Chronique médico-légale: nul n’est parfait

Les médecins ont le droit de faire des erreurs. Ils ont le droit de faire des erreurs de jugement. La perfection n’est pas la norme. Ce principe bien établi est entré en jeu dans une affaire récente portée devant la Cour d’appel de la Saskatchewan concernant un diagnostic manqué qui a conduit à l’ablation d’une partie de la mâchoire d’un patient. Retour en 1990, année où l'erreur s’est produite. Un pathologiste a reçu un échantillon de tissu provenant d’une lésion buccale du plaignant avec pour indication d’«écarter la possibilité d’un améloblastome». Le médecin a diagnostiqué un kyste radiculaire qui se forme généralement à partir de la racine de la dent à la suite d’une inflammation. Malheureusement, dans les années qui ont suivi, divers problèmes bucco-dentaires sont apparus, notamment des abcès, et en 2007, on a découvert que le patient souffrait en fait d’un améloblastome depuis le début. Si celui-ci avait été détecté en 1990, une intervention chirurgicale aurait permis d’empêcher la croissance de la tumeur. Or, une grande partie de la mâchoire a dû être enlevée et reconstruite à l’aide d’une combinaison de titane, de plastique et de sections de l’os de la jambe du patient. La norme légale de diligence appliquée par un tribunal est, bien entendu, celle qui prévalait à la date et au lieu de l’incident. En 1990, à Regina, un pathologiste confronté à une demande d’exclusion devait faire des recherches en lisant des manuels et consulter au moins un collègue «à l’interne». Aller plus loin et s’adresser à un autre spécialiste était facultatif, c’était une question de jugement. Il a décidé de ne pas le faire. Ce n’était pas la bonne décision. Mais comme l’affirme la Cour, «bien qu’il ait eu tort, il n’a pas été négligent». Les avocats du patient ont fait valoir, de manière quelque peu circonvolutoire, qu’il n’appartient pas au pathologiste de décider s’il est nécessaire de confier un cas à un autre spécialiste dans le cas où il n’a pas la formation ou l’expérience nécessaire pour établir le diagnostic qui serait confié à un autre médecin. «Avec tout le respect que je vous dois, a répondu le juge, cela n’est pas conforme à la loi relative à la norme des soins diligents. L’obligation d’orientation peut exister lorsqu’un médecin n’a pas la compétence ou l’expérience nécessaire pour effectuer la tâche en question. Dans ces circonstances, le médecin référent doit, afin de porter le jugement clinique nécessaire sur l’opportunité de référer ou non le patient, évaluer sa propre formation et son expérience. Le plaignant dit en fait ici que le médecin doit prendre la bonne décision. Cela constituerait une norme de perfection basée sur le résultat, plutôt qu’une norme de soin et de compétence raisonnables dans l’exécution de la tâche consistant à prendre la décision.» Dans le cadre d’un litige pour faute professionnelle, il est possible, et il n’est pas rare qu’un patient ajoute une autre couche d’arguments et dise en substance: «Même si le médecin a respecté la norme de soins, la norme elle-même n’est pas adéquate!» Mais ce n'est pas gagné d'avance et cela n’a pas fonctionné dans le cas présent. Normes de diligence La loi stipule qu’une norme de diligence est suffisante à moins qu’elle ne soit «entachée d’un risque évident» que même un profane pourrait voir. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt de principe sur cette question — l’arrêt Ter Neuzen vs Korn de 1995—, si une norme de diligence n’exige pas, par exemple, d’informer le patient des risques d’une procédure, de s’assurer qu’aucun objet tel qu’une éponge n’est laissé dans le corps du patient avant la fin de l’opération ou de prendre des précautions contre «un mélange de vapeur d’éther et d’oxygène» qui exploserait dans la salle d’opération, alors n’importe qui serait en mesure de voir que la norme est, pour dire les choses poliment, insuffisante. Ce n’était pas le cas en l’espèce. Comme le mentionne le jugement, «la pratique standard en cause est l’auto-évaluation d’un pathologiste généraliste à qui l’on avait demandé d’écarter le diagnostic d’une tumeur rare, l’améloblastome. Une personne ordinaire ne verrait pas cette pratique comme comportant des risques évidents, comme manquant de précautions évidentes et raisonnables ou comme souffrant d’une faille similaire». À lire aussi: Loi 96: quel impact pour les professionnels? Au contraire, souligne la Cour, il était nécessaire de faire appel à des experts pour élucider des questions telles que la formation, l’expérience et la pratique des pathologistes généralistes, la valeur relative et la disponibilité d’autres ressources, ainsi que les difficultés liées au diagnostic ou à l’exclusion d’un diagnostic d’améloblastome. En effet, le juge note que l’améloblastome est une maladie extrêmement rare, dont l’incidence annuelle est «bien inférieure à un sur un million». De plus, les kystes radiculaires et l’améloblastome présentent des caractéristiques histologiques similaires et qui se chevauchent. «Lorsqu’ils sont confrontés à des diagnostics différentiels et à des résultats cliniques et pathologiques qui se chevauchent, les pathologistes ont tendance à choisir le diagnostic statistiquement le plus probable.» La Cour ne s’est pas prononcée sur la norme de soins qui s’appliquerait aujourd’hui dans ce type de situation. Aujourd’hui, nous disposons d’Internet, de bases de données et de technologies extraordinaires et, depuis 33 ans, la médecine ne cesse de s’améliorer. On peut supposer que la norme est différente aujourd’hui. Bill Rogers est un juriste basé à Toronto qui écrit sur les questions médicales et pharmaceutiques.

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