Encéphalomyélite myalgique et fibromyalgie: un premier test de dépistage mis au point au Québec

Jusqu’à présent, seuls des diagnostics par exclusion, souvent longs et épineux, permettent d’établir qu’une personne souffre d’encéphalomyélite myalgique (EM) ou de fibromyalgie. Désormais, un banal test moléculaire par PCR distingue les biomarqueurs des deux maladies et parvient même à détecter leur concomitance. Une percée médicale réalisée au Québec, qui constitue une révolution pour les dizaines de milliers de patients concernés, dont l’attente peut durer jusqu’à 8 ans avant que leur diagnostic ne soit posé. Ce nouveau test a été élaboré au Centre de recherche du CHU Sainte-Justine par l’équipe du Pr Alain Moreau qui a identifié 11 microARN dits non codants spécifiques à ces deux affections chroniques incapacitantes. «Ils s’attachent à la fin des ARN messagers et empêchent le décodage génétique, ce qui bloque la production de certaines protéines», indique le directeur du Laboratoire Viscogliosi en génétique moléculaire des maladies musculosquelettiques. Il précise qu’il en existe environ 2500 de natures différentes et qu’un même microARN non codant peut cibler plusieurs gènes. Le dosage de ces biomarqueurs n’est pas nouveau en soi. Il est déjà employé pour dépister et stratifier certaines tumeurs cancéreuses ou pour identifier des maladies thyroïdiennes. «En médecine moléculaire, l’avenir des tests diagnostiques passe par ce genre de molécules», estime d’ailleurs le Pr Moreau. Lui-même a déjà mis au point un test qui détecte des microARN non codants spécifiques à la scoliose idiopathique chez les patients pédiatriques et son équipe travaille actuellement sur des examens de dépistage de l’arthrose et de l’ostéoporose chez l’adulte. Deux maladies complexes, encore inguérissables, dont «les pathomécanismes sont mal compris», signale le chercheur. À lire aussi: La goutte: la seule arthrite curable Ces attributs correspondent également à l’encéphalomyélite myalgique (autrefois dénommée syndrome de fatigue chronique) et à la fibromyalgie. «Elles ont des symptômes qui se chevauchent et certains patients ont les deux en même temps, ce qui complexifie leur diagnostic», explique le Pr Moreau qui précise que ce sont bien deux maladies distinctes qui «s’acquièrent et n’ont pas une origine génétique». L’EM, qui touche environ 60 000 Québécoises et Québécois, peut être déclenchée par des facteurs étiologiques, mais dans 75% des cas, elle se développe suite à une infection virale, renseigne le scientifique, aussi directeur du Réseau canadien de recherche concertée interdisciplinaire sur l’encéphalomyélite myalgique. «Elle peut se déclarer après une grippe, le virus du Nil occidental, le chikungunya ou encore le coronavirus. La moitié des patients atteints de COVID longue vont ainsi développer une EM.» Elle se caractérise par un épuisement extrême, un dysfonctionnement cognitif, des troubles du sommeil et, surtout, par un malaise après un effort, qui en est le symptôme cardinal. L’origine étiologique de la fibromyalgie, de même que son pathomécanisme, reste inconnue, souligne le Pr Moreau. «Elle se manifeste également par une fatigue profonde, des problèmes de sommeil et un brouillard cérébral, mais la composante douleur est plus présente dans la fibromyalgie qui induit aussi la sensibilité des muscles, des tendons et des articulations.» Reconnue depuis 1992 comme une maladie rhumatisante par l’Organisation mondiale de santé, elle frappe environ 2% à 3% de la population. À lire aussi: Le syndrome VEXAS: peu connu, mais plus fréquent et grave que prévu Des biomarqueurs identifiés à l’aide de patients partenaires Au-delà de leurs symptômes similaires, l’EM et la fibromyalgie partagent des microARN non codants communs. Au nombre de onze, ces biomarqueurs étaient déjà associés à la fatigue chronique et à la fibromyalgie. L’équipe du Pr Moreau, dont les travaux sont présentés dans un article publié récemment dans la revue Scientific Reports, en a validé l’efficacité diagnostique grâce au concours de patients partenaires dont le diagnostic de l’une ou l’autre des deux maladies était posé. Pour les données sur les patients fibromyalgiques, les chercheurs ont croisé des résultats de prélèvements à des informations de la biobanque CARTaGENE. S’agissant de l’EM, les participants ont subi un stress mécanique qui produit le malaise après l’effort caractéristique de l’encéphalomyélite myalgique. «On les a équipés d’un brassard qui se gonfle et se dégonfle. Chez les personnes en santé, cela correspond à un massage thérapeutique. Chez les gens atteints d’EM, ça revient à courir un marathon. Après 90 minutes de stimulation, ils sont épuisés et on provoque ainsi le malaise après l’effort», explique le Pr Moreau. Son test PCR permet d’objectiver et de discriminer les personnes souffrant d’encéphalomyélite ou de fibromyalgie, ainsi que celles qui ont les deux. «Chez les patients atteints d’encéphalomyélite myalgique, on voit une forte élévation du taux des onze biomarqueurs. Chez ceux qui ont la fibromyalgie, c’est l’opposé: on les détecte à peine», indique le chercheur. Quant aux personnes qui souffrent des deux maladies, les taux des microARN atteignent un niveau moyen. Sur le marché au plus vite Au-delà de leurs propriétés diagnostiques, ces onze microARN ouvrent la voie à de nouvelles avenues thérapeutiques. «On va étudier plus en profondeur les protéines qu’ils ciblent. Certaines peuvent être bloquées par des traitements qui existent déjà, comme les cytokines que l’on peut neutraliser avec des anticorps monoclonaux. D’autres molécules peuvent aussi bloquer leurs récepteurs ou interagir avec elles», mentionne le Pr Moreau. Dans l’immédiat, il indique qu’il est en discussion avec Santé Canada pour obtenir une homologation académique du test PCR qui viendrait reconnaître sa validité, en espérant que cela incitera les assureurs publics et privés à le rembourser. «Nos protocoles sont certifiés et prêts à l’emploi. On pourrait alors les transférer à des laboratoires privés ou hospitaliers qui pourront les utiliser du jour au lendemain. Le but, c’est de rendre notre test disponible le plus rapidement possible», souligne le chercheur du CHUS. En attendant, le professeur Alain Moreau se dit prêt à aider des médecins québécois confrontés à des cas vraiment complexes ou urgents d’encéphalomyélite myalgique (EM) ou de fibromyalgie supposées. «Notre laboratoire n’est pas dimensionné pour faire des tests en série, mais on pourra aider quelques-uns à comprendre ce qui se passe chez leurs patients.» Ceux-ci seront alors invités à participer, s’ils le souhaitent, à l’étude toujours en cours de l’équipe du Laboratoire Viscogliosi. Les médecins intéressés peuvent communiquer avec le Pr Alain Moreau en lui écrivant à l’adresse suivante: alain.moreau.hsj@ssss.gouv.qc.ca.

Encéphalomyélite myalgique et fibromyalgie: un premier test de dépistage mis au point au Québec

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes