Enfermée dans un carré: enseigner, apprendre et apprivoiser la solitude de l’écran

J’étais la femme dans le coin.Pas au sens figuré, mais littéralement: en haut à droite de l’écran, confinée dans un rectangle, donnant une présentation à des dizaines de visages invisibles pendant une séance virtuelle de formation médicale. C’était un club de lecture informel, un vendredi matin, du genre où tout le monde se connecte en silence, caméras éteintes, micros muets, en écoutant peut-être tout en conduisant, en pliant le linge ou en se préparant pour la journée clinique à venir.J’avais préparé une présentation sur l’hormonothérapie – concise, pertinente et centrée sur la pratique. Le genre de formation que j’aurais adoré suivre quand j’étais résidente. Et pourtant, en cliquant sur mes diapositives et en regardant mon propre visage clignoter dans le coin de l’écran, je n’arrivais pas à me départir de cette impression de parler dans le vide.Aucun hochement de tête. Aucun regard. Aucun murmure d’assentiment ni froncement de sourcil intrigué. Juste ma voix, et mon reflet dans le coin, à tenter de ne pas trop me regarder. C’est une forme singulière de trac – notre crainte n’est pas d’oublier nos mots, mais de ne pas savoir s’ils trouvent écho.À lire aussi: 10 leçons qu'on n'enseigne pas à la faculté de médecine (mais qu'on devrait)Avant la pandémie, la plupart de ces activités d’enseignement se tenaient dans un espace partagé. On se rassemblait dans une salle de réunion d’hôpital ou une salle de pause de clinique, on faisait circuler une boîte de muffins et on s’installait ensemble. La présentation n’était qu’une partie de l’expérience. Le reste était improvisé – les salutations, les questions en marge, les échanges spontanés qui donnaient vie à l’apprentissage.Aujourd’hui, plus souvent qu’autrement, nous enseignons et apprenons chacun dans notre silo. Seuls, en sourdine, souvent en train de faire autre chose. Ce silence, des deux côtés, finit par user l’âme. L’enseignement, ce n’est pas seulement transmettre de l’information. C’est une interaction humaine. Un lent tissage de confiance et de curiosité, façonné non seulement par les mots, mais par la manière dont ils sont reçus, compris et reformulés.Quand on retire cette rétroaction humaine – quand on se réduit à des voix désincarnées et à des contours rectangulaires – on perd quelque chose d’essentiel. Pas seulement la connexion, mais aussi la confiance. Le contexte. Et même la joie.À lire aussi: L’IA peut-elle nous dispenser de l’effort d’apprendre?La semaine dernière, je me suis déplacée à l’autre bout de la ville pour un dîner-conférence dans une clinique locale. Rien d’extraordinaire: une douzaine de médecins de famille et d’infirmières praticiennes réunis dans la salle du personnel, shawarma à la main, pour parler de périménopause. Mais la différence était frappante. La salle était vivante.Je pouvais voir quand quelque chose faisait mouche. Je pouvais m’ajuster aux expressions. Les questions venaient naturellement, tout comme les rires. Chacun y allait de ses expériences de pratique lorsque le sujet résonnait. J’ai quitté la séance en me sentant non seulement écoutée, mais connectée. Revitalisée.Cette rencontre m’a rappelé qu’une formation en présentiel, malgré les contraintes logistiques, est rarement passive. On y est plus concentré, plus engagé. Le simple fait de partager un espace crée une attention réciproque et la nourrit.Je ne suis pas contre la formation virtuelle. Elle offre un accès et une flexibilité inédits. Mais il ne faut pas se raconter d’histoires: toutes les formes d’apprentissage ne se valent pas. Et il ne faut pas supposer que parler dans le vide est une habitude que les médecins doivent simplement apprendre à tolérer.La vérité, c’est que la culture médicale nous place déjà constamment en représentation. Depuis nos premiers jours de formation, on nous évalue non seulement sur ce que nous savons, mais sur la façon dont nous le présentons. On nous apprend à être clairs, efficaces, convaincants. On laisse peu de place à l’incertitude, et encore moins au silence.Les formats virtuels amplifient cette pression. Privés de repères visuels, sans rythme conversationnel, nous remplissons le vide par le doute. Nous parlons plus vite. Nous compensons. Nous présumons être jugés – ou pire, ignorés. Peu à peu, cela érode quelque chose d’essentiel. L’enseignement devient une transaction. L’apprentissage devient optionnel. Et la connexion, pourtant vitale, semble s’éloigner.À lire aussi: Préexternat en région: le bonheur est dans la proximité, et l’exposition cliniqueHeureusement, ma dernière présentation en ligne s’est conclue par une période de questions animée, qui a un peu compensé l’absence de contact humain pendant l’exposé. Mais ce n’est pas toujours le cas, surtout lors des séances de fin de journée ou des webinaires où caméras et micros demeurent bloqués.Je n’ai pas de solution universelle. Mais je sais que chaque fois qu’on choisit d’être présent – virtuellement ou en personne –, cela fait une différence. Allumer sa caméra. Poser une question. Envoyer un courriel de suivi. Choisir de se concentrer vingt minutes plutôt que d’écouter distraitement en tapant ses notes. Ces petits gestes comptent.Parce qu’en médecine, nous ne sommes pas seulement des collègues. Nous sommes aussi des apprenants, des enseignants et des êtres humains. Et parfois, il suffit d’un peu de présence pour ramener quelqu’un du coin de l’écran.La Dre Ginevra Mills est gynécologue et endocrinologue de la reproduction à Victoria en Colombie-Britannique.Vous souhaitez vous aussi faire valoir votre point de vue sur un enjeu du système de santé? Apporter une réflexion vis-à-vis de votre profession?Envoyez-nous un texte d'opinion à titre de professionnel de la santé ou d'association en santé, afin qu'il soit relayé sur le site. Plus d'infos >

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