Des médecins se prononcent - Accepteriez-vous de pratiquer l'euthanasie...?

«Accepteriez-vous de pratiquer l’euthanasie à la demande d’un patient si celle-ci était décriminalisée et autorisée par l’État ?» L’actualité médicale a posé la question à quelques médecins à l’occasion du Congrès annuel du Réseau de soins palliatifs du Québec qui s’est tenu à Montréal, à la mi-avril.«Non, parce que je trouve que cela outrepasse notre rôle sur le plan médical. L’euthanasie va à l’encontre d’un principe éthique de préservation de la vie. Il y a tellement de choses qu’on peut faire avant de parler d’euthanasie. Il faut d’abord mettre en place ce qu’il faut pour bien soigner les gens. Si la personne demeure souffrante, on peut utiliser la sédation pour l’aider à dormir. Mais de là à décider de lui enlever la vie, non, car c’est une étape beaucoup plus importante.« Il arrive que les gens parlent de leur désir de mourir, mais c’est l’expression d’une détresse et d’un mal-être. Ce qu’il faut entendre, c’est : “ J’ai besoin d’aide, parlez-moi, prenez le temps de vous asseoir avec moi, répondez à mes questions et à mes besoins ”, avant de dire “ Vous voulez mourir ? Pas de problème, on vous amène ce qu’il faut. ”Ce n’est pas comme servir un café, c’est quelque chose qui n’est vraiment pas banal.D’ailleurs, le geste de décider de faire dormir quelqu’un, d’utiliser la sédation, n’est pas non plus un geste banal. Il doit se prendre après mûre réflexion, en équipe multidisciplinaire, en accord avec le patient, après avoir évalué qu’on a utilisé tous les moyens à sa disposition pour bien le soulager. »Dr Louis RoyEx-président du Réseau de soins palliatifs du QuébecQuébec«Je serais contre parce que je prône la philosophie des soins palliatifs, où l’on peut assurer le confort de nos patients autant sur le plan physique que sur le plan moral. L’objectif est de les aider à traiter ou à améliorer leur douleur globale et de les accompagner vers une fin de vie dans le respect et la dignité. Je ne me sentirais pas à l’aise de pratiquer l’euthanasie.Il m’est arrivé à deux ou trois reprises que des patients me demandent de les aider à mourir. Mais je pense que cela cache toujours une souffrance et quand on peut avoir accès à cette souffrance, on peut aider les gens à mourir de façon paisible, sans abréger leur vie. »Dre Louise ChampagneOmnipraticienne en soins palliatifsGreenfield Park«Le projet de loi de Francine Lalonde ne met pas de balises suffisantes. C’est plus compliqué que ça. Avec la difficulté d’établir des pronostics et l’évolution de l’oncologie, les gens vivent entre deux eaux beaucoup plus longtemps. Il y a beaucoup de naïveté dans ce domaine. Ce projet de loi met sur les épaules des médecins des attentes très importantes. Cela devrait être d’abord et avant tout une décision de société, où le médecin est appelé à jouer un rôle peut-être différent de ce qui est demandé dans ce projet de loi. Moi, je ne le ferais pas. Cela dit viendra peut-être un jour où se présentera un cas pour lequel je me dirai en mon âme et conscience que c’est ce que j’ai à faire. Mais ce sera un cas exceptionnel qui ne méritera pas qu’on en fasse un projet de loi. »Dr Hubert Marcoux Omnipraticien en soins palliatifsQuÃ©bec«Non, parce que je fais des soins palliatifs. Mes patients pourraient ressentir un malaise si, d’un côté, je pratiquais l’euthanasie et, de l’autre, je mettais tout en branle pour essayer de les soulager du mieux possible dans toutes les facettes de leur souffrance, qui est souvent une souffrance globale. Je me sentirais mal à l’aise de pratiquer l’euthanasie. Cela m’a déjà été demandé.« Pour moi, cela montre qu’il y a une grande détresse. Alors, posons-nous la question : “ A-t-on entendu le patient dans sa grande détresse ? ” Il faut essayer de voir où certains aspects pourraient être améliorés. Actuellement, on ne peut pas offrir l’euthanasie. Mais même si celle-ci était décriminalisée et autorisée, je continue à dire que je ne la pratiquerais pas. Il y a conflit d’intérêts chez un médecin qui, œuvrant dans les soins palliatifs, pratiquerait l’euthanasie. Pour moi, il y a un malaise et il faut que je réfléchisse encore. »Dr Yves HouleMÃ©decin en soins palliatifsQuÃ©bec« Il y a des cas où l’on doit envisager l’euthanasie, quand le patient est dans un état extrêmement inconfortable. Mais on ne peut pas généraliser pour l’instant. On n’a pas assez de connaissances et de données pour généraliser l’euthanasie. Mais il y a des situations – à évaluer au cas par cas – où l’on devrait l’envisager. Selon moi, l’euthanasie sera disponible dans quelques années et on pourra l’appliquer au cas par cas. »Dre Daniela DumbravaOmnipraticienneMontrÃ©al«Avec ce que j’ai vu et ce que je sais, si j’avais l’impression d’avoir épuisé tout ce dont je dispose comme ressources ou comme moyens, je pense que oui. Je suis arrivée à un point où si l’euthanasie était décriminalisée, je la pratiquerais. Parce qu’avec la sédation terminale, on tourne autour. L’intention n’est pas de tuer, mais on sait qu’en endormant le patient, il va finir par mourir. Donc, c’est comme si on contournait les choses et qu’on allait dans ce qui est encore légal. Mais si nous en sommes arrivés là, la marche n’est pas si haute et dans la mesure où la société l’accepte et où l’on est rigoureux dans ce qu’on va faire – ce n’est pas la réponse aux personnes suicidaires –, l’euthanasie est la réponse à une détresse pour laquelle on n’a pas de solution de rechange. Je suis parvenue à un point où je pense que j’irais jusque-là. »Dre Marie-JosÃ©e CaronOmnipraticienneMontrÃ©al«Comme j’ai travaillé en recherche sur la souffrance des malades, avant de dire oui ou non à une demande comme celle-là, j’irais voir ce qui se passe dans la vie du malade. La plupart des gens qui m’ont demandé l’euthanasie – ils sont peu nombreux – avaient une expérience de vie remplie d’une souffrance intense dans laquelle il n’y avait pas eu de main tendue. Lorsqu’on passe sa vie à attendre une main tendue qui ne vient pas et qu’on voit les souffrances et l’agonie approcher, on se dit : “ j’aime mieux que ça se termine maintenant. ”« Je verrai la nature de la souffrance de cette personne et aussi celle des réponses que le système de santé lui donnera. Dans les cas connus au Canada, comme celui de Robert Latimer ou de Marielle Houle, qui a aidé son fils à mourir, il y a absence de soignants autour de la personne malade. Notre système est largement déficitaire en matière d’accompagnement des malades. Si je me trouve devant quelqu’un qui souffre et que je dispose de services impeccables, je répondrai favorablement à la question.« La majorité des demandes ’accélération de la mort sont faites par les familles et les proches qui sont incapables de voir la personne souffrir. Malheureusement, on vit dans une société où la mort est occultée. Lorsqu’elle survient, elle doit se produire de façon très propre et les funérailles doivent avoir lieu le samedi après-midi pour que cela ne dérange pas les cours de hockey des enfants. L’agonie, pour l’être humain, est une expérience fondamentale pour entamer le détachement. Alors, les gens nous demandent de leur enlever l’outil le plus puissant pour commencer leur travail de deuil. Généralement, on ne le fait pas parce que c’est illégal, et moi, je pratique à l’hôpital, où ces choses ne se font pas. Et les gens nous remercient ensuite de ne pas l’avoir fait.« On a mené une enquête à San Francisco chez les gens qui ont survécu à une tentative de suicide en se lançant du pont Golden Gate. Presque tous ces survivants ont dit avoir changé d’idée en tombant. Alors, quand les gens vous demandent de pratiquer l’euthanasie, vous avez bien des chances qu’ils changent d’idée. »Dr Serge DaneaultOmnipraticien en soins palliatifsMontrÃ©al

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