Étiquettes dans les pots de médicaments: une pratique dangereuse?

Lorsque François Bayzelon a récupéré une ordonnance à sa pharmacie il y a quelques années, il s’est alarmé de voir que l’étiquette thermique détaillant le contenu était placée à l’intérieur même du flacon. Aujourd’hui à la retraite, l’homme est bien placé pour qualifier la pratique d’inquiétante puisqu’il est le fondateur et l’ancien président-directeur général d’ETI Converting Equipment, une société de Longueuil qui conçoit les machines servant à fabriquer les étiquettes thermiques autocollantes. Lorsqu’il a fait part de ses inquiétudes à sa pharmacie quant aux risques que cette étiquette pouvait représenter pour la santé, il a senti qu’il dérangeait et n’était pas pris au sérieux. «C’est selon moi un non-sens de mettre l’étiquette directement à l’intérieur du pot. Une étiquette autocollante, comme son nom l’indique, est faite pour être collée. C’est toujours conçu pour être placé à l’extérieur», affirme l’homme d’affaires. Étude récente Une récente étude appuie d’ailleurs son propos. En effet, des chercheurs de l’Université McGill ont découvert que les composés chimiques de certaines étiquettes thermiques traversent la pellicule plastique qui recouvre les aliments et contaminent la nourriture. Ils ont publié les résultats de leurs travaux dans la revue Environmental Science and Technology. Le quotidien La Presse a rapporté la nouvelle, ce qui a soulevé des questionnements chez plusieurs pharmaciens quant à leur pratique, notamment sur la page Facebook «Pharmaciens et pharmaciennes du Québec (membre OPQ)», qui compte plus de 9000 membres. Ces étiquettes sont couramment utilisées, par exemple sur les emballages alimentaires, les colis postaux ou encore sur les flacons des médicaments d’ordonnance. Elles comportent de nombreux composants chimiques dont le bisphénol S (BPS), qui a remplacé le bisphénol A (BPA), une substance chimique industrielle considérée dangereuse car elle est un perturbateur endocrinien. «On réalise de plus en plus que, d’un point de vue toxicologique, les effets des deux composants comportent des risques qui sont similaires, et sont tous les deux des perturbateurs endocriniens, affirme Stéphane Bayen, l’un des auteurs de l’étude. Il faut qu’on arrête de remplacer une substance chimique par une autre sans l’avoir totalement testée et être sûr que c’est sécuritaire pour le consommateur et non potentiellement plus toxique.» L’Agence européenne des produits chimiques a par ailleurs ouvert une consultation l’an dernier pour étudier le BPS et examiner la possibilité de l’ajouter sur la liste des substances dites «extrêmement préoccupantes». Pourtant, ces étiquettes thermiques sont, au Québec, en contact direct avec les médicaments. «Est-ce qu’il y a une raison de mettre cette étiquette à l’intérieur du pot? Si c’est simplement pour gagner du temps, il n’y a aucune utilité à faire cela en comparaison aux risques potentiels d’un contact sur un élément ingéré», lance le chercheur. François Bayzelon indique de son côté qu’aucun des composants de l’étiquette, que ce soit le papier, la colle, le silicone ou même l’encre, n’est approuvé comme étant sécuritaire pour le contact alimentaire direct. «Le papier dorsal jaune ou blanc sur lequel l’étiquette est collé est en contact pendant des mois avec le papier thermique lorsqu’il est enroulé autour de la bobine. Or, c’est cette partie contaminée qui touche directement les médicaments. C’est épouvantable», dénonce-t-il. Il ajoute que cette partie est faite pour être jetée après qu’on a décollé l’autocollant pour le coller sur une surface, et que c’est même indiqué sur la fiche technique du produit. Comme ces étiquettes ne sont pas destinées à un usage strictement réservé en laboratoire, elles ne sont donc pas soumises aux mêmes normes élevées d'hygiène. «Les bobines d’étiquettes vont sous les comptoirs, où il y a de la poussière, comme elles ne sont jamais censées être en contact avec les aliments. C’est juste en pharmacie que l’on fait cela. Mettre les étiquettes dans les pots revient à prendre les pilules, les mettre par terre et les remettre dans les contenants», illustre-t-il. Manque flagrant de données Si on sait que le BPS migre dans les aliments, on ne sait pas si c’est le cas avec les médicaments, déplore Stéphane Bayen. On ne sait pas non plus quelle quantité pourrait avoir des effets néfastes sur la santé, ni quelle durée d’exposition est plus critique ou si certaines formes de médicaments sont plus vulnérables que d’autres à une contamination (comprimés secs, gélules, etc). «Ce n’est pas impossible que les composants toxiques entrent dans le médicament. Les mécanismes sont complexes et on ne les connaît pas encore assez. Pourquoi le faire alors qu'on n'a pas de preuve que c’est sécuritaire?» s’interroge l’expert. Il ajoute qu'on ignore même quelle barrière serait suffisante pour bloquer la migration du BPS. Par exemple, le plastique plus épais des flacons empêche-t-il pleinement la contamination ? De son côté, François Bayzelon ne croit pas que d’apposer l’étiquette sur l’extérieur du pot de médicaments pose problème puisqu’il s’agit d’un plastique assez épais. Dans tous les cas, il rappelle l’importance de suivre les recommandations des fiches techniques. «Ce n’est pas l’étiquette thermique le problème. C’est la mauvaise utilisation de celle-ci qui l’est. Même si on changeait la sorte d’étiquette, il ne faut pas plus la mettre à l’intérieur du contenant si ce n’est pas sécuritaire pour le contact alimentaire.» Réaction de l’OPQ Mis au courant de cette situation, l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) a réagi à l’étude de Stéphane Bayen aujourd’hui en indiquant que la recommandation de l’Ordre est, et ce depuis 1999, de placer les étiquettes sur les flacons et non pas à l’intérieur. «Cette pratique constitue la meilleure façon d’assurer une identification permanente du contenu, tout en étant plus hygiénique. Cette récente étude renforce d'autant plus cette recommandation», peut-on lire dans la communication.

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