Entrevue-bilan: Après 20 ans à l’AQPP, Normand Bonin tourne la page

Normand Bonin a quitté la présidence de l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) le 21 novembre dernier, 20 ans après y avoir fait ses débuts comme administrateur et dix ans après avoir été élu pour la première fois à la tête de ce syndicat professionnel. Entrevue-bilan avec un homme qui s’est toujours présenté comme un défenseur des intérêts économiques et professionnels des pharmaciens propriétaires.Connu pour son franc-parler et fidèle à ses convictions même dans l’adversité, Normand Bonin a été un négociateur redoutable durant les 20 années au cours desquelles il a siégé au conseil d’administration de l’AQPP. À titre de responsable de la négociation et ensuite de président de l’AQPP, Normand Bonin a négocié avec six ministres de la Santé ainsi qu’avec les autres partenaires des pharmaciens propriétaires, dont les médecins et les assureurs privés. Au fil des ans, il a toujours fait valoir l’importance de la contribution des pharmaciens propriétaires aux soins des Québécois et le fait que cette contribution mérite une juste rémunération.Bien que la profession de pharmacien se transforme rapidement avec l’élargissement de ses activités cliniques, Normand Bonin se fait un devoir de rappeler que la distribution des médicaments représente le cœur de la pratique des pharmaciens et que cela sera le cas encore longtemps.L’actualité pharmaceutique l’a rencontré le 22 novembre dernier. Il avait appris la veille que la salle de réunion des bureaux de l’AQPP porterait son nom, une attention de son successeur, Jean Thiffault.Quelle est la réalisation dont vous êtes le plus fier après 20 ans au conseil d’administration de l’AQPP, dont 10 à titre de président ?Je suis surtout fier de toutes les négociations entreprises par l’AQPP avec les différents ministres de la Santé que j’ai côtoyés au fil des ans. Nous avons été en mesure de leur faire valoir l’importance que les pharmaciens soient bien rémunérés pour ce qu’ils font. Je pense notamment aux opinions pharmaceutiques et aux piluliers.Plus précisément, j’ai de bons souvenirs des discussions avec le ministre péquiste Jean Rochon, à la fin des années 1990, sur nos honoraires découlant de la circulaire Malades sur pied, qui transférait dans nos pharmacies plusieurs médicaments que l’on trouvait auparavant dans les hôpitaux.Il y avait aussi les discussions corsées avec Pauline Marois au tournant des années 2000 sur la communication interactive — le nom qu’on donnait alors au traitement en temps réel par la Régie de nos demandes de paiement.Bien qu’il ait été celui par qui l’histoire des rabais volumes est arrivée, j’ai aussi eu beaucoup de plaisir à négocier avec Philippe Couillard, qui était un ministre de haut calibre. Je suis déjà sorti d’une réunion en me disant qu’il nous avait eus ! Cet homme-là avait une grande maîtrise de ses dossiers et il était très habile.Serait-ce exact d’affirmer que les épisodes de négociations avec le ministère de la Santé étaient ce qui vous animait le plus à l’AQPP ?Oui, car j’ai travaillé avec des gens d’une classe à part, tant au sein de l’AQPP qu’à l’extérieur. C’était pour moi une source constante d’apprentissage. Dans le cas des ministres, il est important de faire la distinction entre la personne et le poste. On pouvait parfois s’affronter, mais j’ai toujours eu beaucoup de respect pour eux.Pourquoi vous êtes-vous présenté à la présidence de l’AQPP en 2002 ?En toute franchise, je ne voulais pas nécessairement me présenter à la présidence, car j’estimais être la personne la plus chanceuse de l’AQPP en étant le responsable de la négociation.Lorsque j’ai vu qu’un pharmacien en particulier se présentait, j’ai craint que cette personne défasse ce sur quoi nous avions travaillé si fort durant les années précédentes. J’ai donc décidé de me lancer. J’ai été la première personne à remporter la présidence de l’AQPP au suffrage universel des membres, car le président précédent, Claude Gagnon, n’avait pas d’adversaire lorsque ce mode de scrutin a été instauré.Y a-t-il d’autres réalisations importantes qui ont été réalisées lors de votre présidence ?Je suis particulièrement fier des campagnes de publicité mises sur pied par l’AQPP, car on voit aujourd’hui à quel point la population a une image positive de notre profession. Cela a certainement été un facteur déterminant dans l’adoption à l’unanimité de la loi 41 à l’Assemblée nationale, en décembre 2011.Ces campagnes publicitaires ont été nécessaires pour montrer l’importance de notre contribution, puisque la grande majorité des ordonnances sont remplies dans les pharmacies communautaires. Il fallait aussi se défaire de cette image négative qui nous avait été accolée en 2003 par cette histoire des rabais volumes.Je suis aussi satisfait que l’AQPP se soit dotée d’un code d’éthique, car l’industrie du médicament générique se l’était fait imposer par le gouvernement. Nous avons pris les devants.Qu’avez-vous trouvé difficile durant vos 20 années à l’AQPP ?Ma plus grande déception a été le manque d’écoute et de collaboration de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) durant toutes ces années. Je ne vise aucun président en particulier, mais plutôt l’institution en général. J’avais à me battre avec le Ministère pour faire valoir notre point de vue et, dès que c’était réglé, je devais ensuite recommencer à me battre, cette fois avec l’OPQ. Cela divise la profession.On dirait que l’OPQ n’a jamais compris la légitimité du volet commercial de la pharmacie communautaire, comme si cela n’était pas honorable. Un exemple récent concerne la loi 41. Au début, l’OPQ était réticent à ce que nous formions un comité pour discuter des moyens avec lesquels nous allons implanter les nouvelles activités professionnelles en pharmacie. Nous l’avons fait quand même !Quelle autre période a été marquante pour vous ?Lorsque nous avions entrepris, en 2001, de nous désengager de la Régie de l’assurance maladie du Québec à titre de moyen de pression, certains pharmaciens propriétaires ont appelé la RAMQ à notre insu pour se réinscrire. C’était carrément malhonnête de leur part. Une vraie trahison !Malheureusement pour eux, la RAMQ nous a appelés pour nous prévenir. Nous avons réprimandé ces propriétaires. C’était la première fois, à l’AQPP, que nous mettions sur pied un comité de discipline. L’amende était plutôt symbolique, mais il s’agissait de leur montrer l’importance de la solidarité.Sur un dossier plus récent, comment garantir que la loi 41 sera un succès ?Dans un premier temps, je tiens à réitérer que la loi 41 représente une incroyable avancée pour la profession de pharmacien. Il faut cependant garantir que les règlements prennent en considération la réalité quotidienne des pharmaciens. Or, il reste maintenant à voir si l’OPQ et le Collège des médecins du Québec ont entendu nos préoccupations. (Au moment de mettre sous presse, ces règlements n’étaient pas encore publics.)De plus, il faudra que les nouvelles activités soient rémunérées pour éviter que cela ne finisse comme l’anticoagulothérapie, que le gouvernement a refusé de nous rembourser puisque les pharmaciens offraient déjà le service gratuitement.Durant les derniers mois, j’ai aussi souvent entendu qu’il fallait revoir notre mode de rémunération. Or, nous facturons pour 1,3 milliard de dollars en honoraires à la Régie de l’assurance maladie du Québec, alors que le scénario le plus optimiste pour les nouvelles activités suppose qu’elles nous rapporteraient 50 millions. Ce n’est pas demain que le mode de rémunération principal changera.Y a-t-il un écart générationnel entre les pharmaciens sur cet enjeu ?Non. Je ne crois pas. Les jeunes associés d’une pharmacie réalisent rapidement qu’il est difficile de changer la pratique. De toute façon, il est important de répéter qu’il n’y a rien de honteux à distribuer des médicaments.Cela ne veut pas dire que je minimise les activités cliniques, qui sont très importantes. D’ailleurs, l’AQPP a rapidement mis l’accent sur le concept de cabinet de consultation, tandis que l’OPQ parlait d’aire de confidentialité.J’ajouterais qu’il est toujours possible pour les pharmaciens propriétaires qui désirent avoir une pratique différente de le faire. Je les encourage d’ailleurs, car je trouve que c’est beau de les voir, mais cela ne veut pas dire que tout le modèle d’affaires doit être revu.Quittez-vous sereinement la présidence de l’AQPP ?Oui. Je suis très fier de ce que nous avons accompli. J’ai eu l’occasion de travailler avec onze employés de haut calibre. On m’a reproché de mettre trop l’accent sur la rémunération au détriment de la profession. C’est tout à fait faux. Je ne suis pas du tout gêné de ce que j’ai fait.Quel conseil donneriez-vous à votre successeur ?L’AQPP est forte de ses membres. L’AQPP, ce n’est pas l’Ordre des pharmaciens du Québec ni les chaînes et les bannières de pharmacies. L’AQPP est unique au Canada. Il ne faut laisser personne accaparer cette force-là.Qu’est-ce qui vous attend à compter d’aujourd’hui ?Je vais continuer d’être le président du conseil d’administration d’Uniprix. Sur le plan personnel, J’ajouterais que je suis un passionné de généalogie et j’aimerais y consacrer du temps. Et chaque mois, je ferai en sorte qu’il y ait quelque chose de nouveau, comme un voyage de quelques jours. C’est une exigence de ma conjointe !

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