Dépistage du cancer du sein: quand les lignes directrices font l’impasse sur les distinctions raciales

Les lignes directrices canadiennes actuelles concernant le moment où les femmes devraient commencer à subir un dépistage du cancer du sein ne tiennent pas compte de la diversité des populations, alerte le Dr Neil Isaac, radiologue au North York General Hospital de Toronto.Ces directives, établies par le Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs (créé par l'Agence de santé publique du Canada), recommandent en effet aux femmes de ne pas subir de mammographie avant l'âge de 50 ans. Or, selon le Dr Isaac, ce seuil d'âge est «involontairement discriminatoire» à l'égard des femmes noires, hispaniques et asiatiques, dont l'incidence du cancer du sein atteint son maximum dans la quarantaine.«Les directives actuelles ne tiennent pas compte de la diversité de la population», a-t-il assuré lors de sa présentation intitulée «Breast Cancer Screening Updates for Black Women» (mises à jour sur le dépistage du cancer du sein pour les femmes noires), à l'occasion du Symposium annuel de l’Association des médecins noirs de l’Ontario, fin février. Un plus fort taux de mortalité chez les femmes noiresLe cancer du sein, en particulier le cancer du sein triple négatif, est le type de cancer le plus fréquent chez les femmes noires, selon les données américaines citées par le radiologue – au Canada, les données basées sur la race ne sont pas largement suivies.Les données américaines montrent également que si les taux d'incidence du cancer du sein sont plus faibles chez les femmes noires que chez les femmes blanches, les taux de mortalité sont toutefois plus élevés chez les premières. En effet, les femmes noires sont plus susceptibles de développer des cancers plus agressifs, et ont 30 à 40% plus de risques de mourir que les femmes blanches.Le Dr Neil Isaac a évoqué plusieurs raisons justifiant l’abaissement du seuil de dépistage à 40 ans pour toutes les femmes: le cancer du sein reste la principale cause de décès chez les Canadiennes âgées de 40 à 55 ans, l'incidence du cancer du sein augmente de manière significative à partir de 40 ans, mais aussi le fait que la détection précoce réduit sensiblement le risque de mortalité et la nécessité de recourir à des thérapies agressives.À lire aussi: Mortalité accrue des femmes noires liée au cancer du sein: une étude sur les mammographies pourrait les aiderDans une entrevue accordée au Medical Post, une publication soeur de ProfessionSanté.ca, le radiologue insiste également sur le rôle des médecins de famille, habilités à orienter une patiente vers un dépistage précoce si nécessaire. «S'ils ont une forte suspicion, si leur patiente a des antécédents familiaux ou si elle veut simplement être dépistée et que son âge le permet, les médecins peuvent leur prescrire une mammographie.»«Il n'y a aucune raison de ne pas le faire, poursuit-il. Mais ils se heurtent à des résistances et continuent de recevoir des directives du groupe de travail canadien les engageant à commencer [le dépistage] à partir de 50 ans.»Des directives révisées en 2024Le gouvernement de l'Ontario vient justement d'abaisser de 50 à 40 ans le seuil d'accès aux dépistages réguliers du cancer du sein financés par l'État. Ce changement, qui devrait entrer en vigueur à l'automne, permettra aux ontariennes âgées de 40 ans et plus de se faire dépister sans recommandation d'un médecin. Une évolution dont le Dr Isaac se réjouit.«Je pense que les gens sont attentifs aux preuves, et que nous sommes nombreux à plaider en ce sens depuis des années [...]. Je suis heureux que cela porte enfin ses fruits. Il est de plus en plus évident que le dépistage à partir de 40 ans permet d'obtenir de meilleurs résultats, un diagnostic plus précoce et un traitement moins agressif.»À lire aussi: Cancer du sein: dépistage gratuit désormais élargi aux Québécoise de 70 à 74 ansUne modification des directives qui fait suite aux recommandations formulées l'année dernière par le Groupe de travail américain sur les services préventifs. Ce dernier conseillait de faire débuter les dépistages à 40 ans au lieu de 50 ans afin de réduire le risque de mortalité. «Le groupe de travail américain sur les services préventifs a marqué un tournant pour l'Ontario», estime aujourd’hui le Dr Isaac. À l'heure actuelle, sur les 13 provinces et territoires du Canada, seuls quatre recommandent un dépistage à partir de 40 ans: la Nouvelle-Écosse, l'Île-du-Prince-Édouard, la Colombie-Britannique et le Yukon.Le Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs annonce lui aussi une mise à jour de ses directives de dépistage, prévue au printemps. «J'espère que cette future publication inclura désormais les femmes âgées de 40 ans et plus, en cohérence avec les données probantes et l’avis des experts du monde entier», conclut le Dr Isaac.

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