Implantation d’un programme de surveillance de l’usage des antibiotiques dans les établissements

Le ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) a demandé aux établissements de santé, plus particulièrement ceux de soins généraux et spécialisés ainsi que les centres de santé et de services sociaux à mission hospitalière, de mettre en place un programme de surveillance de l’usage des antibiotiques.Pour aider ses membres à réaliser cette nouvelle exigence, l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES), avec la collaboration du Regroupement de pharmaciens experts en infectiologie (RPEI), a tenu l'automne dernier deux journées de formation à Trois-Rivières auxquelles plus de 150 pharmaciens hospitaliers ont assisté.Ces journées de formation étaient une initiative de Daniel Thirion, pharmacien au Centre universitaire de santé McGill (CUSM), notamment codirecteur du programme de parrainage des antimicrobiens, et professeur agrégé de clinique à la Faculté de pharmacie de l’Université de Montréal.En entrevue à L’actualité pharmaceutique, Daniel Thirion, pharmacien et Ph. D., expert des antibiotiques, a expliqué les modalités du programme de surveillance de l’usage des antibiotiques, aussi appelé programme de parrainage des antimicrobiens.Origine des éclosions de Clostridium difficilePourquoi implanter un tel programme ? Daniel Thirion précise que l’émergence de Clostridium difficile dans certains hôpitaux du Québec en 2003 et en 2004 est à l’origine de l’implantation d’un programme de parrainage des antimicrobiens dans chaque établissement de santé. « Des rapports de certains coroners ont révélé qu’il manquait de pharmaciens dans les hôpitaux pour le suivi de l’usage des antibiotiques », indique-t-il.En 2006, le MSSS a donc diffusé un premier plan d’action sur la prévention et le contrôle des infections nosocomiales qui comprenait entre autres la mise en place d’un programme de surveillance des antibiotiques en centre hospitalier. Puis, le Conseil du médicament (CDM, maintenant l’INESSS) a publié en 2007 le Cadre de référence relatif à l’usage optimal des anti-infectieux et au suivi de l’utilisation de ces médicaments en milieu hospitalier. Ce document sert de référence pour la mise en place d’un programme de surveillance de l’usage des antibiotiques.Finalement, le MSSS a émis en 2011 une circulaire demandant aux établissements de santé de mettre en œuvre un programme de surveillance de l’usage des antibiotiques comprenant au minimum l’identification d’une entité responsable du programme et une surveillance quantitative et qualitative.À titre d’expert, Daniel Thirion a participé à l’élaboration du cadre de référence du CDM et de la circulaire du MSSS. « Les interventions qualitatives concernent la qualité de l’ordonnance, c’est-à-dire un suivi de l’usage optimal des antibiotiques (bonne indication, bon agent, bonne dose, bonne voie d’administration et bonne durée) et les interventions quantitatives visent à suivre la quantité prescrite des antibiotiques [à l’aide du concept de la dose journalière définie (acronyme anglais DDD; voir article de la p age 20) par 1000 jours-présence, par unité de soins et par période financière] pour valider les impacts des interventions qualitatives. Si les interventions qualitatives ont été réalisées de façon adéquate, la quantité prescrite d’antibiotiques diminuera nécessairement », croit Daniel Thirion.Il signale que, depuis janvier 2013, Agrément Canada exige qu’un programme de parrainage des antimicrobiens soit implanté dans l’établissement de santé pour que celui-ci reçoive son agrément.Aucun budget supplémentaireDaniel Thirion déplore que le MSSS n’accorde pas de budget pour des ressources humaines et techniques supplémentaires afin d’assurer le fonctionnement des programmes de parrainage des antimicrobiens. Pourtant, il est d’avis que ce type de programme nécessite notamment l’emploi d’un pharmacien à temps plein, la participation d’un microbiologiste-infectiologue, ainsi que du personnel technique pour le traitement des données.La circulaire du MSSS suggère aux établissements de santé d’utiliser « une structure multidisciplinaire déjà existante qui devrait avoir des liens avec le comité de prévention des infections, le département de pharmacie et le Conseil de médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP). […] Cette entité devra élaborer un plan d’action lui permettant de planifier et de prioriser les activités de façon optimale et structurée. »Pour sa part, Daniel Thirion recommande la mise en place d’un nouveau comité interdisciplinaire. « Selon les lignes directrices, il faudrait qu’un microbiologiste-infectiologue et qu’un pharmacien soient responsables d’identifier les priorités d’intervention, de gérer les ressources humaines pour arriver à effectuer les interventions et de suivre dans le temps l’efficacité et la pertinence des interventions. »« Un tel comité vise à améliorer les soins aux patients, c’est-à-dire à obtenir une issue clinique favorable à la suite de l’usage d’un antibiotique, à prévenir les complications médicales, à minimiser les effets indésirables, dont le principal est la surinfection attribuable au Clostridium difficile, et à réduire la résistance aux antibiotiques dans la population hospitalière. »Ce comité devrait être redevable au comité de pharmacologie, qui se rapporte au CMDP, ou directement au CMDP, précise-t-il. « Le directeur des services professionnels est aussi étroitement impliqué dans les interventions. »Les établissements de santé avaient jusqu’au 31 mars 2012 pour informer leur agence régionale du choix de leur « entité interne » responsable de ce programme. Le MSSS demande que le plan d’action et le bilan annuel des activités de surveillance de l’usage des antibiotiques soient déposés au conseil d’administration de l’établissement.Deux interventions qualitatives importantesDaniel Thirion suggère aux pharmaciens de mettre en place les deux interventions qualitatives en particulier. « La première intervention importante qui peut être mise en place dans une unité de soins est le suivi prospectif avec intervention et rétroaction. Le pharmacien évalue la prescription de l’antibiotique dans les 24 heures, effectue une intervention, s’il y a lieu, et cumule les données de l’intervention en vue d’une rétroaction auprès de l’équipe traitante après une période donnée, par exemple après un mois au début. »Daniel Thirion précise que le pharmacien revoit l’évaluation de la pratique médicale des médecins en compagnie du microbiologiste-infectiologue. Dans certaines unités du CUSM, par exemple, ce genre d’intervention a permis d’améliorer le suivi des recommandations de l’hôpital pour le traitement des infections urinaires non compliquées, de traiter uniquement les patients infectés (pas ceux colonisés) et d’utiliser le triméthoprime/sulfaméthoxazole (TMP/SMX) en première ligne, plutôt que la ciprofloxacine qui doit être réservée pour la deuxième ligne.La seconde intervention importante, indique Daniel Thirion, est la mise en place d’un formulaire thérapeutique restrictif avec autorisation pour gérer l’accès aux antibiotiques. « C’est une liste d’antibiotiques qui peuvent être utilisés dans l’établissement de santé selon certains critères, pour certains patients ou par certains prescripteurs. » Au CUSM par exemple, un microbiologiste-infectiologue doit donner son aval pour utiliser certains antibiotiques.D’autres interventions peuvent être réalisées, telles que l’éducation des professionnels de la santé, l’élaboration de guides cliniques en antibiothérapie avec des indications précises de traitement, le passage de la voie intraveineuse à la voie orale si cette option est pertinente et valable, et l’optimisation du dosage des antibiotiques selon leurs paramètres pharmacocinétiques.Selon des données d’opinions d’experts, un antibiotique ne serait pas nécessaire dans une proportion des cas pouvant atteindre 50 %. « Si nous effectuons nos interventions, nous diminuerons de 30 % l’usage des antibiotiques, affirme Daniel Thirion. Nous produirons un impact énorme. »

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