Exposition - Un don de livres de médecins permet de faire revivre le passé

Quand Normand Trudel, bibliothécaire à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales, est arrivé dans la maison familiale des Provost, il a été étonné d’y découvrir plusieurs livres de médecine qui n’apparaissaient pas dans son fonds.«Rapidement, en feuilletant les livres, j’ai aperçu des ex-libris* et des notes manuscrites, et en voyant la mention « Montréal » suivie de dates du 18e siècle, j’ai su qu’il y avait là quelque chose d’important quant à la provenance de ces livres », relate le bibliothécaire. C’est que cette bibliothèque a été constituée par plusieurs générations de chirurgiens-médecins qui se sont transmis ces ouvrages du 18e siècle à nos jours.En faisant appel au bibliothécaire, la famille Provost ne savait pas trop quelle valeur pouvait avoir la centaine d’ouvrages qui constitue cette bibliothèque, mais pour M. Trudel, pas de doute, c’était la première fois qu’au Québec on entendait parler d’une collection familiale de cette ampleur.Non seulement elle est constituée d’une cinquantaine d’ouvrages ayant appartenu à des médecins qui exerçaient au temps de la Nouvelle-France, mais elle est aussi « un bel exemple de sauvegarde d’un patrimoine » préservé par une famille québécoise. De plus, au fil de l’inventaire, M. Trudel a constaté qu’il s’agissait en grande majorité de titres anciens que son établissement ne détenait pas.La bibliothèque du Dr Jean-Guy Provost lui a été transmise par son père qui, lui même, l’avait reçue en héritage de son propre père. C’est que, dans cette famille, on est médecin de père en fils. Et ce sont ses descendants, sa femme Marie-Andrée Desroches-Provost, et sa fille Anne, qui en ont fait don à la bibliothèque, les livres n’ayant évidemment plus vraiment de valeur médicale.Les bibliothécaires ont alors voulu mettre en valeur cette collection et sa découverte en organisant une exposition. « C’est une exposition intimiste qui célèbre la mémoire de médecins et de chirurgiens, pas des gens connus ou célèbres, mais des personnes ordinaires, maintenant oubliées et que nous faisons revivre », précise M. Trudel.Des ouvrages amassés au fil du tempsGrâce aux travaux du Dr Marcel J. Rhéault, les bibliothécaires ont pu identifier une dizaine de médecins à qui ont appartenu à un moment ou à un autre les livres de la collection Provost. Ce chirurgien, aujourd’hui à la retraite, a en effet rédigé une biographie des chirurgiens de la Nouvelle-France des 17e et 18e siècles.L’exposition est divisée en deux parties. La première retrace l’histoire de la collection Provost, depuis sa constitution, au 19e siècle, jusqu’à sa donation, en 2011. La seconde permet de remonter le temps jusqu’aux médecins qui ont exercé en Nouvelle-France.C’est le grand père du Dr Jean-Guy Provost, le Dr Louis-Roi Provost, qui a rassemblé deux bibliothèques en une. Il a en effet acquis ses premiers ouvrages au moment où il a commencé à exercer à Boucherville, quand il a repris le cabinet d’un certain Dr Rémi-Claude Weilbrenner. Et c’est en achetant la maison d’un autre médecin, le Dr Guillaume-Ernest Roy, qu’il a complété sa bibliothèque.Ce Dr Roy avait un frère, également médecin, mort beaucoup plus jeune, vers 40 ans, qui avait, semble- t-il, une certaine passion pour les livres de médecine anciens. On ne sait pas trop s’il hérita ses livres de sa femme, elle-même petite fille de médecin, ou s’il les acheta. Toujours est-il que le Dr Jean-Baptiste-Hercule Roy réunit 24 ouvrages ayant appartenu à des chirurgiens de la Nouvelle-France et sur lesquels il apposa son propre ex-libris.À cette époque, il était en effet d’usage, quand on achetait un livre, denrée aussi rare que précieuse, d’y écrire son nom. Les bibliophiles, comme le Dr Jean-Baptiste-Hercule Roy, faisaient quant à eux imprimer des étiquettes à leur nom. De son côté, le Dr Weilbrenner possédait plutôt des livres contemporains.Même si la bibliothèque du Dr Provost ne contient que sept ouvrages ayant appartenu à ce dernier médecin, les bibliothécaires pensent qu’il en avait beaucoup plus puisqu’il s’était fait imprimer un ex-libris avec un emplacement pour la numérotation des ouvrages. Le Dr Weilbrenner avait en sa possession plusieurs ouvrages ayant appartenu à d’autres médecins (les Drs Stubinger, père et fils, Vignau et Berthemet) qui exercèrent tous à Boucherville à un moment donné de leur vie ou connurent des chirurgiens y ayant exercé.Bref, tous ces livres permettent de relier entre eux des médecins et des chirurgiens qui sont venus exercer en Nouvelle-France et ont apporté avec eux des ouvrages dont ils se servaient très probablement.Des ex-libris qui parlent aux chercheurs« En examinant attentivement les titres, on a découvert beaucoup d’ex-libris de médecins. On sait cela grâce au Dr Marcel Rheault, un chirurgien, aujourd’hui à la retraite, qui a fait un travail d’historien et réalisé la biographie des chirurgiens de la région de Montréal aux 17e et 18e siècles », indique M. Trudel.Il poursuit : « Sur le plan historique, ces ouvrages nous ont permis de faire plusieurs découvertes sur la façon dont certains chirurgiens sont venus exercer en Nouvelle-France. On a aussi pu confirmer l’existence de certains d’entre eux et même vérifier dans un cas que nous avions affaire à un père et son fils, tous deux porteurs du même nom et du même prénom, mais parfois indiqués respectivement “pater” ou “fils” dans les ex-libris.« Il est aussi amusant de voir que si certaines préoccupations et façons de faire en matière de santé ont traversé les âges – bandages, traitement des maladies vénériennes – , il n’en va pas de même pour certains traitements comme la saignée ! »Outre la collection du Dr Jean-Guy Provost, la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales de l’Université de Montréal contient plusieurs milliers de livres de médecine, des plus récents aux plus anciens remontant à l’Antiquité, soit quelque 120 000 documents au total.« Nous avons aussi la bibliothèque Léo-Parizeau. Une collection extraordinaire sur l’histoire des sciences et de la médecine. Tous les ouvrages importants qui ont marqué l’histoire de la pensée scientifique sont sur nos rayons, de Newton à Galilée en passant par les pères de la médecine », souligne M. Trudel.On peut ainsi y consulter les traités de Galien et d’Hippocrate, ainsi que les ouvrages de deux pères fondateurs de la médecine moderne : Ambroise Paré pour la chirurgie et André Vésale pour l’anatomie. Également, les ouvrages de William Harvey, médecin et physiologiste anglais du 17e siècle, le premier à avoir décrit le mécanisme de la circulation du sang.Visionnez le diaporama de l'expositionCertains livres ont un côté plus anecdotique, notamment quand ils traitent des remèdes populaires de l’époque. Le grimoire Le Petit Albert, par exemple, succès d’édition en son temps – pratiquement chaque famille en avait un exemplaire – contenait entre autres « des moyens d’éviter différentes incommodités et des moyens pour les personnes et les chevaux d’avancer vite et sans fatigue » !Saint Albert le Grand, savant théologien et professeur d’université, aurait probablement été surpris de découvrir ce qu’on lui attribua comme prose (ses écrits auraient peut-être inspiré la rédaction de ce grimoire). Reste que ses ouvrages ont probablement eu plus d’impact qu’on ne le pense. Tolkien, médiéviste averti, avait sûrement lu Les Secrets du Petit Albert dans lequel figurait la recette de fabrication d’un anneau d’invisibilité, recette assortie d’une mise en garde contre ses risques d’accoutumance...Bon à savoir : en plus de laisser les visiteurs toucher leurs précieux grimoires et autres anthologies, les bibibliothécaires de la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales organisent des ateliers et des visites sur différentes thématiques.« Notre bibliothèque patrimoniale a une mission de préservation, mais aussi de diffusion. Et comme nous n’avons pas des millions de visiteurs, nous pouvons permettre un accès privilégié aux documents », souligne M. Trudel.La Bibliothèque reçoit donc régulièrement des groupes avec qui elle partage ses trésors ou, plus simplement, permet à un visiteur de lire l’un de ses ouvrages, pour la plupart en français.* Un ex-libris est une marque apposée à l’intérieur des livres pour en indiquer le propriétaire.

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