Drame familial de Piedmont - Réactions : Êtes-vous à risque d'ignorer les signaux préalables à un tel drame ?

«Toute ma collectivité, surtout médicale et paramédicale, est dévastée. Au moins servons-nous de cette tragédie pour tenter de comprendre de quelle façon on pourrait mieux aider les hommes, médecins compris, et éviter la répétition de telles horreurs.À partir de la sélection universitaire, les exigences sont claires et chacun doit être meilleur que l’autre. Il n’y a donc pas de place pour l’erreur, car l’erreur fait du médecin un mauvais médecin, et non pas juste un médecin qui a fait une erreur.Les heures de travail sont excessives (j’ai déjà fait 104 heures dans une semaine lors de mes stages);Le médecin est là pour soigner et, pense-t-il, il y en a toujours de plus malades que lui. Cette erreur d’interprétation peut s’avérer tragique;Le niveau d’exigence, de compétitivité, finit par user et souvent le médecin se réfugie dans l’hypertravail. C’est souvent son niveau d’endurance physique qui détermine de quelle façon il s’en sortira;Le niveau de culpabilité est considérable. S’il demande de l’aide, il se sent faible. Il a peur du jugement et craint de prendre la place d’un patient.Il faut que chaque homme apprenne à compartimenter sa vie, qu’il se fasse des tiroirs : un pour chaque secteur important. Un pour lui en tant que fils, un pour lui en tant que père, en tant que professionnel, en tant que conjoint. De sorte que si un jour un de ces secteurs montre un signe de défaillance, les autres tiroirs seront toujours intacts. Un échec dans un domaine ne fera pas de lui un échec de toute sa personne. »Dr Gilles LaurinMédecin de familleSaint-Jérôme« Les médias ont rapporté que les collègues du Dr Guy Turcotte n’avaient pas perçu de signaux d’alerte. Il n’y a pas eu de drapeau rouge. L’identification des situations graves peut être difficile. Mais je crois qu’il faut demeurer vigilant. Personne n’est immunisé contre ce genre de catastrophe. La médecine est une profession qui comporte un haut niveau de stress. Chez des êtres vulnérables ou sensibles, cela peut se traduire par un geste de ce genre. Heureusement, c’est rare. Le plus important, c’est que les personnes aillent chercher de l’aide pour éviter un tel drame. »Dr Louis De RepentignyMicrobiologiste-infectiologueCHU Sainte-JustineMontréal«Ce drame me touche beaucoup, même si je ne connaissais pas personnellement le Dr Turcotte. Ça me fait réfléchir sur ma pratique et sur la place que je donne à ma famille dans ma vie. Difficile de dire si la médecine est une profession davantage à risque, mais j’aurais tendance à dire que oui. Les médecins en général – pas seulement les cardiologues – sont confrontés à des horaires de travail contraignants et une conciliation travail-famille parfois difficile. J’ai l’impression que les gens négligent leur vie personnelle. Le niveau de stress et les taux de dépression sont élevés dans la profession. »Dr Dominique GrandmontCardiologueCentre hospitalier Honoré-MercierSaint-Hyacinthe« Je suis profondément touchée par cette tragédie. Il est difficile de se mettre dans les souliers d’un collègue vivant une telle détresse. Cependant, nous sommes tellement accaparés par notre travail, avec des heures sans fin et des demandes toujours croissantes, que nous ne nous épanouissons pas suffisamment dans notre vie personnelle sur les plans spirituel et affectif. En plus, on n’a pas le temps de vraiment demander à nos collègues : comment vas-tu ? et d’écouter leur réponse. Les médecins sont (stupidement ?) trop orgueilleux pour demander de l’aide. »Dre Raquel del Carpio-O’DonovanRadiologiste et professeure à McGillMontréalLorsqu’un couple se sépare, l’homme est plus à risque, car en matière de séparation, la loi est souvent contre les hommes au départ. L’homme est a priori perdant, ce qui augmente sa détresse. Tout cela ne justifie en aucun cas un acte aussi désespéré que celui qui vient de survenir à Piedmont et loin de moi surtout l’idée de le justifier. Il reste que les femmes sont le plus souvent gagnantes devant la justice des juges. Souvent perçu comme un simple géniteur, le gars se fait ensuite lessiver financièrement.Guy est le premier responsable de la mort de ses deux enfants, mais ne faudrait-il pas voir aussi la part de responsabilité indirecte de l’épouse dont je respecte par ailleurs l’immense souffrance? Les actes de certains hommes sont imprévisibles devant des situations extrêmes, et surtout devant leurs épouses qui deviennent aussi, dans certains cas, protégées par le cercle des femmes, des marâtres. La garde des enfants devient un problème crucial. Guy est devenu furieux, intolérant devant l’intolérance des demandes à venir. La seule sortie du marasme, à ses yeux, aura été de priver à vie la mère de ses enfants. Quel gâchis !Dr Clément VézinaMédecin de familleSaint-Pierre-de-l’Île-d’Orléans«Non, ça n’a rien à voir avec la profession. La détresse des gens vient la plupart du temps du besoin de prouver qu’ils ont raison, convaincus qu’il existe une situation d’injustice et qu’ils doivent se faire justice. Quand on voit une personne qui persiste à dire qu’elle a raison et que l’autre a tort, c’est une bombe à retardement. Je l’ai vu dans toutes les strates de la société. Pour moi, l’affaire Piedmont, c’est ça : quelqu’un qui n’a pas voulu perdre en acceptant de se réorganiser.Quand un couple se sépare et prend les enfants en otage, c’est toujours terrible. Mais quand, en plus, on en est rendu à leur enlever la vie, c’est terriblement déchirant. Ça rend malade d’essayer d’avoir raison à tout prix. Dans une séparation, il faut apprendre à perdre sans se considérer comme perdant. Devant une personne qui persiste à dire que l’autre est dans l’erreur, il faut au moins en parler pour ne pas en arriver à des folies pareilles. Parce que c’est trop souffrant. »Dre Suzanne LamarrePsychiatre, Hôpital de St. MaryMontréalLire la suite du dossier Des médecins sous le choc

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