Des pharmaciens de spécialité se regroupent pour promouvoir leur pratique

«Promouvoir les pratiques spécialisées afin d’optimiser l’accès au traitement et aux soins pharmaceutiques adaptés aux besoins des patients sous thérapie complexe.» C’est l’objectif affiché par le Regroupement des pharmacies de spécialité du Québec (RPSQ), un nouvel organisme à but non lucratif inscrit depuis le 8 septembre dernier au Registraire des entreprises. Les cinq pharmaciens qui siègent au conseil d’administration du RPSQ n’ont pas souhaité répondre, dans l’immédiat, aux demandes d’entrevue de ProfessionSanté.ca. Ils nous ont renvoyé vers la firme de relations publiques qui les conseille dans leur communication, Hill & Knowlton, qui nous a adressé un courriel au nom du regroupement. Il y est indiqué que «les pharmacies de spécialité ont la chance d’œuvrer dans un domaine complexe qui nécessite un savoir-faire particulier qu’elles ont su développer au fil du temps. Elles offrent un accompagnement personnalisé visant à aider les patients à accéder à une couverture financière appropriée, une formation pour l’administration des traitements et un suivi pharmaceutique proactif». Dans un secteur où cohabitent les pharmacies de quartier, les pharmacies d’établissement, les pharmacies de spécialité ou les pharmacies en ligne, «la complémentarité des services permet à cet écosystème de mieux remplir sa mission, soit celle de toujours mieux répondre aux besoins des patients», affirme le RPSQ qui se voit comme un «acteur de changement positif». Ses membres, au nombre encore inconnu, veulent ainsi faire connaître leur pratique et favoriser la collaboration avec le gouvernement du Québec et les différents acteurs de la pharmacie. À ce jour, le RSPQ ne figure pas sur Carrefour Lobby Québec, la nouvelle plateforme de consultation du registre des lobbyistes de la province. Il pourrait s’y inscrire éventuellement. Quatre des cinq administrateurs du Regroupement — Daniel Vermette (président), Martin Gilbert (secrétaire), Michael Assaraf (trésorier) et Christine Larivière (administratrice) — ont été sanctionnés dans les trois dernières années par le Conseil de discipline de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) pour des actes «dérogatoires à la dignité de la profession», principalement car ils ont obtenu des patients de la part de programmes de soutien aux patients financés par l’industrie pharmaceutique. Michael Assaraf a par exemple été condamné à un an de radiation et 84 000$ d’amendes en 2021 pour s’être occupé de plus 7000 patients adressés par les PSP du grossiste McKesson Canada. Martin Gilbert a été condamné à payer 40 000$ l’été dernier pour avoir «obtenu des clients», sans leur consentement, grâce aux PSP des fabricants du Remicade et de Calquence, Jansen et Astra Zeneca. À eux seuls, les services rendus pour le PSP Remicade à 1146 patients entre juin 2020 et mars 2021 «s’élèvent à plus de 50 millions de dollars, auxquels on soustrait environ 10 millions (pour des) doses dites “de compassion” remboursées à la pharmacie» de M. Gilbert, mentionne la décision du Conseil de discipline de l’OPQ. Christine Larivière s’est pour sa part vu imposer en 2021 une amende de 12 500$ pour s’être, elle aussi, entendue avec McKesson Canada pour délivrer du Copaxone. Quant à Daniel Vermette, il a dû s’acquitter d’une amende de 140 500$ en 2022 pour avoir servi quelque 15 000 patients en neuf ans via les PSP de la société ontarienne Innomar Strategies Inc., un grossiste en médicaments biologiques. De l’huile sur le feu? Du côté de l’Ordre, le président Jean-François Desgagné s’interroge sur les intentions du RPSQ, en espérant qu’elles sont bonnes. «Si c’est pour assainir leur modèle d’affaires et mieux collaborer avec les pharmaciens communautaires en remettant chacun à sa place, c’est OK. Sinon, ça va juste mettre de l’huile sur le feu.» Le président de l’OPQ rappelle que plusieurs décisions du Conseil de discipline de l’Ordre démontrent que ces pharmacies dites de spécialité ne respectent pas la déontologie pharmaceutique. «On veut que leurs pratiques changent et qu’elles se conforment à un principe fondateur de notre système de santé. le libre choix du patient. Actuellement, ces pharmacies font du dirigisme de patients. Notre intention est ferme; on veut qu’elles adoptent un modèle plus transparent», affirme Jean-François Desgagné. À lire aussi: Faut-il faire le ménage dans les programmes de soutien aux patients? La fermeté est également de mise à l’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP). «On va faire tout ce qu’il faut, et prendre les mesures nécessaires, pour s’assurer que les patients aient la liberté de faire affaire avec le professionnel de leur choix», annonce son président Benoit Morin, qui n’est pas surpris de la création du RPSQ. «Ces gens vivent la même situation. Ils ont été sanctionnés par l’OPQ. Ils se regroupent pour défendre un modèle d’affaires basé sur l’exclusivité, qui a des ratés.» Au-delà de l’enjeu du dirigisme, le président de l’AQPP indique que leur pratique conduit au fractionnement du dossier du patient, ce qui empêche son pharmacien communautaire de le prendre en charge dans sa totalité. Cela l’empêcherait également de développer son expertise sur ces médicaments de spécialité, «des molécules plus complexes, certes, mais pas tant que ça, et pour lesquelles les pharmaciens ont des compétences afin de bien servir ces patients-là», indique Benoit Morin. «Puis à moment donné, poursuit-il, un patient hypertendu qui a du cholestérol et fait de l’arthrite va-t-il devoir faire affaire avec trois pharmaciens "de spécialité" différents? C’est non, évidemment, car ça n’a pas de bon sens!»

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