Entrevue avec le président de Médicaments novateurs Canada: «nous ne sommes pas sourds au débat sur les finances publiques du Québec» – Russell Williams

Depuis janvier, l’association qui représente les intérêts des entreprises pharmaceutiques novatrices au Canada s’est dotée d’une nouvelle identité. Anciennement connue sous le nom « Les compagnies de recherche pharmaceutique du Canada » et l’acronyme « Rx&D », elle porte désormais le nom de « Médicaments novateurs Canada ». Une transformation plus profonde que le changement de nom l’indique, précise en entrevue son président, Russell Williams.L’industrie pharmaceutique novatrice traverse une période particulièrement difficile de son histoire. Après des années fastes, les compagnies de ce secteur ont notamment perdu l’exclusivité sur des molécules ayant de fortes parts de marché. Signe de ces temps plus difficiles, plusieurs compagnies pharmaceutiques sont entrées dans une phase d’acquisitions et de fusions, entraînant la perte de plusieurs centaines d’emplois et la fermeture de plusieurs installations. Le Québec n’y a pas échappé.Les gouvernements traversent aussi une période économique difficile et surveillent plus que jamais les milliards de dollars que dépensent chaque année les contribuables pour les médicaments dont ils ont besoin. Même si l’efficacité d’un médicament ne fait aucun doute, les gouvernements veulent plus que jamais s’assurer qu’ils en paient le bon prix.L’industrie pharmaceutique novatrice s’ajuste à cette nouvelle réalité. À titre d’exemple, elle noue davantage de partenariats de recherche avec le secteur public pour découvrir les médicaments de demain. Pour s’assurer de la confiance des instances publiques et des citoyens, elle entend également être plus transparente pour montrer qu’elle agit pour le bien des patients. Profession Santé a rencontré le président de Médicaments novateurs Canada, Russell Williams, à la mi-avril. Après 12 ans en poste, il a annoncé qu’il prenait sa retraite ce mois-ci.Pourquoi avoir choisi cette nouvelle identité, « Médicaments novateurs Canada » ?En 2014, l’année du centième anniversaire de notre association, nous avons lancé un chantier appelé « Cent conversations ». L’objectif était de discuter de plusieurs enjeux relatifs à notre industrie et il est ressorti que notre nom, « Les compagnies pharmaceutiques du Canada », et notre logo [comportant l’acronyme Rx&D] n’étaient plus représentatifs des activités de nos membres.Après de nombreuses discussions, nous sommes finalement arrivés avec cette nouvelle identité corporative qui fait une place essentielle à la notion d’innovation. Nous voulions aussi montrer que nous sommes une partie de la solution dans l’évolution des systèmes de santé au Canada.En quoi votre association est-elle différente aujourd’hui ?Nous voulons mettre davantage l’accent sur la création d’alliances authentiques avec les autres acteurs du réseau, qui proviennent en bonne partie du secteur public. Ils doivent être à l’aise avec nos valeurs et nos façons de faire. Bien que nous ayons un code d’éthique auquel souscrivent nos membres depuis 25 ans, la société évolue constamment en matières d’éthique et de transparence.D’ailleurs, cela me fâche de voir d’autres compagnies pharmaceutiques, qui ne sont pas membres de notre association, avoir des comportements inacceptables, car cela nuit à la confiance de nos partenaires et à la crédibilité de notre industrie.Parlez-moi de cette initiative de 10 de vos membres, qui divulgueront sous peu les sommes qu’elles versent aux médecins.Comme je le disais, il y a une tendance globale vers une plus grande transparence1. Nous réfléchissons nous-mêmes à cette question depuis plusieurs années, car nous croyons que cela permet de faire la lumière sur les relations entre les compagnies pharmaceutiques et d’autres acteurs, dont font partie les médecins. C’est là un exemple d’une relation tout à fait normale entre le fabricant d’un médicament et celui qui le prescrit, pour autant que ce soit fait sur une base professionnelle.Dès 2017, 10 compagnies volontaires divulgueront donc combien d’argent elles versent chaque année aux médecins du pays pour trois types d’activités2. Nous avons décidé de montrer les chiffres totaux, car il aurait été difficile d’obtenir le consentement individuel de tous les médecins. Pourrait-on faire plus pour les prochaines années ? Probablement, mais c’est un point de départ.Nous dévoilerons également sous peu une étude réalisée par une firme indépendante pour montrer l’apport de notre industrie à la recherche et développement au Canada. À titre d’exemple, nos membres investissent chaque année 750 millions $ au Canada pour réaliser 4 500 essais cliniques.Les programmes de fidélisation [NDLR : cartes de copaiement, cartes de choix des patients, etc.] de l’industrie novatrice ont été plutôt mal accueillis. Pourquoi cette réaction ?Je n’ai jamais compris cette réaction au sujet de ces cartes. Peut-on être contre le choix des patients, d’autant plus si cela ne coûte pas plus cher à l’État ?Je ne suis pas choqué par la substitution d’un médicament novateur par un générique, mais cela relève à mon avis d’une discussion qui doit avoir lieu entre le patient et son professionnel. J’ai par contre un problème avec l’idée qu’on puisse limiter le choix des patients pour des questions de financement et non pas en fonction de leur bien-être.Je suis fier de nos membres, qui ont proposé des programmes qui respectent notre code d’éthique, les codes de déontologie des professionnels et les lois.Le Québec a pris plusieurs mesures visant à mieux contrôler ses dépenses de médicaments, dont l’abolition de la règle des 15 ans3. Que pensez-vous de la stratégie gouvernementale à l’égard des sciences de la vie ?C’est moi qui ai créé la règle des 15 ans lorsque j’étais député à l’Assemblée nationale du Québec4. Lorsque la fin de la règle a été annoncée, notre association a formulé des craintes quant à la période de transition que nous trouvions trop courte, mais c’était le temps de passer à autre chose.Lors de la création de la règle des 15 ans, le gouvernement dans lequel j’étais député voulait privilégier ce que nous appelions « l’avantage québécois ». Je crois que l’on voit aujourd’hui poindre une nouvelle stratégie de cette nature à propos du développement économique des sciences de la vie. Le plus récent budget contient de nombreuses indications à ce chapitre, dont cette intention d’accélérer l’évaluation des nouveaux médicaments par l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS).Je tiens par ailleurs à souligner que nous ne sommes pas sourds au débat sur les finances publiques du Québec. Nous sommes toujours ouverts à l’idée de travailler avec les gouvernements pour trouver des façons créatives de rendre les médicaments novateurs plus accessibles tout en utilisant mieux l’argent public.Comment voyez-vous le projet de loi 81 qui vise à instaurer des appels d’offres pour les médicaments ?Bien qu’il ait été mentionné que ces appels d’offres ne toucheraient pas les médicaments novateurs, nous voulons que ce soit énoncé clairement dans le projet de loi. Nous avons proposé un amendement en ce sens. Des appels d’offres pour les produits novateurs seraient catastrophiques, car on ne reconnaîtrait pas l’innovation à sa juste valeur.Du côté des médicaments génériques, le gouvernement doit faire particulièrement attention de ne pas causer des pénuries en supprimant la diversité dans le marché. Il ne faut pas que le gouvernement se retrouve sans aucune capacité de s’ajuster en cas de pénurie.L’industrie novatrice traverse depuis quelques années une période difficile. Comment entrevoyez-vous l’avenir de votre secteur ?Les médicaments vont continuer de jouer un rôle très important dans la société. C’est incroyable de constater tout le chemin parcouru en quelques décennies. Je pense notamment au VIH/sida, qui est devenu une maladie chronique pour certains patients.Sur le plan économique, il est important de souligner que les sciences de la vie ont un taux de croissance annuel de 9 %. Je ne connais pas beaucoup de secteurs économiques qui peuvent se réclamer d’une telle croissance. Quant à la recherche, il y a clairement une voie qui est tracée par les partenariats entre les compagnies pharmaceutiques et les centres de recherche publics, comme ceux des grands hôpitaux.1. Aux États-Unis, le Sunshine Act est un exemple de mesure législative obligeant les fabricants de médicaments et autres fournitures médicales à décrire certaines sommes qu’ils versent aux médecins et aux hôpitaux avec des vocations d’enseignement.2. Frais pour services professionnels, comme les conférences et les comités de consultation; commandites, dons et subventions; parrainage de frais de déplacement pour des congrèset des réunions mondiales.3. Adoptée en 1994 et abolie en 2013, la règle des 15 ans assurait le remboursement d’un médicament innovateur pour une période de 15 ans par le Régime général d’assurance médicaments du Québec, même si un équivalent générique était disponible.4. Russell Williams a été député libéral à l’Assemblée nationale du Québec de 1989 à 2004.Il représentait la circonscription de Nelligan.

Entrevue avec le président de Médicaments novateurs Canada: «nous ne sommes pas sourds au débat sur les finances publiques du Québec» – Russell Williams

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes