Deux pharmaciens sanctionnés pour de graves manquements dans le suivi d’un patient, depuis dans un état végétatif

Un patient vulnérable a dû être hospitalisé aux soins intensifs, puis placé en résidence en raison de sa perte d’autonomie, à la suite de plusieurs manquements dans sa prise en charge et son suivi par sa pharmacie communautaire habituelle, apprend-on dans une récente décision du Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens (OQP).En conséquence, ce dernier vient de condamner le pharmacien propriétaire Said Khaouam et l’une de ses pharmaciennes salariées, Juljulian Saour, à deux amendes de 5000$ et 4500$ – sur recommandation conjointe des parties – pour de graves négligences dans la délivrance des médicaments et le suivi d’un patient vulnérable. La pharmacienne salariée n’est par ailleurs plus inscrite au Tableau de l’Ordre des pharmaciens depuis le 28 mars 2025 et s’est également engagée à ne plus se réinscrire pour l’avenir.Un anticoagulant à surveiller de prèsLes faits remontent au mois d’octobre 2023. Le patient, un homme de 77 ans, est un client régulier de la pharmacie Familiprix Said Khaouam située à Montréal. Il considère même le pharmacien propriétaire et sa femme comme «de la famille». Traité de longue date avec du RivarobaxanMD, son médecin de famille a modifié sa médication au mois d’août 2023, la remplaçant par de l’apixaban (EliquisMD) 5 mg deux fois par jour (BID) à la suite d’une hospitalisation. Sur le même sujet: Une pharmacienne sanctionnée pour négligence dans l’exécution d’une ordonnance de stupéfiantsL’apixaban, un anticoagulant oral pour prévenir le risque d’AVC, nécessite une vigilance accrue ainsi qu’une prise régulière, et le Guide d’utilisation des anticoagulants oraux directs (AOD) indique à son propos qu’il est «essentiel d’effectuer un renforcement positif sur l’observance au traitement et l’impact négatif dans le cas contraire et que l’adhésion au traitement doit être vérifié à chaque visite, ou en l’espèce, à chaque renouvellement».Or, le patient en question, vulnérable, a des problèmes récurrents d’inobservance de médication bien connus de sa pharmacie communautaire. En plus de ce traitement, le patient âgé doit prendre du Mint-AtenolMD 25 mg, une fois par jour (DIE) pour son hypertension et du sulfate ferreux 300 mg DIE. Tous ces médicaments sont à renouveler chaque mois. Aucun renouvellement pendant deux moisEn temps normal, ce sont la femme ou la fille du patient qui appellent la pharmacie pour renouveller sa médication, laquelle est ensuite livrée directement à son domicile. Le pharmacien propriétaire lui sert une première fois l’apixaban le 5 août, puis le 2 septembre et le 3 octobre 2023. Ce dernier assurera auprès du syndic avoir rappelé à la femme du patient «l’importance de prendre son traitement de façon régulière, sans plus». Or, «l’inobservance de la thérapie médicamenteuse par le patient vulnérable et polymédicamenté, qui est connu par l’intimé, est grave et sérieuse, et devait constituer un signal d’alarme pour le pharmacien», souligne le rapport du Conseil de discipline. Mais Said Khaouam ne prend pas soin de contacter le médecin de famille de son patient en lien avec cette inobservance.Le renouvellement suivant est exécuté par la pharmacienne salariée le 18 novembre 2023 seulement, soit avec un retard de 16 jours environ. Un mois plus tard, le 18 décembre 2023, le pharmacien propriétaire renouvelle d’autres médicaments pour le patient, mais pas l’apixaban. Dix jours plus tard, rebelote: la pharmacienne salariée renouvelle deux médicaments au dossier-patient, mais pas l’apixaban. Même chose le 10 janvier 2024, date à laquelle le pharmacien propriétaire renouvelle seulement le clonazépam et pas l'apixaban.Ne manquez pas: Un pharmacien donne dix fois la dose de lévothyroxine prescrite à un nouveau-néLe lendemain, soit le 11 janvier 2024, lors de l’analyse du dossier patient en lien avec l’exécution d’une nouvelle ordonnance pour du ClavulinMD, Said Khaouam n’effectue aucun suivi au sujet du retard de l’apixaban et n’inscrit aucune note au dossier-patient à ce propos.Le 17 janvier 2024, l’épouse du patient refuse elle-même de faire renouveler l’ordonnance d’apixaban, indiquant que son mari n’en a pas besoin pour le moment. Le patient est donc resté sans apixaban depuis deux mois.«En l’espèce, non seulement l’intimé tarde dans le renouvellement de trois thérapies médicamenteuses ou les oublie carrément, il n’inscrit aucune note au dossier permettant aux autres pharmaciens d’assurer un suivi», rapporte le Conseil dans sa décision. De plus, selon le syndic, le pharmacien propriétaire n’a pas non plus réalisé de suivi en lien avec les retards dans le renouvellement des ordonnances de Mint-AtenolMD (retard de 13 jours) et de sulfate ferreux (aucun renouvellement depuis le 18 novembre 2023).Or, cinq jours plus tard, le 22 janvier 2024, le patient est admis aux soins intensifs de l’Hôpital de la Cité de la Santé à Laval pour une altération de l’état de conscience nécessitant une intubation. Un scan cérébral démontre une lésion ischémique frontale compatible avec un AVC d’origine cardio-embolique. Le patient de 77 ans est depuis dans un état végétatif, et a dû être institutionnalisé. Le rapport de décision du Conseil de discipline souligne que «les conséquences réelles de l’omission [du pharmacien propriétaire et de la pharmacienne salariée], en ce qui concerne l’apixaban et les autres médicaments, sont sérieuses, graves et irréversibles. [Le patient] a subi un AVC qui a nécessité son hospitalisation et l’a laissé dans un état végétatif. Il se retrouve maintenant hébergé en CHSLD ayant perdu toute autonomie».Le Bureau du syndic a été alerté par une pharmacienne attitrée aux soins intensifs de l’hôpital qui s’est aperçue de la rupture de traitement en analysant le bilan comparatif des médicaments du patient.«Le pharmacien n’est pas un simple “préparateur de médicament”»Dans sa décision, le Conseil de discipline a retenu plusieurs facteurs aggravants visant le pharmacien propriétaire et sa pharmacienne salariée. Tout d’abord, leur grande expérience professionnelle au moment des faits – respectivement 20 et 35 ans de pratique. Ensuite, les conséquences graves pour le patient, déjà vulnérable et polymédicamenté, et qui ne respecte pas sa thérapie. En effet, «le pharmacien qui sert des thérapies médicamenteuses à un patient assume la responsabilité d’en assurer le suivi requis, sauf s’il s’est assuré qu’un collègue ou un autre professionnel a pris en charge le patient», rappelle la décision. Consultez: Trois pharmaciens coupables des mêmes négligences dans l’exécution d’une ordonnanceLes deux professionnels sont aussi accusés de n’avoir effectué aucune démarche auprès du médecin de famille, de ne pas avoir considéré les signaux d’alerte concernant ce patient et de n’avoir effectué aucun suivi au dossier électronique. Or, le rôle du pharmacien «ne se limite pas à vendre des médicaments brevetés, et ses gestes ne peuvent pas être purement mécaniques. Le pharmacien n’est pas un simple “préparateur de médicament”», a rappelé le Conseil.Enfin, contrairement à la pharmacienne salariée, le pharmacien propriétaire a commis des gestes répétés, puisque trois médicaments au total n'auront pas été servis au patient.Plusieurs facteurs atténuants ont toutefois été retenus en faveur des deux pharmaciens: leurs plaidoyers respectifs de culpabilité et leurs regrets sincères ainsi que leur absence d’antécédents disciplinaires. En outre, le pharmacien propriétaire affirme désormais utiliser au sein de sa pharmacie un logiciel de rappel des renouvellements et d’inscriptions de notes au dossier, ainsi qu’un agenda électronique. Il dit contacter le médecin de famille en cas d’inobservance, et assure qu’il ne se fie plus à la famille de ses patients.

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