Comment l'intelligence artificielle va faire progresser les soins de santé en 2024, selon les experts

L'essor de technologies telles que ChatGPT a propulsé l'intelligence artificielle (IA) sur le devant de la scène tout au long de l'année 2023 – et le secteur de la santé ne déroge pas à la règle. «Avec la disponibilité croissante des données de santé et les progrès rapides des techniques d'analyse – qu'il s'agisse d'apprentissage automatique, de logique ou de statistiques – les outils d'IA pourraient transformer le secteur de la santé», déclarait en octobre dernier l'Organisation mondiale de la santé, en diffusant une série de recommandations réglementaires.En ce début de nouvelle année, voici quelques développements clés de l'IA - et des mises en garde - qui retiendront l'attention des experts canadiens.Des soins personnalisés aux patientsL'un des développements potentiels les plus enthousiasmants de l'IA dans le domaine de la santé consiste à exploiter la capacité d'un modèle informatique à traiter et à interpréter des données «multimodales» concernant un patient, estime Roxana Sultan, responsable des données et vice-présidente de la santé à l'Institut Vecteur pour l’Intelligence artificielle de Toronto.À l'heure actuelle, les modèles d'IA peuvent établir un diagnostic sur la base d'un ou deux éléments d'information, comme une radiographie, précise Roxana Sultan. Pour ce faire, le modèle est entraîné sur «des tonnes et des tonnes d'images radiographiques» afin qu'il apprenne à reconnaître certains diagnostics. «C'est fantastique. Mais c’est (seulement) une source d’information parmi d’autres», tempère la spécialiste. Dans un «futur proche», dit-elle, l'apprentissage automatique se développera de telle sorte que l'IA pourra «avoir une vision beaucoup plus complète de la santé du patient».Outre les radiographies, par exemple, l'IA serait alors capable de traiter d'autres données comme les notes du médecin, les échantillons de laboratoire, l’historique de médication du patient et les informations génétiques. À lire aussi: Informations sur les médicaments: peut-on faire confiance à ChatGPT?De nouvelles compétences qui joueront un rôle essentiel, non seulement dans le diagnostic, mais aussi dans l'élaboration d'un plan de traitement plus personnalisé, se réjouit Roxana Sultan. «Lorsque vous disposez de modèles qui comprennent l'interaction complexe entre la génétique d'une personne, les médicaments qu'elle prend et tous les différents tests de diagnostic qu'elle subit, vous pouvez avoir une vue d’ensemble pour non seulement appréhender ce qui se passe à un instant T, mais aussi prévoir les potentielles conséquences d’un traitement sur une personne en particulier.»Russ Greiner, enseignant-chercheur à l'Alberta Machine Intelligence Institute et professeur d’informatique à l’Université de l’Alberta, est du même avis. «Jusqu’à présent, la pratique médicale standard suivait la logique de la taille unique, un même modèle pour tout le monde. Aujourd'hui, on se rend compte qu'il existe d'énormes différences entre les individus… Différents gènes, différents métabolites, différents facteurs liés aux modes de vie, qui ont tous une influence (sur la santé)», explique-t-il.Grâce à l’apprentissage automatique, les ordinateurs sont désormais capables d’analyser des centaines voire des milliers de caractéristiques concernant un patient – plus que ce qu'un clinicien humain ne pourrait traiter – et de trouver des schémas «qui nous permettent de comprendre que pour cette catégorie de patients, il faut administrer le traitement A et non le traitement B», complète Russ Greiner.Concernant les essais cliniques La capacité de l'IA à analyser d'énormes quantités de données permettra également aux chercheurs d'économiser «des dizaines de milliers – probablement des centaines de milliers – d'heures de travail» d’analyse des résultats d’essais cliniques, affirme de son côté Sue Paish, directrice générale de DIGITAL, l'un des cinq «pôles d'innovation mondiaux» financés par le gouvernement fédéral dans tout le pays.«L'IA peut évaluer des milliards de données en une fraction de seconde, résume Sue Paish, basée à Vancouver. Cela signifie que la sécurité et l'efficacité des nouveaux médicaments pourraient être évaluées beaucoup plus rapidement.»Améliorer la qualité des donnéesQue l'IA soit utilisée pour les soins cliniques ou pour la recherche en santé, les experts s’accordent sur le fait que les résultats qu'elle génère ne peuvent être aussi bons que les données qu'elle reçoit. «Il y a des déchets à l'entrée et des déchets à la sortie, reconnaît Russ Greiner. Si je m'entraîne sur des données erronées, le mieux que je puisse faire est de construire un modèle aussi bon que ces données, ce qui est problématique.» L'une des priorités est donc de veiller à ce que l'IA s’appuie sur des sources fiables, plutôt que de se contenter de compiler sans distinction des informations accessibles au public, confirme Roxana Sultan, qui explique que ChatGPT, par exemple, est une technologie qui permet «essentiellement de ratisser l'internet».À lire aussi: Le potentiel de l’IA… et ses risques«Le principal problème de cette technologie est qu'elle n'est pas toujours fiable et vraie, regrette Roxana Sultan. Ensuite, elle est truffée de préjugés et de perspectives problématiques renforcées par une absence de jugement. L’IA se contente de tout lire, d'absorber ces informations et de les recracher pour vous.»Selon elle, on pourrait par exemple entraîner l’IA à partir de manuels médicaux plutôt que de contenus trouvés sur internet afin d’améliorer la qualité des analyses médicales qu’elle génère.«Je pense que tous les ChatGPT du monde auront (à l’avenir) l'air d'être des hommes des cavernes, très rudimentaires», sourit la responsable des données de l’Institut Vecteur de Toronto. Les chercheurs développent en outre des algorithmes d'IA pour détecter les préjugés dans les informations sur la santé, y compris la discrimination raciale ou sexuelle.L'autogestion des patientsAutre domaine-clé dans lequel l’IA va se développer, selon les experts: le développement de technologies aidant les patients à gérer leur propre santé. Roxana Sultan donne l’exemple d’une IA connectée à porter sur soi, conçue pour aider les patients souffrant d'insuffisance cardiaque à s'autosurveiller.L'IA a également été utilisée «assez efficacement» dans des régions isolées du Canada pour mieux prendre en charge les blessures de certains patients qui n'avaient pas accès aux soins pendant la pandémie, note Sue Paish. Le principe: la technologie d'IA se connecte au cellulaire du patient, prend une image en 3D de la plaie et évalue si elle est infectée ou si elle guérit bien. Ces informations sont ensuite envoyées à un médecin ou à une infirmière, qui peut alors conseiller le patient à distance sur la meilleure manière de soigner la plaie.À lire aussi: Québec doit revoir le modèle de financement de l'IA en santé, estime l'IRIS«Je pense que nous verrons de plus en plus d'exemples où l'IA contribue réellement à la santé du patient, en réduisant le recours à toutes les étapes d’évaluation et de prestation des services de santé, explique Sue Paish. Cela soulagera les médecins, les infirmières et les hôpitaux surchargés, et leur permettra de prodiguer des soins en personne lorsque c'est le plus nécessaire.»Éthique et réglementation«L'un des principaux signaux d’alerte dans la mise en place de l'IA est de s'assurer qu'il y a des évaluations très approfondies et réfléchies sur la façon dont elle est entraînée, prévient Sue Paish. Les politiques publiques pour l’encadrer seront extrêmement importantes.»Pour la Dre Theresa Tam, responsable de la santé publique au Canada, il est en effet essentiel de mettre en place des réglementations et des garanties qui abordent des questions éthiques telles que la protection de la vie privée des patients. «Je pense que le moment est vraiment opportun pour examiner de manière plus systématique la gouvernance à instaurer afin d'utiliser l'IA de manière responsable», a-t-elle déclaré lors d'une récente entrevue.L’assurance que les données sont gérées de manière à protéger la vie privée doit être «inhérente» au développement de l'IA, confirme Roxana Sultan, qui remarque que d'autres ramifications juridiques et éthiques restent «un territoire inexploré».«Nous essayons tous de trouver ce qui a le plus de sens. Ainsi, des problématiques telles que le consentement, la propriété et la conservation des données vont toutes changer quant aux références à travers lesquelles nous les considérions par le passé», conclut-elle.

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