Euthanasie: Au-delà de la rigidité et du paternalisme

Dans L’actualité médicale du 27 février dernier, Michel Dongois interroge la Dre Catherine Dopchie, oncologue belge et responsable d’une unité de soins palliatifs. Elle ne pratique pas l’euthanasie et s’y oppose, ce qui n’est pas inéluctable, surtout en Belgique où la Fédération des soins palliatifs de Flandre reconnaît la légitimité de l’euthanasie1. Son discours rejoint pour l’essentiel celui des porte-paroles des soins palliatifs et autres opposants d’ici, par sa rigidité et son paternalisme.La Dre Dopchie est justifiée de faire preuve de vigilance. Par contre, les jugements qu’elle porte sur les dérapages présumés commis par des collègues et dont elle ignore tout des détails cliniques et de la relation patient/médecin manquent de rigueur. Et s’il s’agissait d’une seule différence de valeurs morales entre les siennes et les leurs ?Elle n’affiche qu’une opinion péjorative des directives anticipées, lesquelles «facilitent la vie des soignants», dit-elle, ce qui n’est qu’un bénéfice secondaire de cette pratique, le but premier étant d’assurer au patient un respect de ses valeurs et d’éviter à sa famille des décisions pénibles et de conséquence lourde pour lesquelles elles ne sont pas préparées.Notre Assemblée nationale a accepté à l’unanimité la suggestion de la Commission Mourir dans la dignité de les rendre contraignantes par respect pour les patients. Très fréquemment, l’un des éléments de ces directives émane d’un altruisme par amour des proches, une notion et un mot absents du discours de la Dre Dopchie, alors que les confirmations abondent depuis deux décennies qu’il s’agit d’un motif (ne pas être un fardeau) parmi les plus fréquemment invoqués dans les demandes d’euthanasie, et ce, bien avant la douleur mal soulagée. La philosophe M. Battin met en garde contre le rejet irréfléchi de cet altruisme d’une valeur profonde chez les mourants2.«Vouloir à tout prix abolir la souffrance, c’est abolir le souffrant»… «Avant, nous pouvions être tenaces, persévérants, continuer à chercher avec le patient des moyens de vivre.» Avec l’accord du patient bien sûr, il y va du modus operandi incessant de toutes les disciplines médicales. Mais s’entêter dans la ténacité alors que le patient souffre et dit ne plus vouloir continuer, c’est imposer l’agenda du soignant, alors que c’est celui du patient qui devrait prévaloir.La Dre Cicely Saunders conviait sans cesse à rencontrer les patients sur leur terrain et non sur le nôtre, et l’Honorable Jean-Louis Baudouin affirmait : «Le premier devoir du médecin n’est plus de sauver la vie à tout prix, mais de respecter la liberté de choix de son patient3 .»Cette invitation de la Dre Saunders et de l’Honorable Baudouin ne touche guère la Dre Dopchie, puisque, dit-elle, «respecter la volonté de quelqu’un ne me suffit pas». Elle précise: «C’est la personne dans toute sa réalité qu’il me faut respecter.» Que reste-t-il à un mourant qui a tout perdu, sauf sa dernière volonté qu’on méprise ? Ce paternalisme est désolant, que CS Lewis a décrit comme «la plus oppressive des tyrannies, imposées au nom du bien de ses victimes4». Plus grave ici, puisque c’est davantage pour le bien-être de la soignante…La Dre Dopchie a droit à ses valeurs et à ses croyances. Mais au nom de quel principe peut-on s’arroger le droit de les imposer à d’autres, par surcroît vulnérables? La Dre Saunders encore : «Quelles que soient nos croyances, on ne doit jamais les imposer à une autre personne, surtout pas à quiconque dépend de nous5.»La Dre Dopchie reconnaît pourtant qu’il existe des «situations cliniques exceptionnelles», mais pour éviter l’embarras, elle s’empresse d’enfiler avec «Pour les autres il y a l’angoisse…» Restons-en aux «situations cliniques exceptionnelles» dont elle n’ose parler. Voici ce que le sociologue/théologien Jacques Grand’Maison en dit : «J’ai toujours cherché la solution la plus humaine, d’où mon refus de m’enfermer dans l’opposition "totalement pour ou totalement contre". On ne peut à la fois reconnaître la complexité et la diversité des situations limites et se prêter à une logique univoque, qu’elle soit médicale, juridique, morale ou religieuse. Par exemple, la définition de l’euthanasie comme un meurtre en toutes circonstances méconnaît la possibilité qu’il y ait là un geste humanitaire, alors que l’absolutisation du caractère sacré de la vie peut se prêter à des postures inhumaines6.»Pourquoi ne parvient-on pas - comme son collègue de Flandre, le Dr Marc Desmet, jésuite et médecin en soins palliatifs -, à établir une relation «d’autonomie-en-lien», laquelle lui permet de tenir la main, jusqu’à la fin, de ceux de ses patients qui optent pour ce choix (avec la collaboration d’un collègue consentant), tout en respectant la droit de diverger d’opinion ?Ne pas respecter la volonté lucide d’un mourant, absolutiser contre son gré sa survie, dans une longue inconscience, fût-ce par amour, ne peut jamais être la solution la plus humaine. Ce n’est pas non plus être fidèle à la pensée de la Dre Saunders.«Qu’y a-t-il de plus indigne que de devoir livrer de longues batailles légales contre la puissance de l’État pour obtenir la permission de mourir dignement7.»Marcel Boisvert, md RÉFÉRENCES1BERNHEIM, J. Development of palliative care and legalisation of euthanasia : antagonism or synergy? BMJ 2008 ;336:364.2BATTIN, M. P. The Eclipse of Altruism in The Least Worst Death, Oxford University Press, 1994, p 40-57.3BAUDOUIN, J.-L. Rapport de synthèse Ass’n H. Capitant, Journées suisses, juin 2009, p. 12-17.4LEWIS, C.S. Cité par Eike-Henner W. Kluge dans Commission sénatoriale spéciale sur l’euthanasie, 1994, fasc. #2 p. 10.5SAUNDERS, Cicely M. The Management of Terminal Disease, Londres, Edward Arnold, 1re édition, 1978, p.4.6GRAND’MAISON, J. «Euthanasie sur demande : pour la solution la plus humaine», Culture et Foi, déc. 2010, p. 3-5, 7.7SAMEK, R. «Euthanasia and Law Reform», Ottawa Law Review, 1984 ; 17 :86-117.

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