Chers médecins, êtes-vous intuitifs?

Merci à Becca Some et à son livre Dear Writer, Are You Intuitive? Cas #1 «J’ai tellement mal», dit la patiente de 49 ans, que j'appellerai Zafi. Son vagin lui fait mal. J'ai posé un tas de questions, y compris les plus embarrassantes comme celles concernant les corps étrangers, les jouets, les rapports sexuels, les symptômes des infections sexuellement transmissibles. Zafi a violemment secoué la tête. «Je dois encore faire quelques prélèvements», ai-je dit. «J'ai votre urine. Ensuite, je vais vous examiner.» Cas #2 J'étais à une fête et une amie s'est approchée pour me dire bonjour. Avant qu'elle n'ouvre la bouche, j'ai dit: «Qu’est-ce qui ne va pas?» Je n'aurais pas pu vous dire consciemment pourquoi je savais. Elle ne pleurait pas. En fait, elle s'était habillée et souriait pour m'accueillir. Mais je savais. En tant que médecin, vous devez avoir l’habileté d’avoir un visage impassible. C'est vrai, je laisse échapper des choses plus souvent que je ne le devrais. J'aurais probablement dû sourire, faire un brin de causette et trouver une excuse pour m'éloigner des autres. Mais quelque chose court-circuite mon cerveau et je crache le morceau. Le ressentez-vous aussi? Curieusement, je le ressens moins lorsque je travaille aux urgences. J'ai déjà lu la note de triage, j'ai dû jeter un coup d'œil aux signes vitaux (dans un dossier électronique, je dois paginer, ce qui est pénible), et j'ai peut-être vu les notes des ambulanciers ou l'électrocardiogramme, ou je les ai regardé amener le patient, j'ai vérifié l'emplacement du patient, j'ai déplacé mon ordinateur et j'ai commencé l'anamnèse tout en dictant ou en tapant simultanément. De plus, la médecine aime suivre des algorithmes et des lignes directrices. Je comprends que c'est un grand changement par rapport à l'époque où les gens faisaient ce qu'ils voulaient, sous les auspices de la science. J'ai été surpris de lire All Things Great and Small et de voir James Harriot admettre librement qu'il vendait des «remèdes» vétérinaires qui n'avaient en fait qu'une allure impressionnante pour épater ses clients humains. D'un autre côté, je pense depuis longtemps qu'une grande partie de la guérison réside dans la connexion, dont une partie consiste à écouter véritablement les gens. Leur donner le sentiment qu'ils sont la personne la plus importante dans la pièce. Ne pas avoir peur de leur tenir la main, ou au moins de leur proposer de le faire. Et dire bonjour aux membres de la famille qui les accompagnent. Cette partie de la médecine a été perdue. Elle a été reprise par tous les autres: les infirmières, les travailleurs sociaux, les naturopathes et tous les autres professionnels de la santé. Nous sommes payés pour faire passer les gens le plus vite possible. Et certains patients adorent ça. Il m'arrive encore d'entendre des patients se plaindre du fait qu'ils avaient l'habitude d'entrer et de sortir de notre tout petit service d'urgence en deux heures. C'était avant l'apparition de problèmes de santé plus complexes, l'afflux de patients du Québec, le passage des dossiers papier aux dossiers électroniques, la perte de personnel avec la COVID-19 et le fait que les patients s’attendent à ce qu’on règle cinq de leurs problèmes à la fois. Mais j'ai aussi des patients qui me disent: «J’ai eu un médecin qui m'a à peine parlé, il m'a juste remis une ordonnance.» J'ai moi-même usé de cette pratique, et je n'ai pas l'impression que c'est une bonne chose. J'ai l'impression de tromper le patient et de me tromper moi-même. Malheureusement, le système de rémunération à l'acte fonctionne de telle sorte que soit vous sacrifiez la qualité des soins, soit vous finissez par travailler gratuitement. Notre service des urgences propose un plan de paiement alternatif. J'essaie de prendre chaque patient au sérieux. Cela signifie que mon temps d'attente est plus long. Une amie infirmière m'a fait remarquer que je prescrivais un «stupide ****» parce qu'elle n'avait aucune idée de la raison ou de ce que je faisais. Je fais un compromis. Je procède à une anamnèse et à un examen physique ciblés. Je suis les lignes directrices, mais je peux aussi faire un pas de côté si c'est ce qu'il faut faire. Cas #1 Revenons à Zafi. Elle a refusé la présence d'une infirmière. Je suis revenue lorsqu'elle a enlevé son pantalon et je l'ai aidée à se mettre en position «jambe de grenouille». Son vagin semblait recouvert d'une couche grisâtre, presque bleuâtre. «Ça semble douloureux», ai-je dit. «C’est douloureux!» «Je suis désolée de faire ces prélèvements». Je lui ai proposé de prélever elle-même l'échantillon, en suivant le conseil d'une médecin locale, la Dre Lucie Lajoie. Je comprenais très bien pourquoi elle ne voulait pas de relations sexuelles vaginales. Je n'avais jamais vu cela auparavant, mais j'ai dit lentement: «Je pense que c'est dû à un manque d'œstrogènes. Je vais vous prescrire une crème parce que ce serait la solution la moins douloureuse.» Est-ce que ça a marché? Je ne l'ai jamais revue, donc je ne sais pas. C'est ce qui se passe aux urgences. Mais je crois que j'ai aidé. Le plus rapide serait de demander une analyse d'urine, un test pour chlamydia et gonorrhée et de dire à la patiente de consulter son médecin de famille. De nombreux médecins n'examinent même pas les femmes au-dessous de la taille, par crainte de poursuites judiciaires ou parce que cela les ralentirait. Vous savez ce qui vous ralentit vraiment? Énerver les patients. À la faculté de médecine, on vous répète sans cesse que les patients qui vous poursuivent en justice ne sont pas ceux que vous avez maltraités. Ce sont ceux que vous avez mis en colère ou blessés, et qui sont maintenant bien décidés à vous faire payer. De manière moins dramatique, le manque d'intuition, d'attention et d'empathie à l'échelle du système éloigne les patients des médecins. Je constate qu'une bonne partie des patients ne savent pas ou ne se soucient pas de la différence de formation entre un médecin et une infirmière praticienne (IP). J'entends régulièrement parler d’une erreur dangereuse commise par une sage-femme ou une infirmière praticienne qui réfère tout et/ou donne des antibiotiques à tout ce qui bouge, mais les patients eux-mêmes sont joyeusement inconscients. Tant qu'ils obtiennent un rendez-vous avec quelqu'un, la plupart d'entre eux ne se soucient pas du diplôme sur le mur, surtout si cette personne les fait se sentir bien. La médecine est à la croisée des chemins. Aucun d'entre nous ne peut résoudre le manque de formation et le manque de personnel. Mais chaque fois que vous choisissez de ne pas écouter un patient parce que vous voulez de l'argent, c'est l'équivalent médical du déboisement d'une forêt parce que vous voulez faire de l'argent rapidement, et vous ne vous souciez pas de l'érosion du sol et de la désertification qui en résulteront. Vous ne vous préoccupez que de votre propre compte en banque. J'aime bien l'argent, mais c'est un équilibre. On n'exerce pas seulement pour soi et pour le patient que l'on a devant soi, mais aussi pour sa famille et pour les générations futures de médecins. Ne l'oubliez pas.

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