Décès de Janine Matte, «une icône de pratique»

«C’est une très grande perte pour la famille de la pharmacie», souffle au téléphone Jean-François Desgagné. L’actuel président de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) ne tarit pas d’éloges sur sa prédécesseure: «Je l’ai très bien connue pendant mes années d’études entre 1989 à 1993. Elle était professeure à l’Université Laval (dont elle était diplômée, ndlr) et on la voyait souvent dans les médias spécialisés de l’époque, dans des tribunes. Elle tirait tout le monde par le haut.» Il faut dire que le profil de la pharmacienne détonnait dans le milieu très masculin de la pharmacie. Depuis son élection au conseil d'administration de l'Ordre au début des années 1980, jusqu'à son élection comme première présidente en 1995 et ensuite, elle n'a jamais hésité à faire entendre sa voix auprès des pouvoirs publics et de la profession. «Janine était prête à lutter, à se battre»«Elle était mon mentor», confie d’ailleurs Diane Lamarre, deuxième femme à avoir occupé la fonction de présidente de l’OPQ. «C’était vraiment une leader, elle intervenait auprès des politiques et rencontrait les ministres à Québec, ce qui n’était pas fréquent à l’époque, se souvient, admirative, l’ancienne députée péquiste de Taillon. Janine était prête à lutter, à se battre pour changer les choses.» Lorsque Diane Lamarre la rencontre dans les couloirs de l’Ordre en 1986, Janine Matte est déjà pharmacienne propriétaire depuis près de quinze ans. Adepte des premières fois, elle reçoit le tout premier Prix Louis-Hébert en 1983 (la plus haute distinction de l’OPQ, ndlr) avant de devenir présidente de l'OPQ, douze ans plus tard, pour deux mandats.À lire aussi: Beverly Salomon, une pharmacienne influente investie dans la communauté«Lorsque j’ai été élue présidente de l’OPQ à mon tour, elle a toujours été ma référence. Je pense que nous avons toutes deux essayé d’apporter une contribution marquante.»Diane Lamarre espère aujourd’hui voir d’autres femmes occuper cette fonction. «Nous avons de bons présidents, mais seulement deux femmes en plus de 150 ans, c’est trop peu. Il y a encore de la place pour que les femmes s’affirment.» Au-delà du symbole qu’elle représentait pour les jeunes femmes, Janine Matte a été une source de savoir et de motivation pour tous les étudiants et jeunes pharmaciens qui ont croisé son chemin. «Ça a été un grand privilège pour moi de m’asseoir à ses côtés lors de congrès où je représentais les étudiants, se souvient Jean-François Desgagné. C’était une femme inspirante, mobilisante, et elle a contribué à révolutionner la pharmacie. Son message était très simple: “Prenez votre place. Vous êtes des spécialistes du médicament, n’ayez pas peur.”» Un message que l’actuel président de l’OPQ distille encore aujourd’hui. Une pratique clinique révolutionnaireDes mots transformés en actes. D’après ses proches, Janine Matte mettait toujours en pratique ce qu’elle préconisait. Elle a ainsi fait figure de précurseure dans la pharmacie de l’époque en prônant une pratique résolument clinique et tournée vers la protection du public: aucun patient ne devait quitter son établissement sans avoir été conseillé par un pharmacien. «Elle avait une pratique complètement à l’opposé de tout ce qui se faisait en pharmacie dans ces années-là, assure Jean-François Desgagné. C’est facile de suivre des traces, mais Janine était la première et ça n’a pas dû être facile d’affronter des dizaines de médecins différents. Elle avait du front tout le tour de la tête.» «En termes d’actes cliniques, nous ne faisions alors que de l’opinion pharmaceutique. Janine a dû rédiger 85% des opinions du Québec! Elle nous enseignait comment le faire, et nous disait: “N’ayez pas peur d’intervenir, c’est votre travail!” Pour les étudiants de ma génération, c’était une icône de pratique. Tout le monde voulait être Janine Matte», se souvient Jean-François Desgagné.En faisant de la protection du public sa raison d’être, et de la confiance dans le métier son credo, Janine Matte a permis à l’OPQ et à la société d’évoluer. L’un de ses faits d’armes est d’ailleurs une mesure de santé publique incontestable: l’interdiction de la vente des produits de tabagie dans les pharmacies et les commerces adjacents. «Elle a eu de l’audace, car ce n’était pas gagné d’avance, même si c’était d’une évidence lumineuse!», reconnaît Jean-François Desgagné.À lire aussi: Anne-Julie Bernard: «Le Parlement jeunesse m'a donné le courage d'oser aller en pharmacie»«Avec cette mesure, elle a marqué toute la profession, mais aussi tout le Québec», reprend la professeure titulaire de clinique à la Faculté de pharmacie de l’UdeM. En effet, Janine Matte n’a pas seulement contribué à agir pour la santé publique, mais a aussi permis de changer l’image des pharmaciens, de donner confiance au public. «Elle nous a permis, collectivement, de prendre notre place», estime Jean-François Desgagné.«Dépasser la notion de conseils aux patients»Un engagement visible à peine passées les portes de ses pharmacies, comme celle de l’avenue Cartier à Québec, ouverte en 1989 avec son associée Louise Petit. Dans cet établissement que les patients appelaient «le bureau de la pharmacienne», le seul de la ville à être équipé d’une hotte de préparations stériles, les espaces de consultation avaient une grande place. «Nous avons beaucoup travaillé sur la manière dont les pharmaciens pouvaient superviser les médicaments en vente libre», explique Diane Lamarre, soulignant la contribution de Janine Matte à la création des Annexes nationales de médicaments (en 1995) et, plus tard, au droit des pharmaciens à prescrire. Jean-François Desgagné abonde: «Elle nous disait, vous avez des médicaments en vente libre et en Annexe 2. Ils sont sous votre supervision, et vos recommandations ne sont ni plus ni moins que des prescriptions.»«Beaucoup de gens, qu'il s’agisse de ses patients ou de ses collaborateurs, appréciaient énormément sa manière de travailler. Elle a pris soin de beaucoup de gens», confie Diane LamarreJanine Matte était-elle fière de ce qu’est devenue la pharmacie aujourd’hui? Sans aucun doute, à en croire Diane Lamarre, puisque la multiplication des actes cliniques réalisés en pharmacie n’est que la suite logique des combats menés par sa prédécesseure. «Elle espérait que ça arriverait», affirme la pharmacienne.À lire aussi: Mieux faire comprendre le rôle des pharmaciens au grand public«Ce que Janine a mis en branle, c’est une lecture permettant de dépasser la notion de conseil aux patients pour aller dans la résolution des problèmes en lien avec la pharmacothérapie. Aujourd’hui, les pharmaciens n’ont jamais été aussi présents pour leurs patients et jamais autant capables d’agir pour eux. Entre les vaccinations, les prolongations ou modifications d’ordonnances, les nouveaux traitements… Elle a contribué à rendre cela possible.»«C’était une femme de conviction, de vision, pleine d’humour et d’humanité, estime Jean-François Desgagné. Les gens qui l’ont côtoyés étaient infiniment tristes (d'apprendre son décès).»Alors que l’OPQ lui avait une fois de plus rendu hommage en lui décernant le titre de Fellow en 2017, et en relatant ses faits d’armes dans le Livre des 150 ans de l’Ordre, Jean-François Desgagné conclut par ces mots: «On doit être reconnaissants et saluer cette grande femme.»Le service religieux en mémoire de Janine Matte sera célébré ce samedi 16 mars 2024 à 11 heures en l’église Saint-Félix-de-Cap-Rouge de Québec. Cliquez ici pour plus de détails.

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