Coup d'oeil – La médecine de famille, une spécialité: Une reconnaissance pour le principe, mais qui change quoi sur le fond?

Le 25 novembre 2010, le Collège des médecins du Québec a reconnu la médecine de famille comme une spécialité. Une décision motivée par une double volonté d’harmonisation avec le reste du Canada et de reconnaissance des compétences d’une discipline qui a considérablement évolué au cours des dernières décennies.Marie-Pierre Laflamme est médecin de famille à la Clinique 3000, dans l’arrondissement Rosemont/ Petite-Patrie. Voilà 18 ans qu’elle exerce son métier. Le 25 novembre 2010, la Dre Laflamme est devenue officiellement « spécialiste en médecine familiale » après que le Collège des médecins du Québec (CMQ) a reconnu cette discipline comme spécialité, au même titre que 17 autres, telles que la chirurgie thoracique, la médecine d’urgence pédiatrique ou encore les maladies infectieuses.Évoquée avec insistance depuis bientôt deux ans, l’annonce du CMQ de reconnaître la médecine de famille comme spécialité était attendue depuis longtemps par les praticiens. Le Dr Charles Bernard, président du Collège, explique qu’il s’agit également « d’une reconnaissance des compétences de la médecine de famille dont la formation est, depuis un certain nombre d’années, beaucoup plus spécifique ».Sur le plan politique, même s’il ne s’est pas officiellement prononcé, « le ministre de la Santé, Yves Bolduc, s’est déclaré très content de cette reconnaissance », a rapporté son attachée de presse.La décision a également été saluée par les organisations des médecins de famille comme une avancée importante pour leur profession. Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) , le Dr Louis Godin, dit « se réjouir » de cette reconnaissance : « Nous n’avons pas fait de démarches en tant que telles pour que la spécialité soit reconnue, cependant, à partir du moment où elle l’est, on s’en réjouit parce que c’est affirmer la qualité, la spécificité et l’expertise particulières de la médecine familiale. »Du côté du Collège québécois des médecins de famille (CQMF), organisation qui a exercé un lobbying important auprès du CMQ pour voir enfin reconnue la médecine de famille, on salue la décision. Selon le président du CQMF, le Dr Antoine Groulx, « elle rend légitime quelque chose qui se fait depuis bien longtemps : la résidence en médecine de famille ». Il poursuit : « C’est un programme qui existe depuis plus de deux décennies, qui est structuré et établi exactement comme tous les autres programmes de résidence. »Incompréhension des spécialistesA contrario, la décision du Collège des médecins a provoqué une certaine crispation chez les médecins spécialistes. Elle a entraîné des réactions en chaîne depuis la fin de l’année dernière et ravivé certaines polémiques entre médecins de famille et médecins spécialistes. Sur le sujet, le Dr Gaétan Barrette, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), a réagi à de nombreuses reprises dans les médias.Sollicité par L’actualité médicale, il a cependant fait savoir qu’il n’interviendrait plus dans le débat. À la suite de la décision du CMQ, le Dr Barrette a déploré, dans le quotidien Le Devoir (10 février 2011), « un inconfort » chez les membres de la FMSQ : « Cet inconfort-là se cristallise quand, en plus, on joue la game des titres pour améliorer sa rémunération, comme on le fait ici (...) Le problème, c’est que ce débat occulte tous les autres en matière de santé. »Yves Bendavid, chirurgien montréalais à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, est également monté en première ligne, si l’on peut dire, pour exprimer le « scepticisme de beaucoup de médecins spécialistes » face à la décision du CMQ : « Nombreux sont ceux qui regardent la situation avec beaucoup de cynisme et de scepticisme, et qui s’interrogent sur les raisons pour lesquelles cette décision a été prise. »Tout en reconnaissant « la place capitale des médecins de famille dans le réseau de la santé », le Dr Bendavid insiste sur l’incompréhension qui prévaut chez lui mais également chez ses collègues : « Tous les arguments que j’ai entendus jusqu’à présent ne me semblent pas avoir le poids nécessaire pour justifier un tel changement. Que veut dire le fait de recevoir un diplôme de médecin spécialiste par la poste, alors qu’on n’a rien fait de plus depuis trois ou cinq ans, depuis la fin de son cours de médecine ? Ce n’est pas la même équivalence en termes d’années d’études, d’investissement en temps, de sacrifices familiaux pendant les études que pour une spécialité. À quoi cela rime-t-il ? »« Cela n’a rien changé ! »Pour la Dre Laflamme, la reconnaissance de la médecine familiale comme spécialité n’a jusqu’à présent « absolument rien changé ». « Lorsque nous avons appris la nouvelle ici, à la clinique, nous nous sommes félicités, un peu en rigolant, mais, sincèrement, je vois cette reconnaissance avant tout comme une formalité administrative », reconnaît-elle.« Sur le terrain, la reconnaissance ne change strictement rien », estime le Dr Godin. Mais à moyen ou long terme, quel impact peut avoir la décision du CMQ ? Robert Boulay, président du Collège des médecins de famille du Canada, n’est pas aussi catégorique que son collègue québécois et veut croire qu’elle changera le regard porté sur la médecine de famille : « Dans notre perspective, tout ce qui peut améliorer le profil de la médecine familiale, en particulier au Québec, est une bonne chose. »Spécialité = hausse des revenus ?La question du traitement salarial des médecins de famille est également revenue en force dans le débat. Dans l’immédiat, la reconnaissance ne change rien à la rémunération d’un médecin de famille, mais qu’en sera-t-il plus tard ? Le Dr Bernard imagine que « si l’on peut argumenter sur le fait que l’on dispose d’une formation plus spécialisée, cela peut probablement aider dans les négociations avec le Ministère ». Le Dr Godin reconnaît pour sa part que « d’un point de vue financier, des correctifs doivent être apportés à la médecine de famille», mais, selon lui, « ce n’est pas le fait d’être reconnu comme une spécialité qui changera quelque chose. Que l’on soit spécialiste ou non, cette reconnaissance salariale, elle, doit exister. »

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