Droit et pratique - Substitution générique en faveur de marques privées: le débat qui n’a jamais eu lieu

Le 3 février dernier, la cour divisionnaire de la cour supérieure de l’Ontario a rendu une décision invalidant un aspect important de la récente réforme de la ministre de la Santé de cette province, soit l’interdiction de recourir à la substitution générique en faveur de médicaments de marques privées. Cette prohibition est jugée ultra vires ou au-delà des pouvoirs des lois qui définissent le régime ontarien.On se rappellera que le 1er juillet 2010 entrait en vigueur une série de modifications réglementaires visant l’Ontario Drug Benefit Act (ci-après ODBA) et le Drug Interchangeability and Dispensing Fee Act (ci-après DIDFA). Ces modifications ont principalement pour effet de réduire le prix des médicaments génériques à 25 % du prix de l’original dans le secteur public et d’éliminer les « allocations professionnelles » versées par les fabricants aux pharmaciens. Des mesures similaires s’appliquent au secteur privé, mais entrent en vigueur par étapes jusqu’en 2013.Un aspect particulier de cette réforme du régime ontarien touchait les produits de marques privées :Cette décision de la ministre entraîna, bien entendu, de vives protestations, notamment de Shoppers Drug Mart Inc., laquelle était sur le point de mettre en marché un certain nombre de médicaments génériques sous l’étiquette Sanis. Shoppers, ainsi que d’autres exploitants de chaînes de pharmacies au Canada, contestèrent donc la légalité de cette disposition, avec succès.Dans la décision Shoppers Drug Mart Inc. v. Ontario, 2011ONSC 615, les juges se sont déclarés d’avis que cette disposition réglementaire :(1) se situe à l’extérieur du champ de compétence réglementaire délégué à la ministre par la loi habilitante, en particulier en raison du fait que la disposition crée une prohibition plutôt que de réglementer;(2) ne respecte pas le but visé par la loi habilitante; et(3) entre en contradiction des droits commerciaux et de propriété, ce qui n’est pas expressément autorisé par la loi habilitante.En effet, le ODBA et le DIDFA sont des lois ayant pour finalité :N’ayant pu établir de lien rationnel entre l’introduction sur le marché de médicaments génériques de marques privées et une contradiction dans les buts poursuivis par ces lois, cet aspect de la réforme fut donc déclaré ultra vires, c’est-à-dire illégal et inopérant.Cette décision nous apparaît tout à fait bien fondée. Les régimes provinciaux d’assurance médicaments, malgré leurs distinctions, poursuivent en général un même objectif, soit d’offrir la meilleure couverture possible au meilleur coût possible à la population. Au Québec, on parle d’un régime « d’assurance » universel. Ce qui, toujours à notre avis, ne met pas fin au débat entourant la légitimité de recourir aux médicaments génériques de marques privées…Un passage de cette décision nous est apparu fort intéressant :[71] Thus, two justifications were offered for the regulation banning private label products:(1) to protect against a potential conflict of interest; and(2) to prevent profits being retained within pharmacy-controlled organizations without benefiting customers. This latter concern is described as being something “similar” to a rebate, even though the government acknowledges that it is not actually a rebate.La légalité de l’utilisation des médicaments génériques de marques privées n’est pas un débat commercial ou économique. Personne ne conteste le droit général de faire des affaires et de tenter d’améliorer la profitabilité d’une entreprise. La question avec les plutôt de savoir si le recours à ces produits entre en contradiction des lois et règlements qui gouvernent l’exercice de la pharmacie.L’article 24 de la Loi sur la pharmacie2 est clair :On a recours aux médicaments génériques de marques privées depuis plusieurs mois au Québec. Les produits Pro Doc et maintenant Sanis sont régulièrement dispensés par les pharmaciens-franchisés membres de franchiseurs-fabricants. Personne ne semble y voir de problème chez les intervenants concernés…Pourtant, nombreux sont ceux qui établissent un lien « d’intérêt » entre un franchiseur et ses franchisés. Et il serait certainement intéressant de mener un sondage qui permettrait de mesurer « l’indépendance » des pharmaciens quant à la sélection de ces produits de marques privées.De fait, il est assez cocasse de constater que les pharmaciens actionnaires et propriétaires d’un réseau de distribution leur permettant une plus grande indépendance ne peuvent investir dans le développement d’une marque privée, alors que le pharmacien franchisé, jouissant généralement d’une moins grande marge de manœuvre, tout au moins contractuelle, pourra recommander, semble-t-il, sans problème le médicament de son franchiseur-fabricant.À quand le vrai débat ?Références:1. Apotex Inc. v. Ontario (Minister of Health) (2004), 73 O.R. (3d) 1. (C.A.).2. L.R.Q. ch. P-10.

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