Changements climatiques: que peuvent faire les pharmaciens?

S'attaquer à une crise mondiale telle que celle causée par les changements climatiques en tant que pharmacien de première ligne peut sembler être un défi de taille. Je vais vous raconter une histoire personnelle: pendant la pandémie de COVID-19, lorsqu'on m'a invitée à participer à un projet en lien avec l'utilisation des dispositifs d'inhalation dans le cadre des changements climatiques, ma première réaction a été de me dire «Hein?», et ma deuxième de me demander si je n'étais pas déjà assez occupée! Lorsque je réfléchissais à mon rôle principal en tant que pharmacienne, je le décrivais généralement comme le fait de veiller à ce que les médicaments remis aux patients soient nécessaires, efficaces et sécuritaires. J'avais du mal à voir le lien entre mes décisions cliniques quotidiennes et les changements climatiques. J'éprouvais même du ressentiment à l'idée que la sauvegarde de la planète fasse partie de la liste déjà longue de mes rôles et responsabilités cliniques. J'étais sceptique quant au fait que les décisions pharmacothérapeutiques «plus vertes» que je puisse prendre aient un impact suffisant pour endiguer la crise climatique. Or, chaque fois qu'on me demande de faire quelque chose de nouveau qui ne m'est pas familier, il est dans ma nature de vouloir en savoir plus. À ma grande surprise, le secteur des soins de santé est l'une des principales sources d'émissions de gaz à effet de serre. Il est 13% plus polluant que l'industrie automobile1. Le secteur des médicaments représente environ 25% des émissions de gaz à effet de serre des soins de santé2. Les pharmaciens ont donc bel et bien un rôle à jouer en matière de gestion de l'environnement et de gestion des médicaments. Cet article met en évidence la manière dont les changements climatiques affectent déjà la pratique des pharmaciens et passe en revue quatre domaines essentiels dans lesquels les pharmaciens peuvent contribuer à atténuer les retombées négatives de la crise climatique sur la santé: la prescription durable, la délivrance durable, l'élimination durable des médicaments, ainsi qu'une infrastructure de pratique pharmaceutique et une prestation de soins plus écologiques. Déjà une menace pour la santé des Canadiens En février 2022, Santé Canada a publié un rapport de 768 pages intitulé La santé des Canadiens face aux changements climatiques. Santé Canada le décrit comme étant «la première étude exhaustive des risques actuels et prévus des changements climatiques pour la santé des Canadiens depuis 2008 […] Il répond aux besoins changeants en matière de connaissances des décideurs gouvernementaux, des organisations de la société civile et des Canadiens en fournissant des renseignements fondés sur des données probantes et, dans la mesure du possible, des renseignements quantitatifs pour aider les gens à comprendre comment le climat du Canada change et les effets sur la santé et les systèmes de santé, y compris les répercussions sur les personnes les plus à risque dans la société»3. Les messages clés relevés dans ce rapport sont les suivants: Les changements climatiques ont déjà des répercussions négatives sur la santé des Canadiens. Les risques pour la santé augmenteront à mesure que le réchauffement de la planète se poursuivra, et plus le réchauffement sera important, plus les menaces pour la santé seront grandes. Certains Canadiens sont plus gravement touchés par le changement climatique, car l'exposition et la sensibilité aux dangers ainsi que la capacité à prendre des mesures de protection varient au sein des populations et des communautés et entre elles. Les effets du changement climatique sur les systèmes de santé au Canada — par exemple, les dommages causés aux établissements de santé et les perturbations des services et des opérations de santé — sont déjà évidents et s'intensifieront en l'absence de mesures d'adaptation vigoureuses. On sait que les efforts de préparation aux changements climatiques permettent de réduire les risques et de protéger la santé. Nous devons agir maintenant. Les effets des changements climatiques sur la santé des Premières nations, des Inuits et des Métis sont considérables et ont des répercussions disproportionnées au sein de leurs communautés, notamment sur la sécurité et la salubrité des aliments et de l'eau, la qualité de l'air, les infrastructures, la sécurité personnelle, la santé mentale et le bien-être, les moyens de subsistance, la culture et l'identité. Pour réussir à protéger tous les Canadiens des effets des changements climatiques sur la santé, les décideurs doivent prendre des mesures d'adaptation qui sont inclusives et équitables et qui tiennent compte des besoins des populations racialisées, marginalisées et à faible revenu. Des efforts accrus pour réduire les émissions de gaz à effet de serre sont nécessaires pour aider à protéger la santé des Canadiens. La réduction des émissions de gaz à effet de serre peut apporter des avantages très importants et immédiats aux Canadiens en matière de santé.3 Le rapport donne quelques exemples de cas où la pratique pharmaceutique est déjà affectée par les changements climatiques3. Il cite des exemples de cas où des conditions météorologiques extrêmes et des risques climatiques ont entraîné des perturbations de la chaîne d'approvisionnement en médicaments et autres fournitures liées à la santé. Il mentionne que le fait que les pharmaciens travaillent à plein régime, y compris la capacité de prescrire, en particulier pendant les urgences environnementales, apporte une valeur ajoutée aux soins des patients. Le rapport présente également les maladies liées au changement climatique que les pharmaciens peuvent être amenés à gérer sur le plan pharmacothérapeutique (par exemple, les maladies liées à la chaleur, les maladies infectieuses, y compris les maladies transmises par les tiques comme la maladie de Lyme, et les exacerbations de maladies chroniques)3. Le rapport souligne qu'en Ontario, les jours les plus chauds entre 1986 et 2013 ont montré une augmentation de 6% des hospitalisations pour des maladies cardiovasculaires par rapport aux températures normales. Au cours de cette période, environ 1,2% de l'ensemble des hospitalisations pour maladie cardiovasculaire pouvait être attribué à la chaleur; la majorité de ces admissions étaient liées à une chaleur modérée plutôt qu'extrême. Le rapport indique également que les données de l'Ontario suggèrent que chaque augmentation de 5°C de la température pendant l'été entre 1996 et 2010 a été associée à une augmentation de 2,5% des décès, en particulier ceux liés aux maladies cardiovasculaires3. En tant que pharmaciens, nous savons que les médicaments peuvent augmenter le risque que la chaleur extrême ait un impact sur une personne en accélérant sa déshydratation et sa production de chaleur corporelle2,3. Certains médicaments affectant le système nerveux central (par exemple, les anticonvulsivants, les antidépresseurs, les anticholinergiques, les psychotropes), ainsi que d'autres peuvent augmenter le risque d'hyperthermie, tandis que certains médicaments (par exemple, les diurétiques thiazidiques) peuvent augmenter la vulnérabilité à la phototoxicité et le risque de cancer de la peau4,5. Que peuvent faire les pharmaciens face aux changements climatiques? Étant donné le danger clair et présent des changements climatiques sur la santé des Canadiens, quels rôles émergeront pour les pharmaciens afin de contribuer à cette lutte? Quels conseils et quels soutiens les pharmaciens de première ligne recevront-ils de leurs employeurs, des organismes de défense des intérêts professionnels et des organismes de réglementation pour les aider à lutter contre les changements climatiques? Qu'apprendront les stagiaires en pharmacie sur ces questions dans leur cursus? Ce sont de grandes questions, sans réponses simples. Je propose toutefois quatre domaines à considérer afin de faire progresser la contribution des pharmaciens à la cause environnementale. Mes recommandations sont tirées du travail effectué par la Royal Pharmaceutical Society au Royaume-Uni et ont également été décrites dans le contexte canadien2,6. Prescription durable Je définis la prescription durable comme la participation au processus de prescription dans une optique de gestion de l'environnement. En pratique, cela implique deux éléments principaux : Prescrire des médicaments uniquement lorsqu'ils sont nécessaires2,6,7 La fabrication et la distribution des médicaments sont associées à des émissions de gaz à effet de serre. S'il n'y a qu'une seule chose à retenir de cet article, c'est ceci : la façon la plus importante de réduire l'impact des produits pharmaceutiques sur les changements climatiques est peut-être de prescrire les médicaments uniquement s'ils sont nécessaires et de déprescrire les médicaments qui ne sont plus indiqués. La surprescription est un sujet complexe, mais nous pouvons tous convenir que les pharmaciens sont bien placés pour lutter contre la consommation inutile de médicaments. Choisir des médicaments qui ont un impact moindre sur le changement climatique, si possible2,6,8 La plupart d'entre nous n'ont aucune idée de l'empreinte carbone de l'atorvastatine au cours de son trajet, depuis sa production dans une usine étrangère jusqu'aux mains du patient qui l'ingère. En tant que pharmacien chargé d'évaluer la dyslipidémie d'un patient, l'empreinte carbone des différentes options thérapeutiques n'a jamais été sur mon radar. Il existe cependant des recherches émergentes sur les outils permettant de prescrire des médicaments en tenant compte de l'environnement. La base de données JanusInfo (https://janusinfo.se/), créée en 2009 en Suède, permet aux médecins de vérifier si les médicaments sont «verts» avant de les prescrire, dans le cadre des efforts déployés par Stockholm pour réduire les niveaux de médicaments dangereux pour l'environnement dans l'eau9,10. Cette base de données classe les substances pharmaceutiques en fonction de leur toxicité, de leur persistance et de leur potentiel de bioaccumulation, sur la base des données fournies par les fabricants de produits pharmaceutiques. Bien qu'il ne soit pas pratique de consulter cette base de données chaque fois qu'un médicament est prescrit, les pharmaciens communautaires et hospitaliers peuvent concentrer leurs efforts de prescription écologique sur deux domaines thérapeutiques: - Utiliser des inhalateurs à poudre sèche (DPI) ou des inhalateurs à brume douce à la place des aérosols-doseurs (IDM) lorsque cela est cliniquement approprié2,6,8,11. Les IDM sont des appareils sous pression qui utilisent des gaz propulseurs liquéfiés pour atomiser les médicaments à inhaler. Dans le passé, les IDM utilisaient des chlorofluorocarbones (CFC) comme gaz propulseur principal. Cependant, les CFC ont été interdits par le Protocole de Montréal de 1987, car ils possèdent d'importantes propriétés d'appauvrissement de la couche d'ozone. Peu après, les entreprises pharmaceutiques ont commencé à fabriquer des inhalateurs-doseurs qui utilisent des hydrofluorocarbures (HFC) plus respectueux de la couche d'ozone. Bien que les HFC n'appauvrissent pas la couche d'ozone, ils ont un potentiel de réchauffement global (PRG) élevé. Selon le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) britannique, les inhalateurs-doseurs contenant 100 doses ont une empreinte carbone équivalente à un trajet en voiture de 290 km. On pense également que la plupart des émissions de gaz propulseur des inhalateurs HFA se produisent au niveau de l'utilisateur, généralement en raison d'une mauvaise synchronisation entre l'actionnement du patient et l'inhalation. Les pharmaciens peuvent visiter la Sustainable Health Systems Community of Practice Sustainable Inhaler Initiative de l'Université de Toronto pour en savoir plus à ce sujet et accéder à certains outils pratiques au point de service qu'ils peuvent mettre en œuvre dans leur pratique11. - Promouvoir des anesthésiques inhalés à plus faible intensité carbonique, comme le sevoflurane au lieu du desflurane, lorsque cela est cliniquement approprié, et réduire l'utilisation inutile du protoxyde d'azote8. Les gaz anesthésiques les plus remarquables en termes d'émissions de gaz à effet de serre sont le desflurane (2540 fois plus nocif que le dioxyde de carbone) et le protoxyde d'azote (moins nocif que le desflurane, mais utilisé en grande quantité dans les soins de santé). Le sévoflurane est un gaz anesthésique alternatif qui produit sept fois moins d'émissions de gaz à effet de serre que le desflurane. Les pharmaciens qui travaillent avec des équipes qui utilisent ces anesthésiques dans les procédures peuvent être en mesure de faciliter un changement dans l'utilisation des anesthésiques. La suite des recommandations dans un autre article à venir.

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