Entrevue avec le ministre de la Santé - La vente de médicaments n'a pas à servir de compensation pour les nouvelles activités, affirme Réjean Hébert

Ministre de la Santé et des Services sociaux depuis le 20 septembre 2012, le Dr Réjean Hébert a un objectif clair en tête : il veut mener à terme le virage ambulatoire. Pour ce faire, le gériatre de 57 ans désire mettre un accent particulier, durant son mandat, sur les soins de première ligne, les soins à domicile et la prévention. Et il voit les pharmaciens comme des partenaires incontournables pour parvenir à cet objectif.Réjean Hébert doit réussir ce virage tout en faisant face aux nombreux problèmes d’accessibilité aux soins que connaît le réseau de la santé. À cela s’ajoute une contrainte supplémentaire, celle de l’atteinte de l’équilibre budgétaire de son gouvernement dès l’an prochain.Le ministre a la ferme intention de freiner la croissance des dépenses en santé en exigeant notamment des établissements de santé qu’ils procèdent à certaines compressions dans leurs frais administratifs et qu’ils remettent à plus tard les projets de rénovation ou d’agrandissement de leurs infrastructures.Du côté des médicaments, il a récemment décidé de plafonner le remboursement des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), dans le cadre du Régime général d’assurance médicaments. Cette mesure permettra à l’État d’épargner plusieurs dizaines de millions de dollars.Son gouvernement a aussi aboli la règle des 15 ans, qui assurait à l’industrie pharmaceutique novatrice le remboursement par l'État québécois d’un médicament innovateur pour une période de 15 ans, même si un équivalent générique était disponible.L’actualité pharmaceutique l’a rencontré le 22 mars à Québec, dans son bureau du ministère de la Santé et des Services sociaux, afin de voir comment il compte appliquer les orientations de son gouvernement sur les questions relatives à la pharmacie et aux médicaments. Avec l’abolition de la règle des 15 ans, les diminutions successives du prix des médicaments génériques et la création d’un prix plafond pour le remboursement des IPP, l’État arrive-t-il au bout des économies qu’il peut réaliser avec les médicaments ?Notre principal champ d’action se trouve du côté des gains que nous pourrions réaliser avec certaines classes de médicaments. J’ai d’ailleurs demandé à l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) d’examiner s’il était possible d’avoir recours à des stratégies semblables à celle que nous avons employée avec les IPP.Je suis également préoccupé par le prix de certains médicaments novateurs, dont ceux destinés aux patients souffrant d’un stade avancé du cancer. Dans d’autres provinces, ces médicaments font l’objet d’ententes confidentielles lorsqu’ils sont couverts par le régime public d’assurance médicaments.À mon avis, ces ententes d’inscription posent deux problèmes. Le premier, c’est la transparence. En signant des ententes comme celles-là avec l’industrie pharmaceutique, certaines provinces empêchent un juste prix dans l’ensemble du Canada. Je l’ai souligné à mes homologues des provinces canadiennes.Mon deuxième problème avec ces ententes, c’est l’équité. Dans les autres provinces, où il n’y a pas de régime universel comme le nôtre, il est possible de signer de pareilles ententes. Or, au Québec, ce serait illégal. Il va donc falloir trouver des voies de passage pour nous permettre de bénéficier de prix plus avantageux. Si la loi doit être modifiée, je vais cependant m’assurer qu’elle respecte ces principes de transparence et d’équité.Craignez-vous que tous ces chamboulements dans l’industrie entraînent des ruptures d’approvisionnement ? Et, si oui, comment comptez-vous les prévenir ?Même si je sais que l’industrie soulèvera ce point, j’estime qu’il reste un marché important pour les médicaments génériques. Tant qu’il y a un marché, il y aura des producteurs et des distributeurs qui seront intéressés à l’occuper.Comme les autres ministres de la Santé du Canada, j’ai par contre une préoccupation par rapport aux producteurs uniques de certains médicaments. Le gouvernement fédéral a mal géré la crise de 2012. J’ai rappelé à mon homologue fédérale, Leona Aglukkaq, que des actions sont nécessaires de la part de son gouvernement, car une partie des gestes à poser ne relève pas de la compétence du Québec.Vous avez mentionné à quelques reprises que vous voulez rédiger une nouvelle Politique du médicament. Quel axe comptez-vous lui donner et quel est votre échéancier pour la publier ?C’est un travail important que nous allons devoir entreprendre, mais il est encore trop tôt pour dire quelle sera son orientation ou sa date de publication. Entre-temps, cela ne nous empêche pas de poser des gestes significatifs comme ce que nous venons de mentionner.J’ajouterais que la transparence des prix pour les cotisants des régimes privés d’assurance médicaments et l’augmentation de leurs primes feront certainement partie des réflexions. Dans le cadre actuel, il nous est impossible de faire profiter à ces cotisants des meilleurs prix possibles et j’y vois un problème d’équité auquel il faudrait remédier en levant certaines embûches législatives.Dans une optique où les soins sont de plus en plus donnés dans la communauté, voyez-vous le pharmacien comme l’expert du médicament ou un professionnel de la santé ayant un mandat plus large ?Je le vois comme un professionnel de la santé ayant un mandat particulier en ce qui a trait aux médicaments, mais dont l’expertise touche à d’autres aspects comme la prévention. L’avis et les conseils des pharmaciens peuvent être intéressants à plusieurs chapitres. Je pense notamment à la santé des voyageurs.Allez-vous rémunérer les nouvelles activités que pourront effectuer les pharmaciens dans le cadre de la loi 41 ?Oui. Les négociations sont en cours. Nous attendons les contre-propositions de l’AQPP. Notre objectif est de parvenir à une entente d’ici la fin du mois de juin, avant que les pharmaciens commencent à poser leurs nouveaux actes.Dans le contexte de baisse du prix des médicaments, la rémunération des nouvelles activités sera-t-elle assez substantielle pour remplacer les pertes des pharmaciens, comme celles touchant les allocations professionnelles ?Je souhaite que les pharmaciens se tournent davantage vers les soins professionnels et qu’ils soient bien rémunérés pour ces tâches. Par contre, ce sont deux sujets séparés. La vente de médicaments n’a pas à servir de compensation pour les nouvelles activités, ou vice-versa. Quant aux allocations professionnelles, je ne prononcerai pas ici puisque ce sujet est présentement sur la table de négociation.Craignez-vous que les patients aient des attentes démesurées par rapport aux nouvelles activités ?Je suis conscient du risque. Lorsque nous avons fait l’annonce, en décembre dernier, des progrès des discussions entre le Collège des médecins et l’Ordre des pharmaciens, j’ai bien vu que ce qui était rapporté dans les médias n’était pas tout à fait conforme à la réalité.Nous allons donc travailler de concert avec les pharmaciens afin de bien faire comprendre aux patients que les pharmaciens ne remplaceront pas les médecins, qu’ils n’auront pas un droit de prescription général. Il ne faudrait pas que les patients exercent trop de pression sur les pharmaciens.Certains médecins représentés par la FMOQ semblent réfractaires à l’idée de ces nouvelles activités. Quel message leur envoyez-vous ?Lorsqu’on s’assure que les patients ont les meilleurs soins possibles, les autres considérations tombent souvent d’elles-mêmes. J’ai récemment lu dans La Presse une lettre d’opinion d’un médecin de famille. Il y écrivait qu’il ne se reconnaissait pas dans la position de la FMOQ et qu’il fallait sortir de ce corporatisme dans lequel on s’enferme trop souvent. C’est un message auquel je désire faire écho.J’entends notamment dire que les pharmaciens seront en conflit d’intérêts en vendant les médicaments qu’ils auront prescrits. À cet égard, je rappellerais que les chirurgiens qui prescrivent une chirurgie à leurs patients le sont tout autant. De même que les avocats qui recommandent à leurs clients d’intenter un procès. Les pharmaciens sont capables de gérer les conflits potentiels au même titre que les autres professionnels. C’est pour cela que nous avons des ordres professionnels et des codes de déontologie.La mention « Ne pas substituer » est une prérogative clinique des médecins, mais qui serait parfois utilisée de façon systématique par certains d’entre eux. Comptez-vous encadrer cette pratique ?C’est un dossier qui me préoccupe. J’ai d’ailleurs demandé à ce qu’on documente la fréquence de cette pratique. Si on me fait la démonstration qu’elle est utilisée de façon indue, nous pourrons alors déterminer l’importance d’agir. Une simple coche à apposer m’apparaît bien mince, surtout si c’est pour faire plaisir à quelqu’un... À mon avis, il serait préférable que le médecin documente pourquoi il estime que la forme générique n’est pas conseillée.Quelle est votre opinion sur les programmes de fidélité de l’industrie pharmaceutique ?Les pharmaciens se doivent d’être très prudents. Comme le dirait Jacques Parizeau, nous avons affaire à une « astuce » de l’industrie pharmaceutique pour maintenir ses parts de marché. C’est évident. Dans ce contexte, on s’attend à ce que le pharmacien priorise son rôle de professionnel de la santé.J’appuie donc entièrement l’OPQ, qui a émis récemment une directive très intéressante sur ce sujet. D’ailleurs, si l’OPQ désire modifier son code de déontologie, nous serons prêts à agir rapidement pour aller dans ce sens.En ce qui concerne les pharmaciens d’établissements, allez-vous autoriser la reconnaissance de leur spécialisation ?Nous allons revenir sur ce sujet en temps et lieu. Je n’ai aucun a priori, mais de nombreux enjeux méritent d’être sous-pesés puisque la spécialisation pourrait avoir un impact sur la rémunération et la formation, pour ne donner que deux exemples.La pratique des pharmaciens a été élargie. Les infirmières cliniciennes verront-elles aussi leur pratique accrue ?Après une dizaine d’années de discussions et de négociations, nous voyons enfin le dossier des ordonnances collectives progresser. J’avais déjà déclaré qu’il fallait cesser le « taponnage » et je crois que nous y sommes enfin parvenus.Grâce à l’entente entre les ordres professionnels, il y aura quatre modèles d’ordonnances collectives approuvés par des comités d’experts qui permettront un suivi et une prise en charge plus efficaces de l’hypertension artérielle, du diabète, de l’anticoagulothérapie et de la dyslipidémie.Ces modèles seront disponibles sur le site de l’INESSS, qui sera responsable d’en assurer la mise à jour (voir l’article de la page 5).Vous avez récemment identifié Jean Rochon comme un mentor. Quel est son héritage politique et comment entendez-vous le poursuivre ?Jean Rochon a préparé le réseau de la santé et des services sociaux à faire face aux années 2000 en prenant le virage ambulatoire, qui consistait à réserver le séjour à l’hôpital aux interventions plus spécialisées, ainsi qu’à renforcer les soins en première ligne et à domicile.Dans la foulée du déficit zéro, il a été impossible pour lui de réaliser ce deuxième volet et c’est ce que nous nous engageons à compléter, même si nous devons faire face aux mêmes contraintes budgétaires.Imaginez aujourd’hui où serait rendu le réseau si nous n’avions pas pris ce virage. Il y a aujourd’hui une pandémie de maladies chroniques et nous comprenons maintenant à quel point l’hôpital n’est pas le bon endroit pour les soigner. Cela coûte cher et cela embourbe le système.Vous mentionnez le déficit zéro des années 1990. On sait que cet objectif aeu un impact négatif sur les retraites massives d’infirmières et les admissions en médecine. Allez-vous éviter d’autres erreurs de ce genre en voulant atteindre l’équilibre budgétaire ?C’est facile de nous dire quinze ans plus tard que ce n’était pas l’idée du siècle. Or, il faut nous rappeler que les jeunes infirmières ne se trouvaient pas d’emplois et qu’elles devaient aller travailler en Suisse ou en France. Bon, force est d’admettre que le programme a trop bien fonctionné et que nous avons sous-estimé les changements générationnel sur des questions comme la qualité de vie et le nombre d’heures travaillées dans une semaine.Mais les décisions, on doit les prendre avec les données que nous avons sur le moment. Certaines décisions que je prendrai seront peut-être contestées dans l’avenir, mais c’est facile de jouer aux gérants d’estrades après coup.Quelle expertise particulière croyez-vous apporter au réseau de la santé aujourd’hui ?J’apporte une expertise dans l’organisation des services pour répondre au vieillissement de la population, car c’est le fondement de mon engagement politique et de ma démarche professionnelle depuis plusde 25 ans. Le Québec se trouve d’ailleurs lui-même à cette étape de son cheminement.Le vieillissement, ce n’est pas un tsunami, mais c’est un iceberg sur lequel nous fonçons. Il faut faire en sorte que le paquebot puisse le contourner. Et cela, nous allons le faire avec une première ligne plus forte, qui misera notamment sur les forces de plusieurs professionnels de la santé, ainsi qu’avec les soins à domicile et la prévention.

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