COVID-19: un médecin de Floride raconte sa réalité

En Floride, où à peine 54,4% de la population a reçu une double dose de vaccin contre la COVID-19, il n’y a pas que les gens peu éduqués qui ont recours à des traitements douteux. Des médecins aussi se soignent mal et finissent par se présenter à l’urgence pour s’y faire traiter. C’est ce qu’a vécu le Dr François Laflèche, un urgentologue d’origine québécoise qui pratique au Mease Countryside Hospital, un gros hôpital communautaire de 311 lits, situé à Safety Harbour, dans la baie de Tampa. Les trois premières vagues de COVID avaient eu pour effet de réduire le nombre de visites à son urgence. Mais l’achalandage a explosé en quelques semaines lors de la quatrième vague, témoigne-t-il à Profession Santé. Il s’agissait pour la plupart de patients non vaccinés, extrêmement nombreux dans cet État dirigé par Ron DeSantis, un gouverneur républicain qui a levé toutes les restrictions liées à la pandémie et refusé l’obligation du port du masque dans les écoles en août. En Floride, dit le Dr Laflèche, la COVID est partout et frappe toutes les couches de la société. Les répercussions sont visibles dans les hôpitaux. Quand il regarde les écrans de son urgence pour connaître les motifs de consultation des patients admis depuis quelques semaines, un mot domine: COVID, COVID, COVID… À lire aussi: COVID-19 : Le MSSS déploie des cliniques pédiatriques «Avec le Delta, il y a beaucoup de jeunes dans la vingtaine, la trentaine, des personnes âgées, mais aussi des enfants qui ont contracté le virus, décrit-il. Les Floridiens n’ont pas fait d’efforts pour suivre les consignes de protection. Certains se présentent à l’urgence gravement malades ou même s’ils n’ont que des symptômes mineurs. Beaucoup viennent à l’hôpital pour obtenir une injection d’anticorps monoclonaux Regeneron, un traitement qui avait été utilisé pour Donald Trump, et qui est très encouragé ici.» La motivation pour recevoir le Regeneron a été tellement forte que la salle d’urgence du Mease Countryside Hospital, qui ne connaît jamais de débordement en temps normal, a été submergée. Cet espace est restreint dans l'hôpital floridien, car là-bas, les gens n’ont pas l’occasion de s’agglutiner dans la salle d’attente comme c’est le cas au Québec. L’injection d’anticorps monoclonaux dure environ 30 minutes, mais la personne doit demeurer sur place une heure de plus. L’urgence regorgeait donc de patients et on ne savait plus où les mettre. La direction a dû faire installer des tentes à l’extérieur pour gérer cette cohue. Le gouverneur Ron DeSantis, qui aspire un jour à succéder à Donald Trump à la tête du Parti Républicain, est un grand partisan de ce traitement. «S’il avait poussé le vaccin comme il avait poussé les anticorps monoclonaux, commente le Dr Laflèche qui a obtenu sa citoyenneté américaine, cela se serait passé beaucoup mieux en Floride…» Des médecins atteints de la COVID L’État n’ oblige pas les travailleurs de la santé à recevoir la double vaccination comme au Québec. Pas étonnant, donc, de retrouver des infirmières et des médecins parmi les malades. Le Dr Laflèche en reçoit à son urgence. «La majorité de mes collègues médecins sont des Républicains et ils n’étaient pas très portés sur la vaccination, dit-il. Avant de venir à l’urgence, ils se traitaient avec de la bullshit suggérée sur internet. C’est décourageant...» Les infirmières aussi sont mal informées. «J’ai attrapé la COVID il y a six mois, je suis correcte», lui a lancé une membre du personnel infirmier de son hôpital. Le Dr Laflèche, lui, a reçu deux doses de vaccin et en recevra bientôt une troisième. L’entreprise BayCare pour laquelle il travaille et qui possède le contrat de l’urgence du Mease Countryside Hospital oblige tous ses médecins à se faire vacciner. À 58 ans, il n’avait toutefois pas besoin de cette obligation pour relever sa manche. En Floride, des médecins et des infirmières sont décédés de la COVID; il ne voulait pas risquer de subir le même sort. Presqu’une sentence de mort Les gens qui en meurent à son hôpital sont encore le plus souvent des personnes âgées, mais on voit aussi des gens dans la quarantaine, la trentaine. Des jeunes font des embolies pulmonaires et c’est ce qui semble les tuer de façon rapide, note le Dr Laflèche. Comme la plupart des médecins de la planète, il constate que la COVID-19 a changé la pratique médicale avec l’explosion des cas chez des gens de tous les âges. Parmi ses patients qui en sont décédés, le plus jeune cas était une femme de 32 ans qui n’était pas vaccinée. En deux jours, elle est tombée gravement malade et, à son arrivée à l’urgence, elle était déjà mourante. Elle ne s’en est pas sortie. À lire aussi: QUIZ - Vaccin: que connaissez-vous des doses de rappel contre la COVID? Les vaccins ont pourtant fait la preuve de leur efficacité. Le Dr Laflèche raconte ne pas avoir hospitalisé plus de cinq patients doublement vaccinés et ne pas en avoir intubé un seul d’entre eux en trois semaines. Par contre, il a admis jusqu’à 15 personnes non vaccinées par jour, des gens qui étaient gravement malades. Le taux de survie de ceux qui sont placés sous respirateur là-bas est de moins de 1 %. «Être intubé, c’est presqu’une sentence de mort», murmure sinistrement l’urgentologue. La situation dans son hôpital évoque celle qui devait prévaloir lors de la grippe espagnole en 1918, croit-il: des patients couchés, portant des masques, toussant, souffrant de fièvre, de maux de tête, de myalgie, de problèmes d’odorat. Les lits sur les étages en sont pleins. Et ceux qui survivent ne s’en tirent pas indemnes. «Un ami de ma blonde qui n’était pas vacciné l’a attrapée, raconte-t-il. Il a été hospitalisé durant trois semaines et a passé trois autres semaines chez lui sous oxygène. Il a perdu sa job, ça fait un mois et demi qu’il ne travaille pas, il n’a plus d’argent et sa femme trouve qu’il est moins en forme qu’il ne l’était avant d’attraper la COVID. Une infirmière qui l’avait contractée il y a huit mois en ressent encore des effets aujourd’hui.» Le Dr Laflèche note toutefois que les taux de vaccination ont augmenté ces dernières semaines. La flambée des cas en Floride a poussé beaucoup de gens à se faire vacciner, se réjouit-il. La facilité avec laquelle des milliers de personnes ont attrapé la COVID et le nombre élevé de gens qui en sont morts ont davantage incité les citoyens à se faire vacciner que les campagnes et les appels de Washington ou de la santé publique. «Tout le monde connaît quelqu’un qui est malade de la COVID ou qu’il l’a eue, dit-il. Les gens vont se faire vacciner, ce qu’ils ne faisaient pas ces derniers mois en raison de toutes les théories de complots niant l’existence de la pandémie.» Des similitudes avec le Québec Sous certains aspects, la situation que décrit le Dr Laflèche dans son hôpital se rapproche de celle des hôpitaux québécois. Un petit étage de psychiatrie du Mease Countryside Hospital a été transformé en unité COVID et une section pour les cas mineurs a été aménagée en zone de soins intensifs. Des chirurgies électives ont été annulées et les infirmières assignées à d’autres départements. Toutefois, la direction de l’hôpital tente de remettre les blocs opératoires en marche, car la baisse du nombre d’opérations constitue un gros manque-à-gagner pour l’établissement. À lire aussi: COVID-19: le plasma convalescent pourrait être nuisible La situation des infirmières diffère quant à elle beaucoup entre le Québec et la Floride. Là-bas, la situation est très stressante en raison de la peur de contracter la maladie, mais au moins, le TSO n’existe pas. Elles font leur quart de travail et quittent. Une seule fois, le Dr Laflèche a vu pleurer une infirmière durant ses heures. Pour remplacer celles qui sont malades ou qui s’absentent par crainte d’attraper le virus, la compagnie BayCare en a tout simplement embauché d’autres. Cette situation de rêve est celle qui prévaut dans son hôpital, mais des collègues médecins d’autres établissements de la Floride lui décrivent une réalité très différente où il manque d’infirmières et le ratio patient-infirmière a beaucoup augmenté en raison de la COVID. On a atteint un plateau Après l’explosion de cas de la quatrième vague, le Dr Laflèche constate que le nombre de patients qui se rendent à l’urgence de son hôpital a plafonné. La fréquentation semble vouloir revenir à la normale. Il croit qu’un plateau a été atteint et que l’on assiste peut-être au début d’une certaine immunité collective en Floride parce qu’énormément de gens ont contracté la maladie. Malgré tout, le prix aura été lourd à payer en vies perdues ou amochées.

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