Dépistage du cancer du sein: une décision très attendue

Rarement avis de l’Institut national d’excellence en santé et services sociaux (INESSS) aura été aussi attendu. Ses experts, mandatés par le ministre de la Santé, doivent se prononcer sur une question qui a fait couler beaucoup d’encre depuis deux ans: faut-il ouvrir le Programme québécois de dépistage du cancer du sein aux femmes de 40 à 49 ans? Actuellement, il s’adresse uniquement aux Québécoises âgées de 50 à 74 ans.Bien que la mesure ne fasse pas l’unanimité au sein de la communauté médicale, cet élargissement est, entre autres, soutenu par la Société canadienne du Cancer (SCC) Cancer du sein Canada et Seins denses Canada. Christian Dubé semble y être également favorable.Parmi ses partisans, le Dr Grégoire Bernèche affirme que l’Association des radiologistes du Québec (ARQ), qu’il préside, est «résolument en faveur d’ouvrir le programme de dépistage (du cancer du sein) avant 50 ans». Le radiologiste à l’Hôpital Pierre-Boucher souligne que «les autres provinces ont emboîté le pas» et que «la majorité des Canadiennes ont désormais accès à un programme de mammographie dès 40 ou 45 ans».Ailleurs au Canada, plusieurs provinces et territoires offrent en effet le dépistage du cancer du sein à partir de 40 ans, comme l’Ontario, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick, l'Île-du-Prince-Édouard et le Yukon; tandis que l'Alberta et la Saskatchewan le financent à partir de 45 ans. Chez nos voisins du Sud, le United States Preventive Services Task Force (USPSTF) a recommandé au printemps 2024 que le dépistage du cancer du sein par mammographie tous les deux ans commence dès l'âge de 40 ans, et non plus 50, chez les femmes présentant un risque moyen. En revanche, plusieurs pays européens tels le Danemark, la Belgique, l’Allemagne, la France ou encore le Royaume-Uni ne proposent le dépistage organisé du cancer du sein qu’à partir de 50 ans, comme actuellement au Québec ainsi qu’au Manitoba.Par-delà ces considérations, le Dr Bernèche indique qu’il y a «une rationnelle scientifique» derrière la position ferme de l’ARQ. Il explique que «le cancer du sein frappe les femmes de plus en plus jeunes, au point que le facteur de risque d'avoir le cancer du sein chez une femme de 45 à 49 ans est aujourd’hui le même que celui d'une femme de 50 à 55 ans il y a 30 ans, quand le programme (de dépistage) a ouvert». Selon le clinicien, 17% des cancers du sein diagnostiqués chez les femmes concernent la cohorte de 40 à 49 ans, «ce qui est énorme».Le poids des données de survieLe président de l’ARQ ajoute qu’en «2025, le dépistage du cancer du sein, et du cancer en général, reste encore le meilleur traitement du cancer». Pour preuve, il signale que le taux de survie à 5 ans d’un cancer du sein détecté au stade 1 dépasse les 99,5% alors que ce taux chute aux environs de 23% lorsqu’il est diagnostiqué au stade 4.À lire aussi: Quels sont les types de cancers en augmentation chez les moins de 50 ans?De l’autre bord de l’échiquier, l’ex-présidente du Groupe d’étude canadien sur les soins de santé préventifs (GECSSP), la Dre Guylène Thériault observe que dans la société en général et chez les politiciens en particulier, le dépistage exerce une attirance. «L'idée de se dire que l’on va trouver une maladie plus tôt et qu’on va donc pouvoir intervenir plus tôt, c'est très attrayant», mentionne-t-elle. «Mais quand on prend du recul pour se demander si c'est vrai pour tout le monde ou juste pour certaines personnes, on se rend compte que s’agissant du cancer du sein, l’ouverture du dépistage à 40 ans évite un décès par cancer du sein pour 1000 femmes dépistées dans la quarantaine. Autrement dit, une seule femme bénéficiera de ce dépistage», insiste la médecin de famille.Surdiagnostic et faux positifs en questionCe faisant, le risque de surdiagnostic concernerait deux femmes qui «vont être traitées, mais dont le cancer n'aurait pas nécessité de traitement, car elles n’auraient pas développé de symptômes», signale la Dre Thériault. Autre impact délétère de l’élargissement du dépistage, le nombre de faux positifs, au nombre de 368 par 1000 mammographies réalisées qui entraîneraient un nombre au moins équivalent de tests supplémentaires, dont 55 biopsies, selon les données colligées par le GECSSP dans le cadre du réexamen de sa ligne directrice qui s’est conclu au printemps 2024.À partir de ces constats, le Groupe avait maintenu sa ligne directrice sur le seuil de 50 ans. «On avait également formulé un énoncé de bonne pratique selon lequel les femmes de 40 à 74 ans devraient avoir accès à une information juste sur les bénéfices et préjudices du dépistage afin qu'elles puissent prendre une décision éclairée et partagée», souligne la Dre Thériault en spécifiant que les femmes qui souhaitent se faire dépister devraient pouvoir passer une mammographie tous les deux à trois ans. Selon le Registre québécois du cancer, on estime qu’en 2024, 8922 femmes ont reçu un diagnostic de cancer du sein. La même année, 30 800 Canadiennes ont reçu pareil diagnostic, soit 25% de tous les nouveaux cas de cancer chez les femmes, et environ 5500 en seraient décédées, selon la Société canadienne du cancer. Des recommandations contestées à OttawaCes recommandations n’ont pas satisfait Mark Holland, qui était à l’époque ministre fédéral de la Santé. Sous les pressions de la SCC et de plusieurs spécialistes du cancer, chirurgiens et radiologistes, il avait demandé une révision de la ligne directrice du GECSSP par un comité d'experts externes. Puis, début mars 2025, le ministre a demandé à l'Agence de la santé publique du Canada «de suspendre» les travaux du Groupe jusqu'à ce que le comité d'experts externes ait rendu son rapport. Une décision jugée «incompréhensible» par le Collège québécois des médecins de famille (CQMF) et sa présidente, la Dre Geneviève Bois.Le Dr Bernèche n’est pas de cet avis. «Ce groupe d'études là, c'est une vraie farce. Ces gens n'avaient aucune crédibilité», estime le président de l’ARQ. «Je dis ça en tout respect, mais c’était essentiellement des médecins de famille et des patients. Il n'y avait pas d'experts radiologistes et très peu de chirurgiens impliqués sur ce panel», souligne le médecin en ajoutant que la suspension des travaux du GECSSP constitue «un énorme désaveu. C’est du jamais vu».Selon lui, l’«argument cardinal» du Groupe reposait sur les faux positifs et le fait que des patientes allaient stresser inutilement en attendant leurs résultats complémentaires. «Pour ces femmes-là, je comprends très bien que ce soit dommage. La réalité, c'est qu'on le fait pour sauver des vies en dépistant des cancers précocement. Pour moi, c’est donc un faux débat», affirme le radiologiste.À lire aussi: Cancer du sein: l'impact des saines habitudes de vie encore trop peu connuUne médecin de famille dans la tempêteLa Dre Guylène Thériault ne veut pas relancer la polémique. Elle précise simplement que le groupe de travail qui a élaboré la ligne directrice comprenait entre autres un oncologue, un radio-oncologue, un radiologiste et un chirurgien. Sept mois après la suspension des travaux du GECSSP, la médecin de famille ne comprend toujours pas pourquoi sa recommandation a été si controversée: «Quelle controverse y a-t-il à dire que les femmes doivent avoir de l'information pour prendre leur décision en connaissance de cause? J'ai de la difficulté à comprendre ça.»Quand elle a pris la présidence du Groupe, la clinicienne ne s’attendait pas à être prise dans un tel «tournis politique». «Ce rôle-là, je l’assumais de façon volontaire et bénévole. Avec le groupe, on a vraiment essayé de remplir notre mandat de manière objective, en étant ouverts aux différentes opinions. Toutefois, les données sont les données. On ne peut pas les manipuler à notre guise, ni en inventer. On a respecté le message envoyé par ces données en essayant d’être le plus nuancé possible», se défend la Dre Thériault en avouant qu’elle a été affectée par les attaques personnelles qu’elle a subies. «Je ne pensais pas que ça irait aussi bas. Ça n’a pas été facile.»Dans ce contexte, la décision de l’INESSS, qui doit être dévoilée le 29 septembre, risque bien de susciter de nouveaux débats. D’autant plus que des sources proches du dossier au gouvernement laissent entendre que cet avis ne tranche pas, sur un plan scientifique, la question d’ouvrir aux femmes de 40 à 49 ans le programme de dépistage du cancer du sein. Il se pencherait plutôt sur la faisabilité d’un tel élargissement.À lire aussi: Vers un nouveau test à domicile pour connaître son risque d'avoir un cancer du seinUn enjeu aussi organisationnelSelon le ministère de la Santé, l’ajout des Québécoises quadragénaires au dépistage systématique nécessiterait de 100 000 à 150 000 mammographies supplémentaires chaque année.«Quand le programme a été ouvert aux femmes de 70 à 74 ans, on a été capable d’absorber le volume additionnel», mentionne le Dr Bernèche. Il convient que les délais d’attente pour une mammographie ne sont pas acceptables dans certaines régions «Mais globalement, je vous dirais que le programme a très bien absorbé cette cohorte.»Advenant l’élargissement du dépistage, le président de l’ARQ propose une approche en deux temps. «Ouvrir du jour au lendemain le programme aux 40 à 49 ans créerait un afflux de patientes qui pourraient prendre la place d’autres patientes plus âgées et plus à risque», explique-t-il en suggérant d’ouvrir d’abord le dépistage aux femmes de 45 à 49 ans pour permettre aux radiologistes de répondre à cette nouvelle demande.

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