En Angleterre, les pharmaciens gagnent du pouvoir

C'est une petite révolution qui se trame Outre-Atlantique. En Angleterre, les pharmaciens peuvent désormais délivrer des médicaments d'ordonnance, et ce, sans prescription médicale, pour sept conditions, grâce au programme Pharmacy First, entré en vigueur le 31 janvier dernier dans le cadre du Plan de prestation pour rétablir l’accès aux soins primaires 2023.L'objectif: faciliter l'accès aux soins pour les conditions mineures et libérer 10 millions de rendez-vous annuels chez les médecins de famille afin qu'ils se consacrent aux diagnostics plus complexes. D’après le ministère de la Santé et des Services sociaux, initiateur du programme avec la National Health Service England (NHSE), en février dernier, 98% des pharmacies communautaires participaient déjà au programme et elles avaient réalisé plus de 125 000 consultations cliniques. Pour en savoir plus, Profession Santé a rencontré James Wood, directeur des comités pharmaceutiques locaux et du soutien aux membres de Community Pharmacy England, qui représentent tous les pharmaciens propriétaires de la NHSE.Quels nouveaux actes les pharmaciens communautaires anglais peuvent-ils poser avec Pharmacy First?Nous pouvons désormais fournir des médicaments d'ordonnance, y compris des antibiotiques et des antiviraux, pour traiter sept pathologies courantes: la sinusite, les maux de gorge, les infections dues à des piqûres d’insectes, l’impétigo, le zona, l’otalgie et les infections urinaires non compliquées chez la femme. Avec ou sans rendez-vous, les patients sont reçus en privé par le ou la pharmacienne, et tous les résultats sont ensuite intégrés à son dossier, que le médecin de famille pourra ensuite consulter. En plus de ces nouveaux services, les pharmaciens peuvent, depuis 2023, prescrire des contraceptifs et prendre en charge l’hypertension artérielle – avec la recherche de cas et le contrôle ambulatoire de la tension, que nous espérons pouvoir augmenter [ndlr: le gouvernement mise sur 2,5 millions contrôles par an d'ici le printemps 2025, contre 900 000 en 2023].Nous n’en sommes qu’au premier semestre du programme, mais nous constatons d’ores et déjà que les patients viennent plus facilement en pharmacie. Au total, notre gouvernement y a injecté 645 millions de livres sterling sur deux ans, plus d'un milliard de dollars canadiens.Quelle est la situation actuelle de la pharmacie, et plus largement des soins de première ligne, au Royaume-Uni?La demande pour les soins de première ligne a beaucoup augmenté depuis la pandémie de COVID-19. En parallèle, le nombre de médecins de famille stagne depuis 10 ans. Enfin, nous comptons environ 9 millions de personnes sur liste d’attente pour des soins hospitaliers. Il y a donc un véritable défi à relever pour répondre à la demande. L’une des solutions est cette prise en charge des affections mineures en pharmacie, pour décharger les médecins de famille et leur permettre de traiter des problèmes plus graves. Cette relation avec les autres professionnels de santé, en particulier les médecins de famille, est vraiment essentielle.Les pharmacies ont longtemps été sous-exploitées, tant en termes de compétences que d’utilisation des locaux. Mais elles se sont montrées à la hauteur pendant la COVID-19, en délivrant quelques 9 millions de vaccins notamment. Cela a vraiment changé la perception du grand public et des décideurs à notre égard. En général, les niveaux de satisfaction du public sont très élevés quant aux services et aux résultats en pharmacie. [ndlr: Selon une enquête Ipsos pour la NHSE publiée en 2023, 73% des personnes interrogées indiquent qu’elles se rendraient en pharmacie pour obtenir un conseil ou une information sur un médicament, et 58% le feraient pour une affection mineure. Des chiffres en hausse par rapport à l’année précédente.]À lire aussi: Les clés pour optimiser les activités cliniques en pharmacieL’autre nouveauté, c’est qu'à partir de 2026, tous les pharmaciens diplômés seront automatiquement prescripteurs…Oui, en effet, tous les diplômés en pharmacie seront des prescripteurs indépendants prêts à l’emploi, en quelque sorte. Mais on ne sait pas encore dans quel cadre, ni comment leurs compétences cliniques pourront être mises en pratique. Il est donc urgent d’en discuter avec notre gouvernement. Cela nécessitera sans doute une collaboration encore plus poussée avec les médecins de famille et d’autres acteurs du système de santé. Selon moi, l‘objectif des 10 prochaines années est vraiment d’inscrire la pharmacie communautaire dans une équipe de soins primaires de proximité. À lire aussi: Le Québec devrait accroître les soins cliniques en pharmacie, selon l'IEDM[ndlr: Les pharmaciens britanniques peuvent utiliser leur droit de prescription depuis la mise en place, dans 210 centres de soins intégrés, du Programme «pionnier» de prescription indépendante financé par la NHSE. Les services de prescription concernent en premier lieu les affection mineures, l’hypertension, les affections respiratoires et cardiovasculaires. Un cadre national est prévu pour l’année 2024.]Quelles ont été les conditions d'implantation de Pharmacy First en Angleterre?Il a fallu s’assurer au préalable que tout était prêt, du point de vue financement ou soutien au développement, afin que les pharmaciens puissent accueillir davantage de patients. Il y avait déjà eu plusieurs initiatives de la part du gouvernement pour encourager les gens à se faire soigner par d’autres personnes que leur médecin de famille. Le message est simple: allez d’abord à la pharmacie. Le gouvernement a ensuite dépensé entre 10 et 20 millions de livres dans une grande campagne de marketing et de communication pour mettre en lumière le rôle du pharmacien et toutes les nouvelles activités que nous pouvons faire pour le public, et ainsi amorcer un changement de comportement. Il était temps, car les pharmacies avaient clairement besoin de proposer de nouveaux services, mais aussi de financement pour pouvoir répondre à la demande des patients. Quel regard portez-vous sur la pharmacie au Québec?Beaucoup de choses très positives se passent en termes d’innovation, et au niveau fédéral, la transformation vers un régime national et universel d’assurance médicaments. L’une des choses qui m’a le plus marqué, c’est que les pharmaciens ont un accès complet au dossier médical du patient, et à ses résultats sanguins notamment. C’est clairement une chose que nous souhaiterions transposer en Angleterre.Le développement du numérique est aussi un enjeu que nous partageons. Nous nnous sommes occupés de la question du fax il y a quelques années déjà, dans le cadre du Programme de qualité des pharmacies (Pharmacy Quality Scheme, en vigueur depuis 2016). Cela a pris un accompagnement et un temps d’adaptation, mais je ne crois pas que vous trouverez un seul fax dans les pharmacies communautaires britanniques aujourd’hui!Nous avons des défis communs à relever dans le domaine des soins de première ligne, qu'il s'agisse de nos compétences ou du manque de main-d'œuvre, peu importe de quel côté de l'Atlantique on se trouve.

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