De nombreux patients souffrant d'IC quittent l’hôpital sans la médication appropriée

Une étude récente portant sur les Canadiennes et Canadiens hospitalisés pour une insuffisance cardiaque (IC) suggère que de nombreux patients ne se font pas prescrire les médicaments appropriés à leur sortie de l’hôpital, même s’ils sont admissibles à ces thérapies. «Il existe un écart important entre ce qui est prescrit et ce que les lignes directrices recommandent de faire. Il y a ainsi une grande cohorte de patients qui ne sont pas traités de manière appropriée», observe le Dr Sean Virani. Auteur principal de l’article publié dans la rubrique «Insuffisance cardiaque» du Journal of the American College of Cardiology (JACC), le Dr Virani est vice-président de la Société canadienne de cardiologie et chef de la division de cardiologie de l’hôpital Providence Health Care, à Vancouver. L’hospitalisation représente un moment clé pour intervenir dans la prise en charge de l’IC et pour optimiser les soins aux patients, ajoute le médecin. Des études antérieures menées au Canada, et ailleurs, indiquent qu’une fois les patients sont sortis de l’hôpital, il y a souvent un décalage dans la prescription des médicaments appropriés pour l’insuffisance cardiaque. «Nous savons qu’à l’heure actuelle, lorsque les patients reviennent dans la communauté, l’adoption d’une thérapie médicale conforme aux directives est très lente, de même que l’initiation d’une telle thérapie, signale le Dr Virani. Nous ne pouvons pas compter sur le fait que les choses se passent en ambulatoire, car ce n’est pas le cas. Nous devons donc profiter de l’hospitalisation pour apporter ces changements.» Les auteurs de l’article ont examiné le Registre canadien de l’insuffisance cardiaque concernant les patients hospitalisés pour une IC aiguë qui sont sortis de l’hôpital entre janvier 2017 et avril 2020. Sur les 809 patients, 455 présentaient une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection réduite (ICFEr) et 354 une insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée (ICFEp). La majorité d’entre eux souffraient d’une IC chronique, tandis que d’autres venaient d’être diagnostiqués. Parmi les personnes atteintes d’ICFEr et qui étaient éligibles à un traitement conforme aux directives: 19% ne se sont pas vu prescrire un bêtabloquant; 37,9% n’ont pas reçu d’inhibiteur de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) ou d’antagoniste des récepteurs de l’angiotensine (ARA); 93,4% ne se sont pas vu prescrire d’inhibiteurs des récepteurs de l’angiotensine et de la néprilysine (ARNi); 56% n’ont pas reçu d’antagonistes des récepteurs minéralocorticoïdes (ARM). Les schémas de prescription étaient basés sur les lignes directrices de 2017 de la Société canadienne de cardiologie, alors que les ARNi n’étaient recommandés que pour certains patients atteints d’ICFEr et que les inhibiteurs de SGLT2 (gliflozines) n’étaient pas encore approuvés au Canada pour les patients atteints d’IC. Les ARM et les ARNi sous la loupe Parmi les patients atteints d’ICFEp admissibles à un traitement par ARM, 76,9% n’ont pas été traités avec cette médication. L’admissibilité au traitement par ARM était déterminée par les critères de l’essai TOPCAT (Treatment of Preserved Cardiac Function Heart Failure with an Aldosterone Agonist). C’est la sous-prescription des ARM et des ARNi qui inquiète le plus le Dr Virani. «La raison pour laquelle ils me préoccupent, c’est que les données relatives à ces médicaments sont disponibles depuis très longtemps, indique-t-il. Et nous ne voyons toujours pas d’adoption.» Ces deux classes de médicaments, plus particulièrement les ARM, sont largement recommandées pour toutes les fractions d’éjection, ce qui signifie que tous les patients souffrant d’IC devraient être éligibles. «Pour moi, cela suggère une grande lacune dans les connaissances, et probablement dans le confort de la prescription», commente le cardiologue britanno-colombien. Lire aussi: Les médicaments susceptibles d’aggraver l'insuffisance cardiaque (quiz éclair) Les lignes directrices de la Société canadienne de cardiologie pour le traitement de l’ICFEr ont été révisées en avril 2021. Le Dr Virani estime que ces directives constituent un bon début pour l’application des connaissances et qu’elles susciteront, espère-t-il, une meilleure adoption des traitements recommandés par les lignes directrices et, éventuellement, une diminution de la morbidité et de la mortalité. «Les lignes directrices sont un outil important, mais elles doivent être couplées à des activités d'application des connaissances», précise-t-il. La Société canadienne de cardiologie élabore actuellement de nouvelles lignes directrices sur l’IC qui seront publiées cette année. Le Dr Virani sera le président du comité chargé de leur rédaction. «Les choses évoluent si rapidement dans ce domaine que les lignes directrices que nous avons rédigées l’an dernier doivent être actualisées», explique le clinicien. Les raisons de la sous-prescription Il convient néanmoins que l’évolution rapide des lignes directrices ne facilite pas la tâche des médecins. La vitesse à laquelle les nouvelles connaissances sont développées peut constituer un obstacle à leur mise en œuvre, car cela oblige les médecins à se pencher sur l’IC, ainsi que sur les autres maladies qu’ils traitent, admet le Dr Virani. Pourquoi les médicaments recommandés étaient-ils sous-prescrits? Pour certains patients, l’absence de prescription était légitime en raison de contre-indications, comme le fait de prendre d’autres médicaments ou d’avoir un dysfonctionnement rénal. Pourtant, de nombreux patients pouvaient bénéficier de traitements éprouvés qui réduisent la morbidité et la mortalité chez les personnes souffrant d’IC. Par exemple, parmi les patients atteints d'ICFEr: 73,6% étaient éligibles aux ARNi; 94,9% étaient éligibles aux bêtabloquants; 84,4% étaient éligibles aux ARM; 80,6 % étaient éligibles aux IECA ou aux ARA. Les directives recommandent que les nouvelles thérapies soient ajoutées aux thérapies existantes, mais les résultats de l’étude ont montré que certains patients ne suivaient même pas les thérapies initiales. «Il y avait un groupe important de patients qui ne suivaient pas le traitement de base, et qui n’étaient donc pas éligibles pour l’initiation d’un nouveau traitement», explique le Dr Virani. Il y a donc eu une période de rattrapage pour que les patients suivent les thérapies de base, afin qu’ils soient éligibles pour la nouvelle. Lire aussi: La pharmacogénomique au service de l’insuffisance cardiaque L’autre raison pour laquelle les médicaments n’ont pas été prescrits est peut-être liée un manque d’urgence, selon les auteurs. Une étude réalisée en 2020 par des chercheurs de l’Institut de cardiologie de Montréal a suggéré que les écarts dans l’adhésion aux lignes directrices sur l’IC s’expliquaient par des facteurs physiologiques, par exemple si les patients étaient fragiles ou avaient des antécédents d’accident vasculaire cérébral. Cependant, les auteurs de cette étude estimaient aussi que les limitations systémiques, voire l’inertie du prescripteur, sont à l’origine de l’écart dans la prescription de médicaments conformes aux lignes directrices. Pour améliorer la prescription de médicaments recommandés par les lignes directrices à la sortie de l’hôpital, «il faut qu’il y ait un plus grand sentiment d’urgence et que l’on reconnaisse que ces patients courent un risque élevé d’aggravation récurrente de leur insuffisance cardiaque, de réhospitalisation et de décès», a déclaré au site TCTMD.com le Dr Gregg Fonarow, chef intérimaire du service de cardiologie de l’Université de Californie à Los Angeles. «Tout comme vous ne feriez pas sortir un patient de l’hôpital après un événement coronarien aigu sans traitement antiplaquettaire ni sans traitement hypolipidémiant, il est absolument nécessaire d’avoir le même état d’esprit pour les patients hospitalisés pour insuffisance cardiaque.»

De nombreux patients souffrant d'IC quittent l’hôpital sans la médication appropriée

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