Entrevue avec la présidente du CIQ: Le système professionnel québécois doit être plus flexible

Pour pouvoir exercer pleinement leur mission de protection du public, les 46 ordres professionnels québécois devraient pouvoir bénéficier d’une structure réglementaire plus flexible, plaide en entrevue la présidente du Conseil interprofessionnel du Québec (CIQ) Gyslaine Desrosiers.Le Code des professions du Québec, qui encadre le système professionnel québécois, a près de 50 ans. Même s’il a été modifié à plusieurs reprises depuis son adoption, en 1973, pour suivre l’évolution de la société québécoise, le poids des années se fait sentir.Les demandes des ordres professionnels pour adopter ou modifier leur réglementation peuvent parfois prendre des mois, voire des années, à être traitées par l’Office des professions du Québec.Or, la lourdeur réglementaire freine l’émancipation des différentes professions et leur désir de travailler davantage en interdisciplinarité, en particulier dans le réseau de la santé et des services sociaux.Le Conseil interprofessionnel du Québec, qui représente les 46 ordres professionnels québécois, veut que cela change. L’organisme plaide pour un allègement de la structure réglementaire.Mais les ordres professionnels font parfois des mécontents parmi leurs membres, La grogne de certains professionnels envers les pouvoirs des syndics a forcé une réflexion au gouvernement, qui a demandé au CIQ, en 2019, de mettre sur pied un groupe de travail pour lui faire des recommandations à ce chapitre.Entrevue avec la présidente du CIQ, ex-présidente et directrice générale de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, Gyslaine Desrosiers.Les ordres jouissent-ils de la liberté dont ils ont besoin pour exercer leurs responsabilités de protection du public ?De façon unanime, les 46 ordres professionnels ont convenu de dénoncer la lourdeur du traitement réglementaire auprès de la ministre de la Justice, Sonia LeBel. Présentement, trop de choses doivent être réglementées. Or, l’Office des professions est à bout de souffle et ne peut pas traiter toutes les demandes des différents ordres. Le système actuel n’est plus assez flexible pour les besoins du monde moderne.Avez-vous des exemples de cette lourdeur administrative ?En matière de gouvernance, c’est particulièrement frappant. Il y a des obligations réglementaires quant à ce que doit contenir un rapport annuel, aux dates d’élections, etc. Pourquoi réglementer ces éléments-là, alors qu’un simple cadre administratif pourrait suffire ?En commission parlementaire sur le projet de loi 29 (Loi modifiant le Code des professions et d’autres dispositions notamment dans le domaine buccodentaire et celui des sciences appliquées), nous nous sommes opposés à une demande de l’Office des professions qui voulait réglementer les sites Web des ordres.J’ai dénoncé cela en faisant valoir que ces sites Web sont des outils de communication pour les membres et le grand public. Ils se doivent d’être dynamiques. Les réglementer, c’est y ajouter une dimension légale superflue. C’est de l’hyperréglementation. Heureusement, la ministre nous a donné raison.Sur ce dossier de la lourdeur réglementaire, avez-vous l’écoute du gouvernement ?Oui. Nous voulons mettre de l’avant un groupe de travail pour lui faire des propositions concrètes d’allègement réglementaire.Certains dossiers disciplinaires, dont celui du Dr Albert Benhaim*, ont récemment forcé une réflexion globale sur le rôle des syndics. Quelles sont les conclusions du CIQ ?La ministre de la Justice a confié au CIQ le mandat de faire des recommandations sur les moyens de mieux encadrer la fonction de syndic au sein des ordres professionnels. Nous avons donc mis sur pied un comité d’experts et remis notre rapport il y a quelques mois, après un imposant travail de près d’un an.Parmi nos recommandations, nous avons fait valoir l’importance de soumettre les syndics à un code de déontologie. Présentement, les ordres ont un certain pouvoir administratif sur les syndics, mais ils ne doivent pas intervenir dans le fonctionnement d’une enquête. Le code de déontologie est l’un des moyens que nous ayons trouvé pour standardiser les procédures des syndics.Nous avons également recommandé que les syndics suivent une formation obligatoire lorsqu’ils débutent et fassent par la suite des mises à jour. Il y a toutes sortes de choses à prendre en considération lors d’une enquête. Par exemple, comment enquête-t-on auprès d’une personne vulnérable au chapitre de sa santé mentale, sans aggraver son état ?Il faut aussi que les professionnels sous enquête puissent disposer d’un mécanisme pour porter plainte, s’ils estiment que le syndic a dépassé les limites de son pouvoir.Avec le décloisonnement de certaines professions de la santé, n’y a-t-il pas une certaine confusion chez les patients quant au rôle de chacun de ces professionnels ?Cela n’a rien à voir avec les lois professionnelles. C’est une question d’organisation de services. Le patient qui se présente à une clinique ne veut pas voir une infirmière praticienne spécialisée, il veut obtenir un service de santé. Par exemple, cela a pris des années avant que les services des sages-femmes soient offerts aux femmes enceintes, mais c’était parce qu’aucun budget n’était octroyé à ces services.Il y a néanmoins une confusion importante dans la population sur le rôle des ordres et celui des syndicats. Comment mieux distinguer les deux ?C’est un défi. On le voit avec les publicités. Récemment, j’ai vu une annonce à la télévision sur les pharmaciens de famille. Or, c’était une bannière de pharmacies qui faisait la promotion du rôle du pharmacien, bref, une instance commerciale.Certains ordres professionnels font des publicités pour rappeler qu’ils sont là pour garantir la protection du public, alors que d’autres refusent de le faire. Il n’y a pas d’unanimité au sein du CIQ à ce chapitre.D’un point de vue strictement personnel, je suis d’avis qu’il y a une place pour les ordres dans la promotion de leur profession en vue de rassurer le public envers les mécanismes institutionnels en place et de gagner sa confiance.* Ce médecin estime que ses droits ont été bafoués par le syndic et le conseil de discipline du Collège des médecins du Québec.

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