Crise dans nos urgences: renforcez la première ligne médicale!

La crise actuelle dans nos urgences ne surprend pas les médecins en première ligne. Nous manquons de lits hospitaliers et de lits de longue durée au Québec, une non-planification catastrophique du MSSS malgré une démographie amplement prévisible: nous sommes une des sociétés qui vieillit le plus vite en Occident. De plus, dans leurs communications, le MSSS ne fait pas la distinction, pourtant basique, entre les malades ambulants (urgences mineures, sans-rendez-vous) et ceux plus malades et instables (urgences majeures), en inscrivant dans le schéma suivant un fouillis de solutions non différenciées pour deux types de clientèles pourtant différentes. Nous avons souffert de la perte de plusieurs postes de nouveaux médecins à Montréal au cours des deux années (pré-électorales), postes transférés ailleurs malgré le taux très élevé de patients orphelins dans la métropole. Cela a fait mal. Personne ne s’en préoccupait dans la « capitale nationale », jusqu’à ce que nos urgences débordent gravement. Gênant, n’est-ce pas, ces lignes d’ambulances qui attendent des heures devant les portes de nos urgences ainsi que tous ces enfants malades non soignés! Depuis 15 ans, nous vivons au quotidien les terribles conséquences du pourcentage très élevé de pratique hospitalière exigée à nos médecins de famille, privant d’autant la première ligne. Mais nos décideurs n’en parlent pas: Chut! Il ne faut pas déplaire. À qui? Comment peut-on espérer que les médecins de famille restants soignent autant de patients en cabinet que leurs confrères canadiens. Ces derniers consacrent 85% de leurs heures au cabinet et à domicile, contrairement à 60% pour ceux du Québec. Plusieurs médecins en bureau n’osent plus prendre des vacances ou assister à un congrès car leurs patients n’ont plus accès aux plages de sans-rendez-vous de leurs cliniques, là où sont leurs dossiers médicaux, les sans-rendez-vous débordant maintenant de patients orphelins. On devrait exiger au minimum de tous les GMF, même les GMF-R, de desservir leurs propres patients au lieu de forcer ces patients à consulter ailleurs, y compris dans les urgences. Quelle perte d’efficacité et de qualité de soins! Malgré l’excellence de la pratique interprofessionnelle - à encourager fortement -, ce ne sont pas les « HUB », les « GAP » et autres « patentes » administratives qu’on nous concocte chaque année qui changeront le besoin pour une majorité des malades de recevoir des soins médicaux par des médecins. Cessons d’occulter ainsi la nécessité de réduire rapidement le pourcentage de pratique hospitalière de nos médecins de famille en milieux urbains et semi-urbains (les régions sans pénurie de spécialistes). En dehors du Québec, ce sont les spécialistes médicaux qui hospitalisent, ce qui permet aux médecins de famille de travailler surtout à domicile et en cabinet. Ce qui dégagerait nos urgences. Mais chut! Il ne faut pas le dire : nos décideurs cachent à la population le fait que la majorité des malades ont besoin d’être suivis par un médecin. Ce n’est pourtant pas un caprice de leur part, contrairement au discours ambiant, tendancieux et méprisant pour les malades. Les décisions prises ces dernières années par nos décideurs (MSSS, FMOQ, CMQ) ont eu des impacts négatifs sur la valorisation de de médecine familiale hors des hôpitaux : ils sous-estiment l’importance de ces médecins dans l’équipe interprofessionnelle GMF, non interchangeables en réalité pour les cas complexes. Ils les contraignent à en faire toujours plus, malgré leur nombre grandement insuffisant. Ils les attirent par des lucratives primes dans les plages horaires GAP, en risquant de réduire d’autant les visites des patients inscrits au GMF. On ne peut pas tirer toujours sur le même élastique, les 60% des médecins de famille en première ligne : il risque de briser. Plusieurs médecins GMF abandonnent la prise en charge devant cette dévalorisation systémique, devant le flot incontrôlable de patients, devant l’impossibilité de se faire remplacer lors des absences (entraînant plus de patients aux urgences) et devant les multiples tâches administratives futiles dont notre société dépend excessivement (à quand les auto-déclarations aux employeurs pour les congés maladies et pour les autres formulaires ?). Nos décideurs cachent à la population le rôle non interchangeable des médecins de famille comparativement à celui des IPS-PL pour les patients complexes : les médecins de famille sont les experts de la prise en charge de cas complexes. Qui va enfin le dire tout haut et encourager cette pratique, d’une autre façon que celle des primes en argent? Les médecins de famille sont-ils uniquement motivés par l’argent, sans égard à l’état du réseau? Je ne le crois pas: ils désirent avant tout donner un bon service à leurs patients GMF, en équipe et en accès ouvert. Qu’on laisse les médecins GMF effectuer leur travail. Et que le gouvernement fasse le sien (organiser les soins aux orphelins en les inscrivant à un médecin, sauf si en bonne santé). Nos décideurs cachent à la population le besoin d’un suivi médical assidu et personnalisé en cabinet et à domicile («prise en charge», «inscription individuelle») pour les malades : les patients complexes, lorsque orphelins, se retrouvent souvent maintenant dans les GAP. Ils passent d’un médecin inconnu à un autre. Je les plains, ainsi que les courageux médecins qui ont très peu de temps pour régler en une consultation des problèmes complexes sévères de patient inconnus d’eux. Pour ces malades, le GAP est un triste sans-rendez-vous déguisé, alors que pour des gens non malades avec un problème ponctuel de santé, le GAP est un service utile. À quand un triage GAP respectueux de la condition des patients ? Nos décideurs cachent à la population le fait que les patients non ambulants, ceux souffrant de maladies chroniques sévères et terminales - ceux qui bloquent les lits hospitaliers et les urgences majeures - ne se présentent pas à l’hôpital par manque de soins infirmiers ou de soins d’hygiène (par « manque de soins à domicile »), mais par manque de soins médicaux intensifs (24/7) à domicile. On ne va pas chercher un bain ou un pansement à l’urgence majeure: on veut consulter un médecin. Nos décideurs cachent le fait que les «SIAD», les équipes intensives à domicile 24 heures /7 jours - toujours non implantées depuis 2018 (!!!) - sont un service médical de base essentiel partout ailleurs en Occident, qui a démontré son efficacité pour réduire les hospitalisations (65% moins) dans la dernière année de vie, sans compter les importantes économies de système démontrées (50% moins). Est-on à ce point riches au Québec qu’on n’essaie pas de réduire les coûts hospitaliers ? Ne cherchez pas les SIAD dans le schéma ci-dessous du MSSS : les médecins SIAD offrent beaucoup plus que des « soins préhospitaliers », ils inscrivent aussi des grands malades qu’ils suivent de façon personnalisée en équipe 24/7, jusqu’au décès dans plus de 60% des cas. Sans médecin SIAD, les patients médicalement instables doivent consulter aux urgences à répétition, surtout dans leur dernière année de vie. Ce schéma du MSSS cache le fait que les soins à domicile infirmiers sans médecins SIAD ne suffisent pas à ces patients, malgré l’excellence des professionnels à domicile des CLSC. Nous sommes la seule province à ne pas offrir des soins médicaux intensifs à domicile: qui se surprend, en temps de COVID, que nos hôpitaux débordent plus qu’ailleurs? La cellule de crise des urgences actuellement formée n’inclut pas des médecins SIAD: en d’autres mots, l’évier - dont le goulot est pourtant très étroit - déborde, mais on ne désire pas fermer le robinet. Très inquiétant, car il n’est pas «minuit moins une»: il est minuit. Les décisions de nos décideurs énumérées ci-dessus, hospitalocentrées, ont progressivement détruit la première ligne médicale au Québec depuis 15 ans. Nous en sommes les témoins chaque jour. Appel à nos décideurs, au nom des grands malades: renforcez véritablement la première ligne médicale!

Profession: médecin de famille

Crise dans nos urgences: renforcez la première ligne médicale!

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Derrière ce blogue:

la Dre Geneviève Dechêne

Catégories connexes