Chronique L'apothicaire – Fructose (2e partie): La saga des édulcorants

Bien que l’apport en sucre, notamment en fructose, soit maintenant démesuré, le réflexe des consommateurs n’est pas de réduire cette consommation, mais plutôt de chercher des solutions de rechange. Cette attitude, cette recherche du goût sucré, est évidemment encouragée par les embouteilleurs de boissons gazeuses et les compagnies alimentaires qui, au fil des ans, ont mis en marché toute une panoplie de produits « diète », « calorie zéro », etc.Le plus ancien des édulcorants de synthèse est la saccharine, découverte en 1879. Le suivant a été le cyclamate, en 1937. Ces deux édulcorants ont coexisté jusqu’au moment où, en1969, la FDA a banni le cyclamate à cause de doutes sur son innocuité et des risques de cancer, découverts in vivo. En 1977, la FDA voulait bannir la saccharine pour la même raison, mais un tollé de protestation l’en a empêché.Pour la petite histoire, ce qui s’est passé au Canada durant cette même période est exactement l’inverse. La saccharine a été bannie et le cyclamate permis... On pouvait donc assister à des « échanges commerciaux » d’un genre bien particulier : des Américains venaient au Canada pour acheter du cyclamate et des Canadiens faisaient le chemin inverse pour acheter de la saccharine. Le Canada a ensuite repris la vente de saccharine en exigeant l’inscription d’une mention de risque sur le produit. Finalement, en 2000, la mention a été enlevée parce que le fameux risque de cancer est spécifique au métabolisme des rongeurs, pas des humains. Le cyclamate est toujours banni aux États-Unis, mais permis ici.L’aspartame a été découvert en 1965 par John Shlatter, un chercheur de la compagnie Searle. Cet édulcorant a été approuvé en 1981 pour usage alimentaire restreint. En 1996, la restriction a été levée, rendant l’aspartame utilisable dans toutes sortes d’aliments.Par la suite, sont apparus l’acésulfame K, qui ressemble à la saccharine, puis le néotame, un dérivé de l’aspartame issu des laboratoires Monsanto et approuvé en 2002. Le néotame est le plus puissant de tous les édulcorants, avec un pouvoir sucrant équivalent à 7000 fois celui du sucre ! Faisant un peu bande à part, le sucralose est du sucrose dont on a changé un groupe alcool sur le fructose pour y insérer un chlore. À cause de cette modification, le sucralose n’est pas métabolisé et entre donc dans la catégorie des édulcorants non caloriques.Parallèlement à ces substances de synthèse, une plante fait beaucoup parler d’elle : le stévia (et ses glycosides). Cet agent sucrant fera l’objet d’une chronique séparée.Une popularité inquiétanteLe plus inquiétant, dans la popularité des édulcorants de synthèse, est la quantité de produits qui en comportent. Certains, comme des gommes à mâcher, en contiennent même jusqu’à trois différents. Selon une base de données américaine sur les aliments et les ingrédients (www.foodfacts.com), 3648 produits renfermaient au moins un édulcorant de synthèse en 2010.On peut donc affirmer que la très grande majorité des gens consomment des aliments ou des produits contenant des édulcorants. Plusieurs ne les recherchent pas vraiment, mais certains consomment ces produits sans sucre volontairement, dans un but précis. Le consommateur type de ces produits le fait pour perdre du poids ou pour le maintenir. Curieusement, depuis l’apparition des édulcorants non caloriques, de synthèse ou naturels, l’épidémie d’obésité n’a pas diminué ! Le remplacement du sucre par un édulcorant n’entraîne pas de perte de poids (ou de réduction du gain). Il semble plutôt qu’il soit associé à un gain pondéral !C’est en effet ce que montrent les données épidémiologiques. On constate une relation directe entre l’IMC et la consommation de produits « diète ». Parmi les personnes ayant un IMC de plus de 30, 41,3 % consomment des produits « sans sucre » sur une base volontaire, contre 15,1% dans la population générale1. La question se pose donc à savoir si les édulcorants non caloriques de synthèse sont une cause du gain pondéral et, dans l’affirmative, comment ?Les édulcorants font-ils engraisser ?On constate que plusieurs consommateurs de produits « sans sucre » ont tendance à se permettre d’ingérer plus de calories, puisque leur breuvage n’en contient pas. Mais il y a plus. Lors d’expérimentation, la consommation d’une boisson à base d’aspartame avant le repas (preload) augmente la perception de la faim par rapport à une boisson sucrée avec du sucre2. L’aspartame est le plus puissant à ce niveau. La saccharine, à cause de son arrière-goût amer, n’agit pas du tout sur cette sensation.Plusieurs études montrent un lien direct entre la consommation de boissons gazeuses « diète » et un IMC plus élevé. Par exemple, l’étude Growing Up Today3 (11 654 enfants âgés entre 9 et 14 ans) a montré que, pour chaque portion quotidienne de boisson « diète », l’IMC augmente de 0,16 kg/m2. Dans les années 1980, l’étude San Antonio Heart a suivi 3682 personnes sur une période de 7 à 8 ans. Durant cette période, les personnes qui buvaient le plus de boissons « diète » (le tiers supérieur de la cohorte), sont celles qui ont gagné le plus de poids, soit une augmentation de leur IMC de 0,77 kg/m2 de plus que les personnes du groupe contrôle4.Dans les études animales, on constate que l’ajout d’édulcorants dans l’eau de consommation augmente l’ingestion totale d’énergie par les animaux. Il semble que, lorsque la saveur sucrée est dissociée du contenu calorique, le cerveau ne perçoive plus la gratification alimentaire de la même façon. Ainsi, la satiété n’apparaît pas de la même façon, les portions augmentent, ainsi que le tour de taille...L’usage des édulcorants non caloriques serait un des facteurs causaux de l’obésité, des troubles de l’appétit et de l’augmentation incessante des portions.Références Yang Q. Gain weight by « going diet ? » Artificial sweeteners and the neurobiology of sugar cravings : Neuroscience 2010. Yale J Biol Med. 2010 Jun;83(2) :101-8. Review. PubMed PMID : 20589192; PubMed Central PMCID : PMC2892765.Blundell JE, Hill AJ. Paradoxical effects of an intense sweetener (aspartame) on appetite. Lancet. 1986; 1 :1092-3.Berkey CS, Rockett HRH, FieldAE, Gillman MW, Colditz GA. Sugar-added beverages and adolescent weight change. Obes Res. 2004; 12 :778-88.Fowler SP, Williams K, Resendez RG, Hunt KJ, Hazuda HP, Stern MP. Fueling the obesity epidemic ? Artificially sweetened beverage use and long-term weight gain. Obesity (Silver Spring, Md.). 2008; 16 :1894-1900Références générales 1.Bellisle F, Drewnowski A. Intense sweeteners, energy intake and the control of body weight. Eur J Clin Nutr. 2007 Jun; 61(6) :691-700. Review. PubMed PMID : 17299484.Vermunt SH, Pasman WJ, Schaafsma G, Kardinaal AF. Effects of sugar intake on body weight : a review. Obes Rev. 2003 May; 4(2) :91-9. Review. PubMed PMID :12760444.Raben A, Vasilaras TH, Møller AC, Astrup A. Sucrose compared with artificial sweeteners : different effects on ad libitum food intake and body weight after 10 wk of supplementation in overweight subjects. Am J Clin Nutr. 2002 Oct; 76(4) :721-9. PubMed PMID : 12324283.

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