Douleur chronique: revenir à l'essentiel

La douleur est complexe. À travers cette nouvelle série d'articles thématiques, j'entends mettre les praticiens sur la même longueur d'onde concernant quelques principes fondamentaux relatifs à la douleur chronique, puis je me pencherai sur des cas réels de patients. Commençons donc par une terminologie de base sur la neurophysiologie de la douleur. La douleur chronique La douleur chronique est un problème majeur dans tous les pays et pour toutes les populations. Aux États-Unis, plus d'une personne sur cinq souffre de douleur chronique, ce qui entraîne des coûts estimés à 560 milliards de dollars US par an (coûts médicaux directs, perte de productivité et programmes d'invalidité). Au Canada, les projections préliminaires de Santé Canada indiquent que 8,3 millions de Canadiens pourraient vivre avec une douleur chronique d'ici 2025. Les coûts estimés en 2030 devraient atteindre 52 à 55 milliards de dollars CA. La douleur chronique est plus fréquente chez certains patients et dans certains groupes socio-économiques (par exemple, les personnes âgées, les femmes, les anciens combattants, les chômeurs ou les personnes vivant dans la pauvreté, les adultes LGBT+, les Autochtones et les groupes raciaux et ethniques ayant subi des traumatismes historiques). Cette introduction donne une idée de l'ampleur de la douleur chronique. Toutefois, les études épidémiologiques ne nous apprennent pas grand-chose sur l'origine des douleurs chroniques.L'une des questions que l'on me pose fréquemment est la suivante: «Qu'est-ce que la douleur chronique?» Bien que la douleur soit une expérience universelle, il existe de nombreuses définitions. Lorsque nous ressentons une douleur, par exemple à la suite d'une lésion dorsale aiguë ou d'une fracture de la jambe, les gens se libèrent de la douleur une fois que sa cause disparaît. Pourtant, un nombre restreint, mais non négligeable, de personnes développent une douleur chronique durable. Tout d'abord, il n'y a pas de relation claire entre l'ampleur des lésions tissulaires et le degré de douleur ressentie ou l'altération des fonctions. Pour comprendre comment la douleur chronique se développe et se maintient, nous devons d'abord étudier comment la douleur aiguë est générée et perçue - ce qui se passe lorsqu'un marteau frappe un pouce et que la personne à l'extrémité de ce pouce s'écrie «Aïe!». Savoir comment la douleur aiguë se produit peut aider à comprendre comment elle se transforme en douleur chronique et persistante.La douleur a beaucoup de points communs avec les expériences sensorielles que sont l'ouïe et la vue, mais elle en diffère également de manière significative. Les stimuli sensoriels sont généralement détectés par des récepteurs périphériques, qui sont des organes ou des cellules conçus pour répondre à une stimulation externe. De petites quantités de stimuli provenant de différentes sources, telles que les vibrations, la pression, la tension et la lumière, déclenchent une réponse dans les types de récepteurs à «bas seuil». En revanche, une stimulation plus importante est nécessaire (pression mécanique intense, chaud, froid et/ou stimuli chimiques - potentiellement nocifs) pour déclencher l'activité des récepteurs de la douleur (appelés nocicepteurs). Les signaux générés sont transmis à un autre ensemble de tissus nerveux situés dans les cornes dorsales de la moelle épinière. Les neurones corticaux modulent les impulsions électriques nociceptives provenant de la sphère périphérique, car ils sont capables d'en augmenter ou d'en diminuer l'intensité. Après les cornes dorsales, les impulsions nociceptives sont transportées principalement par le tractus spinothalamique antérieur (du côté contralatéral de la moelle épinière) jusqu'à plusieurs zones du cerveau et du tronc cérébral, notamment le thalamus, l'amygdale, le cortex somatosensoriel, etc. Lire aussi: Nouveau guide pratique pour évaluer et traiter la douleur chronique en première ligneLa sensibilité centrale est un phénomène qui a récemment fait l'objet d'une grande attention. Si la stimulation nociceptive persiste, certains neurones de la corne dorsale sont «sensibilisés» - dans le sens où ils abaissent leurs seuils de déclenchement, augmentant ainsi l'intensité des impulsions nociceptives. Le concept de sensibilité centrale a été développé en clinique et on considère qu'il est à l'origine de nombreuses douleurs réfractaires au traitement. Une fois établie, le simple toucher de la peau, ainsi que d'autres stimuli (par exemple, la lumière, le son, l'odeur, la chaleur, le froid) sont ressentis comme plus intenses et inconfortables.Outre la sensibilité centrale qui se produit au niveau de la corne dorsale, un autre processus provenant des centres supérieurs du cerveau et du tronc cérébral (appelé modulation descendante) peut également modifier les impulsions électriques arrivant aux cornes dorsales. Ce processus peut être soit inhibiteur (inhibition descendante ou anti-nociception), soit facilitateur (facilitation descendante ou pro-nociception). La modulation descendante peut exercer des effets puissants. Par exemple, les soldats blessés peuvent ne ressentir aucune douleur jusqu'à ce qu'ils aient quitté le champ de bataille en toute sécurité (inhibition descendante). Ou encore, une simple coupure de papier au cours d'une journée de travail stressante peut être très douloureuse (facilitation descendante). L'un des nombreux mécanismes de la douleur chronique consiste à faire pencher la balance du côté de la facilitation descendante. Bon nombre des changements neurophysiologiques décrits ci-dessus sont adaptatifs, permettant par exemple à une personne de faire face à la douleur jusqu'à la guérison. Cependant, de multiples changements inadaptés dans la structure et la fonction du système nerveux central peuvent également se produire, maintenant et exagérant la douleur même après la guérison d'une blessure. Dans les prochains articles, j'aborderai les changements inadaptés dans les cas de patients que j'ai vus.Lire aussi: Vos bonnes ondes pourraient-elles soulager la douleur de vos patients?Des modifications structurelles du cerveau et des altérations «fonctionnelles» des circuits cérébraux (sans modifications structurelles réelles du cerveau) sont observées dans différentes formes d'imagerie cérébrale chez les humains et les animaux souffrant de douleurs. En effet, la recherche a confirmé des changements fonctionnels et/ou structurels dans de nombreux syndromes cliniques tels que le mal de dos, la fibromyalgie, le syndrome du côlon irritable, le syndrome douloureux régional complexe (SDRC), l'arthrose du genou, les maux de tête et la douleur vulvaire chronique, ainsi que dans des modèles animaux de douleur chronique. La plupart de ces informations sont basées sur la référence suivante: Mailis A., Assimakopoulos D., Lakha S.F., Hapidou E. An integrated medical and psychological approach to understanding and assessing chronic pain. Dans: Young, G., Bailey, T., Giromini, L., Soble, J., Rogers, R., & Levitt, B. (2023). Handbook of Psychological Injury and Law. Cham, Switzerland: Springer Nature.

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