Des pilules pour tous les maux

Helga Vandervelden a 68 ans. Elle fait de l’hypertension depuis plus de 15 ans. Elle se souvient d'avoir eu un «éclampsisme» lors de sa dernière grossesse et d'avoir passé un mois alitée à l'hôpital.Au fil du temps, son hypertension a augmenté et elle a accepté un traitement par pilules pour prévenir le risque d'accident vasculaire cérébral (et d'autres lésions aux organes). Elle n'est ni en surpoids, ni diabétique, ni somnolente, ni accro au sel. Elle évite les anti-inflammatoires et l'alcool, fait régulièrement de l'exercice et connaît sa tension moyenne à domicile (129/80). Je suis un peu rouillé lorsqu'il s'agit d'examiner la rétine, mais elle n'a pas de micro-albuminurie et son électrocardiogramme ainsi que ses examens de laboratoire sont normaux. Elle ne présente aucun symptôme et suit un régime pauvre en sel, mais riche en hydrochlorothiazide 12,5 mg par jour, en Ramipril 5 mg par jour et en Amlodipine 5 mg au besoin (lorsque sa tension artérielle systolique dépasse 160 mg lors de deux mesures successives). Elle ne reproche pas à ses parents d'avoir de mauvais gènes: ils lui ont donné tout ce dont elle avait besoin pour devenir une maraîchère prospère et une mère de trois enfants.Parfois, elle demande: «Je n'ai aucun symptôme: pourquoi dois-je prendre des pilules?». Je lui parle de la pression dans les tuyaux du système de chauffage de son sous-sol et des conséquences de la surcharge des radiateurs et des pompes. Elle me croit lorsque je lui parle de la réduction de l'incidence des accidents vasculaires cérébraux grâce à un traitement optimal de la tension artérielle, une réduction qui m'est clairement apparue tout au long de ma carrière. «Je crains les accidents vasculaires cérébraux, car ma mère en est morte à l'âge de 64 ans», et elle repart avec un renouvellement de son ordonnance. Je pourrais présenter les données probantes, mais ce serait exagéré.Depuis combien de temps les médecins préconisent-ils des remèdes pour les maladies asymptomatiques? La plupart des patients ne «ressentent» pas leur tension artérielle, si ce n'est des palpitations occasionnelles ou un essoufflement en montant les escaliers. Jusqu'à ce que quelque chose de terrible se produise. Les organes sont endommagés, parfois de manière irrémédiable. Les artères n'ont tout simplement pas été conçues pour contenir une pression élevée et, comme des tuyaux, elles éclatent, se fendent, se rétrécissent ou fonctionnent mal. La réponse? Depuis peu de temps. Bien sûr, nous disposons de remèdes à base de plantes depuis des millénaires (principalement des liquides) et de pilules depuis peut-être 1500 ans. Les papyrus égyptiens font état d'ingrédients médicinaux mélangés à de la pâte, du miel et de la graisse, pour en faire de petites boules ou pilules. Dans la Grèce antique, les boules rondes ou d'autres formes étaient appelées katapotia (qui signifie «quelque chose à avaler»). C'est l'érudit romain Pline (23-79 après J.-C.) qui a inventé le mot «pilule».À lire aussi: Renouvellement ou prolongation, médecin ou pharmacien?À partir du Moyen Âge, les gens enrobaient leurs pilules de substances végétales visqueuses et d'autres matières afin qu'elles soient plus faciles à avaler ou qu'elles aient un goût moins amer. «Ils les roulaient dans des épices et, plus tard, décidèrent de les enrober d'or et d'argent», explique M. Griffenhagen.2 Malheureusement, ce dernier procédé rendait les pilules pratiquement inertes. Les médicaments sous forme de pilules ont fait fureur dans l'Angleterre du XVIIe siècle et par la suite. Les fabricants de pilules se voyaient même accorder par le roi des droits de brevet spéciaux pour leurs formules ultra secrètes.L'un des célèbres produits brevetés, les «Hooper's Female Pills» (1743), s'accompagnait d'une garantie de contenir «les meilleurs ingrédients purgatifs et antihystériques» pour les femmes souffrant «d'irrégularités», et comme remède à d'autres maux tels que «vertiges, palpitations et humeur dépressive». Il a été suggéré que les femmes enceintes ne devaient pas les prendre, mais elles sont devenues populaires en tant qu'abortif pour les grossesses inopportunes. Ces pilules étaient encore vendues en Angleterre et aux États-Unis bien avant la fin du 20e siècle.7Ma préférée est la «pilule perpétuelle» (antimoine), un traitement contre la constipation. Elles irritaient la muqueuse lors de leur passage dans l'intestin. La pilule pouvait être récupérée dans les excréments et réutilisée! Elles étaient considérées comme des objets de famille et, après avoir traversé une génération, elles étaient transmises à la suivante.4,5 Malheureusement, elles pouvaient aussi vous tuer. On pense que Mozart, hypocondriaque, est mort d'une surconsommation d'antimoine (utilisé dans le traitement de la fièvre et des douleurs internes).En 1843, un Britannique nommé William Brockedon a inventé un tout autre type de pilule. Il insérait de la poudre dans un tube et la comprimait à l'aide d'un maillet pour la rendre solide. Le comprimé ainsi «comprimé», allait révolutionner les pratiques de distribution pharmaceutique et conduire à la fabrication de pilules en usine.8Les années 1800 ont été marquées par toute une série d'innovations: l'enrobage de sucre et de gélatine des pilules, ainsi que l'invention des gélules de gélatine. Le XIXe siècle a également sonné le glas de l'ancienne pilule originale avec l'invention du comprimé.Dans les années 1900, vous pouviez utiliser les comprimés Golden Nugget de Hollister, qui contenaient des vitamines et du calcium, mais aussi du mercure et du plomb. Ou les Tutt's Liver Pills (1907), contre la paresse du foie (certainement une source de mercure); et les Magic Nerving Pills du Dr Sawen, contenant du calcium, du strontium et de petites quantités de fer, de brome et de mercure.En ce qui concerne les antihypertenseurs en particulier, la thérapie était assez limitée. Oui, les plantes contenant de la caféine et les diurétiques osmotiques (du grec ancien διουρέω: uriner) étaient connus et utilisés pour mobiliser les liquides dans l'hydropisie (insuffisance cardiaque).1 Les mercureux organiques (utilisés comme diurétiques depuis le XVIe siècle) constituaient un pilier du traitement, mais ils étaient toxiques pour le foie et les reins. Le Novsaurol, un agent antisyphilitique, a été fabriqué en 1917, mais ce n'est qu'en 1920 qu'on a constaté qu'il abaissait la tension artérielle. Les organomercuriels étaient de puissants diurétiques injectables, utilisés pour mobiliser les fluides jusque dans les années 1950.Du même auteur: Le contexte: un outil essentiel pour éduquer nos patientsLa digoxine de Withering (un extrait végétal de la digitale) était un diurétique populaire (1775), mais elle n'était pas bien acceptée par les patients souffrant d'insuffisance rénale. La théophylline, la première xanthine synthétique (1902), a également fonctionné. L'acétazolamide (1954) et le chlorothiazide (1957) ont connu un grand succès, non seulement auprès de ceux qui cherchaient à perdre du poids (les athlètes), mais aussi auprès des patients hypertendus.Franklin D. Roosevelt souffrait d'une hypertension importante, avec des options pharmaceutiques très limitées. Il prenait des congés pour se rendre dans une station thermale (sous un nom d'emprunt) lorsque sa tension devenait très élevée. Il est mort d'une hémorragie intracrânienne en 1945. Les laboratoires pharmaceutiques ont établi un lien entre la tension artérielle et la mortalité cardiovasculaire (30 à 40% des Américains sont morts d'une maladie cardiovasculaire en 1958). Bétabloquants – James Black synthétise le propranolol (1964) et obtient un prix Nobel (1988). L'aténolol suit (1968) et devance l'Inderal en tant que médicament cardiaque le plus vendu. Inhibiteurs de l'ECA – Le Captopril a été approuvé (1981), et neuf autres suivront. Ce ne sont peut-être pas des médicaments très puissants, mais ils promettent de protéger les organes terminaux.3Les inhibiteurs des canaux calciques, qui agissent sur les muscles lisses vasculaires (par exemple, l'amlodipine et la nifédipine), ont été approuvés en 1990. Ils ont des effets cardioprotecteurs et ont une longue demi-vie.4Les médicaments bloquant les récepteurs de l’angiotensine sont apparus en 1995, en commençant par le Losartan, avec un faible profil d'effets secondaires.De nos jours, les comprimés, fabriqués par moulage ou compression, peuvent contenir des diluants, des liants, des fluidifiants, des lubrifiants, des désintégrants, des édulcorants, des arômes et des pigments. À l'origine, ils avaient la forme d'un disque, mais ils varient aujourd'hui pour faciliter l'identification et portent des signes ou des noms d'identification.2Je m'éloigne de Mme Vandervelden. Vraiment? La possibilité de traiter un patient à l'aide d'une petite pilule sans goût, facile à avaler et présentée dans un emballage pratique ne constitue-t-elle pas une avancée majeure dans la capacité de notre profession à promouvoir la médecine auprès du grand public? Qui se conformerait à des formules compliquées d'extraits de plantes mélangés, ou avalerait des potions liquides peu appétissantes, ou inhalerait des vapeurs capiteuses, alors qu'une petite pilule une fois par jour rend le processus tellement plus facile? Bien sûr, nous devons remercier la profession pharmaceutique pour les progrès considérables qu'elle a réalisés dans le domaine des traitements. Je me demande parfois si la «facilité de traitement» n'a pas permis aux patients et aux médecins de mettre en bouche un remède facile, plutôt que d'intégrer dans leur esprit une solide compréhension de la méthode scientifique.

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