De pharmaciens à étudiants en médecine: portrait croisé

Pour Iliya Dmitriev, tout a basculé au cégep. Un diagnostic de syndrome myélodysplasique. Des allers-retours constants à l’hôpital. Une greffe de moelle osseuse à subir. «J’étais exposé à tous les professionnels de la santé… ça m’a vraiment motivé d’aller dans ce domaine», se souvient-il. Marie-Ève Newberry, elle, découvre le système de santé derrière le comptoir d’une petite pharmacie de quartier, où elle travaille comme assistante technique dès l’adolescence. «C’était mon premier contact avec le milieu des soins», raconte-t-elle. Deux histoires de vie sans lien apparent qui vont les mener à des études en pharmacie à l’Université de Montréal (UdeM). Tous deux s’y investissent sans compter. Mais chez chacun, un désir demeure en arrière-plan.Avant la pharmacie, ils avaient tous deux tenté d’entrer en médecine. Refusés, ils réorientent leur parcours. Marie-Ève avait un objectif clair: «Je suis allée en pharmacie avec l’idée de faire la maîtrise et de travailler en hôpital.» Iliya découvre quant à lui un domaine où il s’épanouit rapidement. «J’ai vraiment commencé à aimer ça», raconte-t-il. Leur choix devient alors une trajectoire pleine et entière. Une profession qui fait sens, un milieu dans lequel ils trouvent rapidement leur place.Les premières années en pharmacie confirment leur intérêt pour le monde clinique. Marie-Ève multiplie les expériences – étudiante à l’Institut de cardiologie de Montréal, stages à l’hôpital Notre-Dame et au Sacré-Cœur, puis maîtrise en pharmacothérapie avancée. «Chaque année, j’aimais de plus en plus ça», dit-elle. Iliya suit un parcours semblable. Il complète son Pharm. D., s’oriente vers la pratique hospitalière, puis entame sa maîtrise. «J’aimais la complexité et le rôle qu’on avait auprès des patients», explique-t-il.Les deux découvrent un milieu exigeant, stimulant, technique. Au fil des stages, une impression s’installe lentement, mais sûrement. Marie-Ève se surprend à chercher «comment la personne s’est rendue là», à passer du temps sur les dossiers, les bilans hépatiques, les troponines, les diagnostics possibles. Iliya aussi sent poindre une limite. «Je voulais toujours faire quelque chose de plus pour mes patients… mais je ne pouvais pas.» Sans le formuler encore, tous deux pressentent que leur curiosité déborde déjà le cadre de la pharmacie.Le déclic vers la médecine survient à des moments différents pour chacun. Pour Iliya, c’est pendant sa résidence de pharmacie. «J’ai réappliqué en médecine au début de ma résidence, en me disant que je verrais bien ce qui arriverait», se souvient-il. Il n’attend rien, mais tente sa chance pour ne rien regretter. Marie-Ève, elle, en était alors à sa troisième tentative. «C’était la dernière. Je me suis dit que je prendrais la décision une fois que j’aurais la réponse», explique-t-elle. Les démarches s’enchaînent: dossiers, entrevues, attente longue et silencieuse.Puis, un matin, la réponse de la Faculté de médecine de l’UdeM tombe. Iliya sort d’une garde éprouvante aux soins intensifs cardiologiques. «J’ai ouvert la lettre et, au début, je n’ai même pas réalisé que j’étais accepté», raconte-t-il. Chez Marie-Ève, l’émotion est immédiate. «J’ai versé quelques larmes… j’étais super contente.» Très vite, la réalité la rattrape: quatre années d’études supplémentaires, suivies de deux à cinq ans de résidence, et une vie à réorganiser. «J’ai réalisé à quel point elle venait de se compliquer», dit-elle. Mais ni l’un ni l’autre ne recule.À lire aussi: 10 leçons qu'on n'enseigne pas à la faculté de médecine (mais qu'on devrait)Premiers pas en médecineLes premiers mois en médecine mettent leurs certitudes à l’épreuve. La charge de travail, les dettes qui s’accumulent, l’horizon de plusieurs années d’études, tout pèse. «J’ai eu des re-questionnements en première année… je me demandais si j’avais fait le bon choix», confie Marie-Ève. La fatigue n’efface pourtant pas l’élan. À mesure qu’elle avance, les pièces du casse-tête clinique s’assemblent. «Je comprends enfin des choses que je me suis toujours demandées… c’est vraiment satisfaisant.»Iliya traverse, lui aussi, une phase d’incertitude. «Au début, je ne savais pas si j’allais fitter dans le programme», reconnaît-il. Mais la première année passe, et le doute s’estompe. «Finalement, j’ai réalisé que c’est là où je voulais être.» Leur formation de pharmaciens, loin d’être un détour, devient un fil rouge, un réflexe clinique, une lecture plus large des traitements, une familiarité naturelle avec les médicaments. «Ça fait un beau lien entre la maladie et les médicaments», résume Iliya.Ce bagage, ils ne le gardent pas pour eux. Avec Zakaria Chajai, un autre pharmacien devenu étudiant en médecine, ils fondent un chapitre au sein du Comité de développement médical de l’UdeM pour renforcer l’apprentissage de la pharmacothérapie auprès de leurs camarades. «On voulait aider nos collègues à mieux comprendre les médicaments avant d’arriver sur le terrain», expliquent-ils.À lire aussi: Quand des pharmaciens comblent un angle mort de la formation en médecineDes carrières qui s’imaginentLeurs choix d’avenir se redessinent lentement, au fil des stages et des rencontres. Iliya garde en tête des disciplines où la pharmacologie a un poids réel – médecine interne, anesthésie, soins intensifs, urgence. Un fil logique pour quelqu’un qui, comme lui, aime «connecter les morceaux entre la maladie et les médicaments». Il continue d’ailleurs à travailler à temps partiel, autant en communautaire qu’au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), dans le service d’oncologie qui l’avait accueilli comme patient. «Conseiller les gens qui commencent une chimio, c’est une façon de redonner. J’ai tellement reçu…», confie-t-il.Pour Marie-Ève, son pré-clinique a été marqué par un événement qui a tout reconfiguré: un diagnostic de lymphome. Elle en parle sans pathos, mais avec une lucidité tranquille. «Vivre la maladie comme patiente, ça te fait voir les choses complètement différemment.» Les semaines de traitement, les salles d’attente, la vulnérabilité qui s’impose. Tout cela a déplacé ses priorités. «L’équilibre de vie est devenu essentiel. Les personnes présentes autour de moi… je ne veux plus les laisser de côté.»Cette expérience ne l’a pas détournée de la médecine; elle lui a donné un sens nouveau. Elle songe toujours à la médecine familiale – «parce que ça touche à tout, un peu comme la pharmacie» –, mais l’oncologie s’est invitée dans ses réflexions. «J’ai vu ce que l’équipe peut changer dans la vie d’un patient. Ça m’a beaucoup marquée.» Elle avance sans se presser, certaine que l’externat précisera le chemin.À lire aussi: Dans la peau (et le cerveau) d’un patron médecinUn pied dans chaque milieuEn parallèle, elle continue de travailler comme pharmacienne chez Sterilia, une pharmacie spécialisée en préparations stériles. «On fait beaucoup d’antibiotiques par intraveineuse, de soins palliatifs, de thérapies injectables… C’est très technique.» Pour elle, ce travail est à la fois un ancrage et un rappel. «Ça garde les choses en perspective. Il y a une vraie vie en dehors des études», glisse-t-elle. Et puis, c’est une manière de contribuer au système malgré la pénurie. «Le gouvernement a investi en nous. Je voulais continuer à redonner.»À 27 ans, Marie-Ève et Iliya savent tous deux d’où ils viennent et où ils veulent aller. Surtout, ils ne sont pas des exceptions. À l’UdeM, ces trois dernières années, 71 étudiants issus d’un programme en pharmacie et 44 titulaires du PharmD ont fait le saut vers la médecine. À l’heure où le système cherche à mieux arrimer les professions entre elles, leur parcours rappelle que l'interdisciplinarité n’est pas un concept abstrait, mais une expérience vécue, incarnée, parfois même choisie.

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