Coût du système de santé: Les personnes âgées, de bien commodes boucs émissaires

Hubert Doucet se désole de voir la société faire porter aux aînés toute la responsabilité des maux du système de santé et la mise en péril des régimes de retraite. Une façon, dit-il, de dévier l’attention des autres problèmes fondamentaux. Entrevue avec un spécialiste en éthique des soins de santé*. On met sur le dos des personnes âgées tous les maux de la terre. Est-ce justifié?Non, ce jugement hâtif cache bien d’autres raisons qu’on préfère ne pas voir. Par exemple, le vieillissement n’est que la 4e cause de l’augmentation annuelle des coûts du système de santé, loin derrière les technologies, médicaments inclus, et les hausses de salaire des professionnels de la santé (étude ICIS, 2011).Médias, société, système de santé et soignants font converger tous les maux vers une seule cause: les personnes âgées. Cela occulte toute réflexion collective sur les autres facteurs. Ce n’est pas le vieillissement qui a le plus d’impact sur l’augmentation des coûts, mais, entre autres, les technologies qui, en plus, deviennent très vite obsolètes.Il semble pourtant bien difficile d’aller contre le progrès technique, non?C’est vrai, et les technologies jouent aussi un rôle dans le fait de vieillir en bonne santé. Tout se tient. Une personne de 80 ans, en 2013, a la santé d’une personne de 65 ans d’il y a 15 ans. Toutefois, la technologie n’en est pas la première responsable: on le doit aussi, et surtout, à une meilleure hygiène, une meilleure alimentation, etc. En désignant les personnes âgées comme des boucs émissaires, on évacue la discussion sur les façons d’améliorer le système de santé pour toute la société.Comment pourrions-nous l’améliorer, selon vous?En révisant le rôle et l’apport réel de chaque profession de la santé. Les soignants travaillent en groupe, pas forcément en équipe. L'organisation reste pyramidale, avec le médecin au sommet. Dans les CHSLD, où le médecin n’est pas, c’est quand même lui qui détient le pouvoir. Aux yeux des patients âgés et de leur famille, il reste l’autorité.Or, pour être plus en phase avec l’évolution, ne serait-il pas temps d’accorder davantage de responsabilités aux infirmières, notamment dans les CHSLD? C'est déjà à elles, qui ne sont pourtant pas en position d’autorité, de négocier au quotidien avec les patients et les familles; elles s’en rapportent ensuite au médecin qui va prendre la décision, même s’il n’est pas là. Ne devrait-on pas revoir cette façon de faire? Les infirmières pourraient faire beaucoup plus que ce à quoi le système les cantonne.Les aînés attendent-ils trop des médecins?Oui et non. Oui, car les gens âgés, surtout ceux qui sont malades, ont peur de perdre leur médecin. Non, car plus le temps passe et plus on découvre que nous sommes aussi prisonniers, otages des médecins, dans la mesure où ces derniers cherchent à tout conserver. Pourtant, ils sont de moins en moins présents et les infirmières pourraient faire beaucoup plus.Et puis, quel paradoxe! D’un côté, les personnes âgées contribuent sans doute plus que toute autre clientèle à entretenir l’aura des médecins; de l’autre, ces derniers – dans l’ensemble bien sûr, car il y a beaucoup d’exceptions – n’ont que très peu d’intérêt, voire aucun, pour soigner les gens âgés. À l’urgence par exemple, ceux-ci n’auront certainement pas la priorité.Lire la suite*Hubert Doucet enseigne la bioéthique aux facultés de médecine et de théologie de l’Université de Montréal. Ex-responsable de l’unité d’éthique clinique de l’Hôpital Sainte-Justine.Certains voient un parallèle entre le curé d’hier et le médecin d’aujourd’hui. Est-ce aussi votre cas?Oui, on peut effectivement établir un certain parallèle entre les deux. Le curé d’autrefois faisait de la relation humaine. Aujourd’hui, alors que tout le monde est devenu fonctionnaire, le médecin ne demeure-t-il pas l’un des derniers pôles reconnus de relation humaine?Un jour, en attendant le médecin de famille, je me suis mis à discuter avec les patients dans la salle d’attente. Ils me confirmaient ce pôle de relation humaine qu’est devenu le médecin, une personne à laquelle on peut se confier. Pourtant, en matière de relation humaine, une infirmière ferait tout aussi bien le travail dans bien des cas.N’est-ce pas déjà le cas dans certains champs d’activités ?Effectivement, on le voit déjà dans certaines pratiques psychiatriques. L’équipe veut tellement protéger le psychiatre surchargé que le médecin s'occupe de l’évaluation et de la prescription, tandis que les autres soignants se chargent des aspects plus relationnels du traitement, en fonction de leurs compétences. Étrange situation où le médecin ne connaît ses patients que de manière superficielle. N’y a-t-il pas un risque qu’il soit alors vu comme le prescripteur des médicaments, puisqu’il est le seul à pouvoir le faire?La médecine n’aime pas les aînés, mais se bat contre le vieillissement…Oui, et c’est le second paradoxe. D’un côté, les gens âgés sont perçus comme la cause des malheurs du système de santé; de l’autre, on dépense des fortunes pour que les gens ne vieillissent pas, avec la médecine anti-âge dont beaucoup rêvent. Il ne faut plus vieillir! Tel est le mot d’ordre de notre société.La médecine anti-âge est à la fois une illusion et une technologie dispendieuse qu’on ne peut pas payer pour tous. Si on l’offre à l’un, il faut l’offrir à tout le monde. Mais faut-il vraiment l’offrir, alors qu’on n’a même pas les moyens de fournir des soins de base aux personnes âgées malades ou aux enfants souffrant de TDAH?Pour la société, que signifie ne plus accepter de vieillir? C’est à la fois un progrès et un risque. Plus une société vieillit, plus elle aura tendance à être statique, peu encline à faire des changements de fond, plus prête à protéger ses acquis. Cette querelle des Anciens et des Modernes n’est pas nouvelle.Par ailleurs, pour une personne âgée, tous les problèmes, dont ceux de santé, sont reliés. Et ce qu’il faut par-dessus tout, c’est encourager son autonomie. Or, sous prétexte qu’une personne est âgée, on ne cherche plus à valoriser son autonomie, alors même que celle-ci constitue un puissant facteur de santé morale, psychologique, globale.Revenons au rôle de la technologie en lien avec le vieillissement. Où s’arrêter?Il faudra prendre des décisions pour imposer un certain contrôle à la technologie, car c’est à nous de la maîtriser, pas à elle de nous mener. La crise budgétaire va sans doute nous forcer à remettre un peu d’ordre dans ce domaine, en nous rappelant nos limites, qui sont celles de nos moyens. Cela va nous permettre de réinventer une nouvelle façon de faire.En médecine, l’acte technique ne prime-t-il pas déjà sur l’acte humain?Hélas, oui. Avec les enfants souffrant de TDAH par exemple, on n’est plus dans les grandes technologies, mais dans la capacité de rencontre, dans le travail interdisciplinaire, éducatif, psychologique, pour aider les enfants à s’en sortir. Ça ne coûte pas une fortune. Mais tout se passe comme si la techno arrivait toujours première, drainant tous les budgets. C’est là qu’il faut s’interroger.Tout nous ramène désormais à nos choix, et en matière de santé, on ne peut plus ne plus faire de choix. On ne peut plus tout payer non plus. Beaucoup de médicaments, par exemple, coûtent trop cher étant donné le peu d’avantages thérapeutiques qu’ils procurent. On l’a vu, en 2007-2008, avec les débats qu’a suscités l’arrivée de l’Avastin pour le cancer colorectal métastatique. En résumé?Il s’agit de réviser notre vision des aînés. Ils ne sont pas qu’un fardeau, comme on veut le laisser croire. Beaucoup continuent à travailler et à s’engager, apportant ainsi leur contribution à la société. Alors, leur faire porter le poids des difficultés du système de santé est profondément injuste.

Coût du système de santé: Les personnes âgées, de bien commodes boucs émissaires

Pour accéder au contenu, connectez-vous ou créez un compte gratuit.

Catégories connexes