Échocardiographies: un Québec à deux vitesses, une facture qui enfle

Les médecins font-ils la bonne écho, au bon patient, au bon moment? La question n’est pas anodine. Dans son nouveau portrait, l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) rappelle que «le nombre d’examens d’échographies cardiaques a légèrement augmenté de 2014 à 2023», mais que «le taux d’examens pour 1000 personnes est demeuré stable (+0,6 %)». Un constat rassurant en apparence, mais qui cache des disparités importantes et une facture de plus en plus lourde.En 2023, 393 702 imageries échographiques du cœur ont été réalisées, soit 43,8 pour 1000 habitants. L’échographie transthoracique (ETT, code 8303) représente à elle seule 88% des actes. Les deux tiers sont effectués en contexte électif, près de 30% en hospitalisation et à peine 4% à l’urgence. «Le taux d’examens d’échographies cardiaques est plus élevé selon l’âge; près de 80% sont réalisés chez les 50 ans et plus» précise le rapport.À lire aussi: La taille et la forme du cœur changent avec l'exercice à haute intensitéLa facture globale suit la même pente: 59 M$ en 2014 contre 85 M$ en 2023, pour un coût moyen de 216,60$ par examen. Comme le note l’INESSS, «le coût moyen par examen s’élevait à 195,48$ en 2014.» Les auteurs préviennent que ces coûts sont appelés à croître, sous l’effet conjugué du vieillissement, de l’inflation et de nouvelles techniques comme le STRAIN, une analyse échographique de la mécanique myocardique, ou l’utilisation d’agents de contraste.Des disparités régionales persistantesL’INESSS relève des écarts marqués à travers la province. «Le taux d’échographies cardiaques transthoraciques varie selon les régions sociosanitaires, de 33,4 à 52,6 examens pour 1000 personnes», peut-on lire dans le rapport. Montréal et Laval se situent sous la moyenne provinciale, tandis que la Côte-Nord et la Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine affichent les taux les plus élevés. L’Institut souligne que la prévalence locale des maladies cardiaques n’explique pas tout. «La variation régionale observée dans les taux d’examens ne semble pas uniquement associée à la prévalence des maladies cardiaques». D’autres facteurs extrinsèques entrent en ligne de compte, comme les temps d’attente, le nombre de technologues qualifiés ou le parc d’appareils disponibles.Qui fait les examens?La cardiologie domine (84% des actes), mais en dehors des grands centres, la médecine interne prend une place significative; jusqu’à 43% des examens dans certaines régions éloignées. «Des efforts ont été consentis au cours des dernières années afin de former un plus grand nombre de médecins internistes à l’échographie cardiaque», ont observé les experts de l’INESSS.Côté patients, une disparité persiste aussi selon le sexe. «Une différence du taux d’examens entre les hommes et les femmes est notée chez les 50 ans et plus, quelle que soit la strate d’âge» relève le rapport, sans pouvoir trancher entre physiopathologie, incidence réelle et possibles occasions de soins manquées.À découvrir: Cas prise de tête: quand une image surprenante vaut mille motsRépétitions: utile ou évitable?Chez les adultes, 22 655 examens (soit 7% des ETT) sont répétés à moins de 3 mois dans un même établissement, 3,9% dans un autre. Chez les enfants, les répétitions sont plus fréquentes, justifiées par le suivi diagnostique ou post-opératoire. L’Institut met toutefois en garde. La «proportion d’échographies cardiaques répétées de façon rapprochée avec le temps» mérite d’être questionnée, surtout chez les adultes. Comparaisons hors QuébecDifficile d’établir un classement absolu, mais quelques repères éclairent le débat. En Ontario, le volume d’ETT était estimé à 48,6/1000 habitants en 2019, contre 35,8/1000 au Québec la même année. Aux États-Unis, le taux global d’échocardiographies a culminé autour de 227/1000 personnes-années en 2009, avant de redescendre vers 210 en 2016, après des initiatives de contrôle de pertinence. Le Québec apparaît donc dans une zone médiane-basse, mais avec des écarts internes comparables à ceux observés ailleurs.Bon usage et recommandationsComment réduire les examens de faible valeur? L’INESSS a produit ces dernières années plusieurs guides pratiques et outils décisionnels à destination des cliniciens. Le premier volet porte sur les valvulopathies et précise quand une échographie est réellement indiquée (évaluation initiale, suivi de valves natives ou prothétiques), en évitant les examens annuels systématiques. Le second volet concerne l’insuffisance cardiaque, avec des indications précises pour l’ETT initiale et de suivi, complété par un outil clinico-pratique intégrable à la requête. Ces ressources offrent des algorithmes simples pour déterminer la pertinence d’une écho, ajuster la fréquence des contrôles et prioriser les cas où le résultat modifie concrètement la conduite clinique.«L’échocardiographie ne devrait pas être demandée si elle n’est pas susceptible de faire changer la démarche clinique», insiste INESSS. Dans le même esprit, «une ETT est rarement appropriée, voire inappropriée, moins d’un an après ce même examen […] s’il n’y a pas de nouveaux symptômes ni de changement au tableau clinique.» Choisir avec soin Québec recommande de son côté de ne pas procéder à une échocardiographie «pour le suivi d’une valvulopathie native, asymptomatique et bénigne chez les patients adultes dont les signes ou les symptômes ne changent pas.» Ces messages sont complétés par des fiches destinées aux patients, utiles notamment dans le contexte préopératoire.À consulter: Cœur + AVC lance un nouvel outil en ligne pour connaître ses facteurs de risqueCe portrait de l’INESSS ouvre une réflexion qui dépasse largement l’échocardiographie. Selon Choisir avec soin Québec, jusqu’à 30% des examens et procédures réalisés dans le système de santé seraient inutiles ou de faible valeur. L’écho cardiaque n’est donc qu’un miroir grossissant d’un enjeu plus vaste: comment prescrire au plus juste dans un contexte de ressources limitées, sans nuire à la qualité des soins? RéférenceInstitut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS). Échographie cardiaque: pratiques actuelles. État des pratiques rédigé par Mario Méthot, Éric Shink et Serge Djossa Adoun. Québec, Qc: INESSS; 2025. 17 p.

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