Deux pharmaciens propriétaires sanctionnés pour s’être enrichis illégalement pendant la pandémie

C’était une mécanique bien huilée. Les pharmaciens propriétaires vendaient du gel hydroalcoolique ou un écran solaire à leurs clients, et facturaient des équivalents bien plus coûteux au tiers payeur du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI), pour un profit global de 205 000$. Ces derniers viennent d’être reconnus coupables par le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens (OPQ) d’avoir enfreint l’article 55 du Code de déontologie des pharmaciens, selon lequel «Le pharmacien doit s’acquitter de ses obligations professionnelles avec intégrité.» Dans deux décisions distinctes, Joseph Alexander Basa a écopé de 25 000$ d’amendes au total et de deux radiations de deux mois chacune devant être purgées de manière concurrente à partir du 1er mai 2025, tandis que son confrère Mathieu Roberge a écopé de 17 500$ d’amendes au total. Une manœuvre répétée près de 4500 fois en sept moisNous sommes au mois de février 2021, soit un an après le début de la pandémie de Covid-19. Joseph Alexander Basa est responsable du programme Programme fédéral de santé intérimaire dans sa pharmacie Brunet, située au 100-1605, boulevard Marcel-Laurin à Saint-Laurent (Montréal), qu’il possède avec son associé Mathieu Roberge. Au moment des faits, soit entre les mois de février et d’octobre 2021, la pharmacie Basa et Roberge compte environ 150-200 patients couverts par le PFSI.Pendant cette période, les deux pharmaciens ont vendu à leurs patients couverts du gel de type désinfectant à main tout en facturant de l’éthanol 95% au PFSI. «Le désinfectant à mains, bien que contenant de l’éthanol, n’était pas couvert par le PFSI, ce produit n’ayant pas de DIN», note le Conseil de discipline dans sa décision. Quel que soit le format du gel hydroalcoolique remis au patient, la somme réclamée au tiers payeur était toujours fortement majorée selon l’enquête du syndic. À 3000 reprises, Alexander Joseph Basa a fait passer du gel hydroalcoolique désinfectant pour un produit d’éthanol 95% auprès de Croix-Bleue Medavie. De son côté, Mathieu Roberge a réalisé la même opération à 200 reprises. Bénéfice total pour la pharmacie: 115 000$. «Au plus fort de la période, plus de 100 patients faisaient l’objet d’une facturation mensuelle au PFSI pour de l’éthanol 95%», précise la décision. Mais ce n’est pas tout. Entre les mois d’avril et octobre 2021 cette fois, les deux copropriétaires ont réitéré la même manœuvre avec des crèmes solaires. Bien qu’ayant remis des produits de la marque Neutrogena à leurs patients, les pharmaciens facturaient au PFSI des écrans solaires Anthelios de La Roche-Posay. Ces derniers étaient non seulement couverts, mais sensiblement plus chers que les produits réellement vendus. À lire aussi: Un pharmacien écope de 155 000$ d'amendesCette fois-ci, Alexander Joseph Basa a fait cette substitution pas moins de 1200 fois et Mathieu Roberge 50 fois, «en toute connaissance de cause» note le syndic, pour un profit de 90 000$. Au total, les deux pharmaciens propriétaires ont donc réalisé un gain de 205 000$ grâce à ces demandes de remboursement illicites, alors que le syndic n’a trouvé aucune trace d’achats d’éthanol 95% ou d’écran solaire La Roche-Posay effectués auprès des différents grossistes de la pharmacie durant la période à la plainte.«Un modus operandi bien rôdé»Dans sa décision, le Conseil de discipline de l’OPQ dénonce le manque d’honnêteté et d’intégrité, mais aussi le laxisme et la nonchalance graves des deux pharmaciens propriétaires dans cette affaire. En effet, la gestion des remboursements par les tiers payeurs repose sur «la probité des pharmaciens et sur la véracité des informations inscrites dans les demandes de remboursements», peut-on lire. En outre, ces services facturés illégalement «ont représenté une source de revenus significative pour la pharmacie durant la pandémie». L’expérience professionnelle des deux pharmaciens – inscrits au tableau de l’Ordre depuis 2009 et 2006 –, ainsi que le caractère volontaire de la fraude sont des circonstances aggravantes selon le Conseil, qui explique que ces derniers ont «exploité les faiblesses et les failles du programme PFSI dans un contexte de pandémie. [Leur] manière de procéder constituait un modus operandi bien rodé.»Cependant, au vu de la gravité moindre des faits qui lui sont reprochés, Mathieu Roberge n’est pas sanctionné d’une radiation temporaire, contrairement à Joseph Alexander Basa. «Bien qu’il ne pose pas autant de gestes illicites que l’intimé, M. Basa, et qu’il n’est pas le responsable de l’implantation du programme PFSI dans sa pharmacie, [Mathieu Roberge] ne pouvait ignorer que ces actes étaient malhonnêtes. Il ne pouvait faire preuve d’aveuglement volontaire», souligne la décision. À lire aussi: Un pharmacien radié 31 mois pour une trentaine d’infractions gravissimesBien que les deux copropriétaires aient plaidé coupable, exprimé des regrets, n’aient pas d’antécédents judiciaires et aient immédiatement cessé les faits reprochés dès le début de l’enquête du syndic – ce qui constitue des faits atténuants –, le Conseil de discipline a estimé que les faits étaient suffisamment graves et portaient atteinte à la probité de la profession dans son entier, ainsi qu’à la relation de confiance avec les patients. «L’obligation pour un professionnel d’être intègre est directement liée à la crédibilité de la profession [...], surtout lorsque ce manque de probité concerne les deniers publics qui financent les services publics», rappelle le Conseil. Ce dernier a accepté de différer l’exécution des radiations temporaires visant Joseph Alexander Basa pour lui laisser le temps de vendre ses parts – n’étant plus inscrit au tableau de l’Ordre, il ne peut plus détenir de parts dans sa pharmacie.

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