’«une infirmière du PSP refuse le médicament du patient parce qu’il provient de la pharmacie du patient» et non de celle proposée par le PSP. C’est d’ailleurs une inquiétude supplémentaire soulevée par les deux organisations. Une perte d’expertise Benoit Morin soulève l’importance de garder une expertise dans toutes les pharmacies communautaires québécoises. «Quand les médicaments de spécialité se concentrent dans certaines pharmacies, on s’ancre dans ce système. On crée la dépendance à ce réseau. Si j’ai des patients avec des médicaments de spécialité, je vais m’informer, je vais être à l‘aise avec de nouvelles molécules», expose le président de l’AQPP, ajoutant que le manque de concurrence fait aussi en sorte que les honoraires d’exécution pour ces ordonnances deviennent plus élevés pour un même produit. Bertrand Bolduc est d’avis que «les pharmaciens doivent choisir s’ils ont les compétences pour distribuer les médicaments». Pour lui, une pharmacie devrait pouvoir s’occuper de tous les médicaments d’un patient. «Si ce n’est pas possible, une pharmacie peut diriger un patient vers une autre en assurant le suivi et la prise en charge», explique-t-il. Bertrand Bolduc croit par ailleurs qu’idéalement, tous les médicaments devraient être disponibles chez tous les distributeurs, et que les pharmaciens pourraient choisir avec quel distributeur ils vont faire affaire. «Ce système fonctionne très bien pour la majorité des médicaments. Mais pour les médicaments de spécialité, le prix vient influer sur la façon de faire», ajoute-t-il. D’ailleurs, M. Bolduc n’adhère pas à l’argument que les médicaments de spécialité sont plus difficiles à entreposer. «L’enjeu est que les compagnies pharmaceutiques veulent optimiser les ventes! Le PSP aide les patients dans le remboursement. C’est ainsi que le PSP s’acoquine avec quelques pharmacies pour offrir des doses de compassion, par exemple», dénonce le président de l’Ordre. Il s’insurge aussi des conditions de vente de ces médicaments de spécialité. «On ne peut pas retourner un produit, même si la boîte n’est pas ouverte. On fait subir les risques aux pharmaciens. Pourtant, quand les médicaments ne sont pas chers, comme les génériques, les compagnies pharmaceutiques les reprennent. Cette pression économique sur les pharmaciens les mène à contourner les règles», affirme-t-il. Qui peut régler la question? Pour l’OPQ comme pour l’AQPP, ce dossier sera à suivre de très près dans les prochains mois. «À l’OPQ, on a le pouvoir de sanctionner les pharmaciens fautifs, mais chaque fois que l’un d’entre eux se fait sanctionner, un autre apparaît. Il faut corriger la situation à la source», croit Bertrand Bolduc. Les compagnies pharmaceutiques doivent respecter le code de déontologie des pharmaciens québécois, dit-il. À l’AQPP, on ne remet pas encore en doute l’appartenance de ces membres récalcitrants à l’AQPP, «mais ça amène une réflexion», soutient Benoit Morin. Nous ne sommes pas des régulateurs. L’AQPP est la seule habilitée à négocier des ententes pour les pharmaciens propriétaires. Je n’ai pas la légitimité d’empêcher un pharmacien d’occuper ses fonctions.» L’AQPP demande donc à la RAMQ et au ministère de la Santé de s’en mêler. «Il y a une loi qui n’est pas respectée. Il faut que le gouvernement s’implique dans le dossier. J’espère que la RAMQ inspecte les pharmacies de spécialité. Elle a le pouvoir et les ressources pour enquêter. J’espère que c’est en place, compte tenu de ce qu’on sait», relance-t-il. Pour l’AQPP, les enjeux économiques pour les Québécois sont importants. Avec les thérapies de plus en plus personnalisées, les médicaments de spécialité deviendront de plus en plus courants. «Ce n’est pas quelque chose de simple. Il y a de gros joueurs. Il ne faut pas laisser ça aller.»

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