Défis cliniques de la douleur: la fibromyalgie (première partie)

Maintenant que j'ai eu l'occasion d'expliquer les bases de la douleur chronique, y compris les mécanismes de la douleur, commençons à discuter des conditions de la douleur. J'ai choisi l'un des diagnostics les plus répandus, mais aussi les plus difficiles à poser: la fibromyalgie (FM).Passons brièvement en revue l'évolution du terme. Il est TRÈS important de le faire afin de comprendre pourquoi, à ce jour, de nombreux médecins éprouvent encore des difficultés à reconnaître la maladie, le diagnostic et le traitement: La première description de la condition a été fournie par Guillaume de Baillou (1642), qui a utilisé le terme de «rhumatisme musculaire».W.R. Gowers (1904) a inventé le terme «fibrositis» pour décrire la douleur lorsqu’on effleure les muscles durcis par l'inflammation, notant l'existence d'une douleur spontanée et d'une hypersensibilité. W. Graham (1953) a utilisé le terme «fibrositis» pour désigner un syndrome douloureux en l'absence de toute maladie organique spécifique. P.K. Hench (1976) a inventé le terme de fibromyalgie comme une forme de rhumatisme non articulaire. Le concept de FM a ensuite été largement critiqué, étant considéré comme un concept circulaire, un trouble médicalisé ou un concept socialement construit. H.A. Smythe et H. Moldofsky (1977) ont décrit la maladie et proposé des critères de diagnostic basés sur les caractéristiques clés du sommeil non réparateur et des points sensibles. Yunus et coll. (1981) ont introduit un ensemble de critères formels pour diagnostiquer la FM primaire. En 1987, l'American Medical Association a reconnu le SFM comme une maladie Un groupe de travail de l'American College of Rheumatology (ACR) a accepté le terme de fibromyalgie et a produit les premiers critères diagnostiques officiels (1990), à savoir une douleur en réponse à une pression algométrique allant jusqu'à 4 kg/cm² évaluée sur 18 points bilatéraux du corps (le diagnostic nécessitait une réponse douloureuse sur 11 de ces points).En 2010, l'ACR a proposé une nouvelle version des critères de diagnostic reposant exclusivement sur l'utilisation de deux échelles: l'indice de douleur généralisée (WPI) et l'échelle de gravité des symptômes (SS). Pour diagnostiquer le syndrome de la FM, l'une de ces deux conditions doit être remplie: un IPW ≥ 7 et une SS ≥ 5, ou un IPW entre 3 et 6 et une SS ≥ 9. Les symptômes doivent être présents depuis au moins 3 mois (comme pour les critères de 1990). Les critères de 2010 requièrent toujours l'évaluation d'un médecin et ne devraient jamais être remplacés par l'auto-évaluation du patient. En 2011, Wolfe et coll. ont révisé et modifié les critères diagnostiques 2010 de l'ACR (également appelés critères 2011 dans Wolfe et coll., avec une nouvelle proposition de modification en 2016).Actuellement, seuls les critères de 1990 et de 2010 sont officiellement reconnus par l'ACR. Les critères de 1990 sont plus stricts que ceux de 2010, et n'identifient que les patients les plus sévèrement atteints. Malgré les déclarations, les critères, les révisions et les suggestions générales de l'ACR (voir les suggestions récentes et les entretiens avec des spécialistes dans l'article de J. Montminy publié sur le site de ProfessionSanté.ca le 4 avril 2024), l'absence de critères diagnostiques objectifs est une source de frustration pour les patients et les cliniciens, et est une source supplémentaire de diagnostics inexacts.À lire aussi: Encéphalomyélite myalgique et fibromyalgie: un premier test de dépistage mis au point au QuébecComme je dirige une clinique universitaire communautaire qui dessert non seulement Toronto, mais aussi le centre et le sud de l'Ontario, nous recueillons des données sur nos patients, notamment sur le diagnostic, la réponse aux traitements, etc.Tout d'abord, 70% des personnes qui consultent notre centre pour des douleurs sont des femmes. Plusieurs de ces femmes nous sont référées avec un diagnostic de FM (posé par des prestataires de soins primaires ou des spécialistes, sans que l'on sache comment le diagnostic a été posé). Dans de nombreux cas, plusieurs comorbidités sont signalées dans les demandes de consultation, de sorte que la FM n'est pas le seul diagnostic.Un bref examen de nos données indique qu'environ 8 à 10% des patients qui nous sont adressés chaque année, voire plus, répondraient aux critères de la FM si l'on considère la douleur invalidante généralisée associée à des troubles du sommeil, de l'humeur ou de l'anxiété, des problèmes cognitifs, etc. Mais ces chiffres n'incluent PAS les nombreux patients que nous rencontrons avec le diagnostic de FM et qui, au lieu de ces critères, présentent: des arthropathies inflammatoires et des spondylarthropathies; des problèmes localisés (régionaux) de l'appareil locomoteur; des problèmes neurologiques (par exemple radiculopathies, neuropathies à petites fibres, etc.); une douleur diffuse et généralisée qui est «le cadet de leurs soucis et qui est facile à gérer», alors que leur principale préoccupation est un problème musculo-squelettique ou neurologique spécifique.En d'autres termes, le diagnostic de FM est souvent posé au hasard. En outre, d'après notre expérience (qui semble être celle de plusieurs autres cliniques), la «douleur chronique généralisée» est utilisée de manière interchangeable avec la fibromyalgie et englobe un vaste groupe hétérogène de troubles; une approche «à l'emporte-pièce» ne fonctionne pas.Déterminer les générateurs de douleur dans chaque cas est d'une importance capitale: cela permet une prise en charge rationnelle des douleurs sous-jacentes. Même dans le cas où la FM est co-diagnostiquée avec d'autres affections biomédicales, il est fondamental de comprendre si la douleur liée à la FM est l’affection principale, ou si le patient la considère comme insignifiante et plutôt bien gérée, alors qu'une autre douleur est au cœur de ses préoccupations. À lire aussi: Fibromyalgie: le jeûne prolongé peut atténuer les symptômesEn outre, si le patient souffre d'une douleur généralisée, s'agit-il vraiment d'une douleur «multisite», telle que l'arthrose multi-articulaire, ou d'une véritable FM, c'est-à-dire d'une sensibilité généralisée au toucher ou d'une pression de faible intensité (indiquant une sensibilisation centrale, que nous avons évoquée plus haut)? Si la sensibilisation centrale est présente (seule ou avec des générateurs de douleur biomédicaux définis), elle peut affecter considérablement les traitements, les résultats et le pronostic de la chronicisation.La plupart des informations contenues dans cet article sont tirées de cette étude: Galvez-Sánchez CM, Reyes Del Paso GA. Diagnostic Criteria for Fibromyalgia: Critical Review and Future Perspectives. J Clin Med. 2020 Avril 23;9(4):1219. doi : 10.3390/jcm9041219. PMID : 32340369 ; PMCID : PMC7230253

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