Commission parlementaire sur le PL 81: prudence avec les appels d’offres, plaident plusieurs intervenants

L’Assemblée nationale du Québec a tenu en février et en mars des consultations particulières sur le projet de loi 81, qui vise à mettre sur pied des procédures d’appels d’offres afin de réduire le prix de certains médicaments génériques destinés aux patients des pharmacies communautaires. Bien que certains intervenants se soient montrés en faveur de l’instauration d’appels d’offres, d’autres ont appelé le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, à faire preuve de prudence.Du 24 février au 11 mars, la Commission de la santé et des services sociaux avait pour mandat d’entendre les réflexions de 21 intervenants sur la Loi visant à réduire le coût de certains médicaments couverts par le régime général d’assurance médicaments en permettant le recours à une procédure d’appel d’offres. François Jean Coutu, président du Groupe Jean CoutuDans ses remarques préliminaires, le ministre de la Santé et des Services sociaux du Québec, Gaétan Barrette, a fait le constat que la facture des Québécois pour leurs médicaments est trop élevée. Avec son projet de loi, qui vise à créer des appels d’offres pour les fabricants de médicaments, mais aussi pour les grossistes qui assurent la distribution des médicaments aux pharmaciens, Gaétan Barrette a dit qu’il souhaitait « obtenir de meilleurs prix tout en garantissant l’approvisionnement ».Groupe Jean CoutuLe passage des représentants du Groupe Jean Coutu en commission parlementaire a été celui qui a entraîné les échanges les plus corsés avec Gaétan Barrette. Son président, François Jean Coutu, a souligné que le projet de loi 81 aurait des conséquences particulièrement néfastes sur son entreprise. « Dans un système de distribution comme le nôtre, où les marges bénéficiaires sont faibles, la moindre situation exceptionnelle générera des effets pervers et incontrôlables », a-t-il déclaré. François Jean Coutu a demandé au ministre de retirer carrément le projet de loi.Le ministre a ensuite interrogé François Jean Coutu sur le modèle d’affaires de l’entreprise. La chaîne de pharmacies franchisées possède à la fois un fabricant de médicaments génériques (Pro-Doc) et son propre système de distribution. Gaétan Barrette a avancé que cette structure limitait l’indépendance professionnelle et financière des pharmaciens, ce que les représentants de l’entreprise ont nié. Ils ont néanmoins concédé que les pharmaciens propriétaires franchisés doivent remplir certaines obligations quant aux médicaments qu’ils tiennent dans leurs inventaires, mais que le Groupe Jean Coutu offre en échange la garantie d’un approvisionnement très stable.L’AQPPL’Association québécoise des pharmaciens propriétaires (AQPP) estime pour sa part que ce sont les pharmaciens et leurs patients qui écoperont des effets négatifs du projet de loi 81, car ce sont eux qui sont à la fin de la chaîne du médicament.Le président de l’AQPP, Jean Thiffault, a dit au ministre qu’il était en effet possible de réaliser des économies en ce qui a trait aux médicaments génériques, mais autrement que par des appels d’offres, qui risquent à son avis d’occasionner des ruptures d’approvisionnement. Il a suggéré au ministre de privilégier une participation plus grande du Québec à l’Alliance pharmaceutique pancanadienne (APP), dont l’objectif est de négocier avec les fabricants au nom des dix provinces.Jean Thiffault a aussi souhaité que le ministre retire complètement l’article du projet de loi 81 visant à instaurer des appels d’offres pour la distribution des médicaments dans les pharmacies communautaires. Aucun grossiste ne serait en mesure de servir efficacement l’ensemble des pharmacies québécoises et il serait difficile pour les propriétaires de faire affaires avec plusieurs distributeurs à la fois, a-t-il invoqué.Dans un autre ordre d’idées, Jean Thiffault a souligné que le financement adéquat des services pharmaceutiques devrait être une priorité du gouvernement. Il a déploré que le gouvernement n’ait pas encore supprimé le plafond de 15 % que les pharmaciens propriétaires peuvent recevoir de la part des fabricants de médicaments génériques, alors que c’était l’un des points de l’entente de rémunération signée par les deux parties en juin 2015.L’Association canadienne du médicament générique, l’Association québécoise des distributeurs en pharmacie, l’Association canadienne de la gestion de l’approvisionnement pharmaceutique ainsi que les Fédérations des chambres de commerce du Québec comptent parmi les intervenants ayant également affirmé que le projet de loi 81 risquait de nuire aux nombreux acteurs économiques de la chaîne du médicament.Appel à la prudencePlusieurs intervenants ont souligné qu’ils n’étaient pas opposés à l’instauration d’appels d’offres pour le secteur de la pharmacie communautaire, mais ils ont invité le ministre à faire preuve de prudence afin d’éviter des ruptures d’approvisionnement.C’est l’un des points soulevés par le président et la directrice générale de l’Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES), François Paradis et Linda Vaillant. Selon eux, il faut que les appels d’offres garantissent la sélection d’au moins deux fabricants d’une même molécule. Ils estiment également qu’il est fondamental que des pharmaciens soient présents pour participer à l’élaboration de ces appels d’offres.L’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ) souhaite de son côté que certaines conditions soient établies pour garantir le succès de ces procédures. Le président de l’OPQ, Bertrand Bolduc, a suggéré que certaines classes de médicaments, comme les produits biologiques, soient exclues des appels d’offres. Il a ajouté que l’historique des fabricants en matière de ruptures d’approvisionnement devrait être analysée.Le président de l’OPQ a aussi mentionné qu’un accent devrait être mis sur le rôle des pharmaciens concernant l’usage optimal des médicaments, ce à quoi le ministre Gaétan Barrette a déclaré qu’il était parfaitement d’accord, mais que ce n’était pas le sujet du projet de loi.L’avocat et pharmacien Paul Fernet, ex-président de l’Ordre des pharmaciens du Québec, a pour sa part soutenu qu’il y a un risque que les appels d’offres contribuent encore plus à limiter l’autonomie professionnelle des pharmaciens, déjà fragilisée par des contrats parfois contraignants avec certaines chaînes et bannières de pharmacies. Me Fernet a cependant ajouté que ces ententes commerciales peuvent entraîner des coûts plus élevés, mais que cela ne nuit en aucun cas à la santé des patients. Le modèle néo-zélandais Matthew Brougham, ancien président et directeur général de Pharmac, une agence gouvernementale néo-zélandaise responsable des appels d’offres pour les médicaments dans ce pays de l’Océanie.À l’invitation du député Amir Khadir, de Québec solidaire, la Commission de la santé et des services sociaux a invité Matthew Brougham, ancien président et directeur général de Pharmac, une agence gouvernementale néo-zélandaise responsable des appels d’offres pour les médicaments dans ce pays de l’Océanie. Le système néo-zélandais d’appels d’offres a été mis en place en 1997 pour un seul médicament générique, mais il a rapidement été instauré pour la majorité des molécules.Récemment, le pays a cependant connu des ruptures d’approvisionnement pour certaines molécules, dont l’atorvastatine et la dexamfétamine, et certains vaccins. Selon Matthew Brougham, qui a accordé une entrevue à Profession Santé, d’autres facteurs que les appels d’offres sont à blâmer pour ces problèmes d’approvisionnement, dont des failles dans la production des médicaments. À son avis, les ruptures d’approvisionnement sont même plus faciles à prévoir et à gérer grâce aux documents de préparation, aux balises et aux pénalités contenus dans les appels d’offres.Une critique régulièrement entendue à l’égard du modèle néo-zélandais touche le fait que l’industrie pharmaceutique est peu présente en Nouvelle-Zélande. Il devient donc difficile de comparer ce modèle avec celui du Canada. « Il est vrai qu’un compromis peut être nécessaire, convient Matthew Brougham. Ceci dit, il n’est pas clair pour moi que l’on soutient mieux une industrie en ayant des prix gonflés. »Pour illustrer son propos, Matthew Brougham explique que le principal fabricant de médicaments génériques de Nouvelle-Zélande n’a pas été en mesure de faire le poids contre des concurrents internationaux durant les appels d’offres. À son tour, cette entreprise a plutôt développé sa clientèle à l’étranger et elle est, selon lui, encore profitable.Lire notre entrevue avec Gaétan Barette

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