Ces cas que vous n’oublierez jamais

Il arrive parfois qu'une chose inhabituelle se présente. Peut-être une maladie rare ou une présentation inhabituelle d’une maladie courante. Quelque chose qui vous interpelle, et qui ne se reproduit plus. Mon premier cas de la sorte a été le poumon d’une agricultrice: une pneumopathie d’hypersensibilité allergique. Ma patiente, Sarah Elmes, 64 ans, se rendait régulièrement dans son étable pour ramasser la paille et s’occuper du bétail. Elle avait présenté une toux sèche, de la fièvre et un malaise. Son examen était normal, à l’exception d'une tachypnée et de fines crépitations dans les zones médianes postérieures, plus ou moins là où se trouvaient les infiltrats sur sa radiographie pulmonaire. Son taux d’éosinophiles était légèrement élevé. Une bronchoscopie a été effectuée pour exclure les agents pathogènes habituels et le cancer. Le liquide était riche en lymphocytes. Sa maladie a été causée par l’inhalation de foin moisi ou de poussière de céréales contenant des actinomycètes thermophiles (par exemple, micropolyspora faeni). Elle a été traitée en évitant complètement les travaux agricoles et en prenant de la prednisone par voie orale. Comme beaucoup de patients que j’ai vus en résidence, je ne l’ai pas vue au-delà de la phase aiguë. *** Douglas MacPherson a été référé à ma clinique de médecine interne dans une région rurale de la Colombie-Britannique. J’étais le troisième interniste à le voir. Il avait 67 ans, généralement bien, mais frustré et effrayé par sa «fièvre d’origine inconnue». J’étais flatté que des collègues des communautés voisines se soient penchés sur son histoire, aient fait une myriade de tests et d’analyses, mais déçu qu’il n’y ait pas de diagnostic. Son histoire était complètement fade. J’ai parcouru son dossier et, à la fin de la journée, un seul fait ressortait: sa FSC était anormale. Hémoglobine à 116, ses globules blancs à 11,0 avec un différentiel normal et ses plaquettes à 98 000. Tout le reste - du profil hépatique aux immunoglobulines sériques, et des pancultures aux radiographies, échographies et tomodensitogrammes - était normal. Doug en avait marre de ses fièvres s'élevant à 101°F tous les deux jours, accompagnées de sueurs et d’épuisement, mais il n’était pas prêt à abandonner. Alors, je lui ai fait passer une aspiration de moelle osseuse, parce que son hémogramme disait «c’est là que se trouve le problème». Le résultat est revenu: «granulome non caséeux présent». Génial, j’ai pensé, c’est donc une sarcoïdose! C’est drôle, la radiographie pulmonaire n’avait rien de particulier, mais je suppose que c’était une sarcoïdose non pulmonaire. J’en ai parlé à Doug, et il était enthousiaste à l'idée qu'il pourrait être guéri par une injection de stéroïdes. Je me suis rendu compte qu'il fallait envisager la tuberculose et je l’ai envoyé voir un spécialiste à Vancouver. La réponse a été décevante: «Ne pas administrer de prednisone jusqu’à ce que les cultures de tuberculose soient négatives.» Six semaines me semblaient une éternité. J’ai commencé la Prednisone 50 mg/jour, avec une diminution progressive, et sa fièvre a disparu. Son hémogramme s’est normalisé. J’ai attribué cela à l’expérience. Bien sûr, battre deux autres internistes au diagnostic m’a fait du bien aussi. Inutile de dire que Doug était un homme très heureux. *** Marla Despines m’a aussi appris quelque chose. Je travaillais comme interniste solo dans un petit hôpital communautaire, et Marla est arrivée aux urgences avec un mal de tête. Elle avait l’air malade. J’ai procédé à une anamnèse complète, l’ai examinée (y compris par fundoscopie) et j’ai décidé qu’elle devait être admise. Son examen cardiaque et neurologique était par ailleurs relativement normal; mais sa tension artérielle était de 160/90. Nous avons tous vu des patients avec une TA de 160/90. Les analyses de laboratoire, l’électrocardiogramme et les radiographies pulmonaires étaient normaux. Notre petit hôpital n’avait pas de tomodensitomètre, mais elle n’avait aucun signe physique de maladie du SNC. Je l’ai quand même envoyée en soins tertiaires pour une tomodensitométrie, où un neurologue a diagnostiqué une céphalée de tension. Lors de son rapatriement, je l'ai mise sous bêtabloquant, ce qui m’a semblé être le moins que je puisse faire en attendant que les antalgiques fassent effet. Puis, elle a eu des convulsions. Oh merde. Cela n’a pas duré longtemps, mais c'est venu de nulle part. Je l’ai renvoyée en soins tertiaires, où le médecin urgentiste qui l’a acceptée a fait la remarque suivante: «Regardez ses doigts, des doigts de saucisse classiques de la sclérodermie. Elle a eu un accident vasculaire cérébral hypertensif ou un AIT, puis a convulsée». Il avait raison. Il s’agissait d’une nouvelle présentation de la sclérodermie. Et j’avais l’air d’un idiot, travaillant dans un petit hôpital rural. J’avais raté l’évidence même. L’état de Marla m’a appris deux choses. Premièrement, je peux me tromper, et deuxièmement, c’est facile de donner l’impression qu’un collègue est idiot, quand il a fait de son mieux. Vais-je revoir ces conditions? Non. Serai-je un peu plus intelligent à l'avenir grâce à mon expérience? Je l’espère. Comme le dit cette expression: «Le bon jugement vient de l'expérience et l'expérience vient du mauvais jugement.» Voici des suggestions de lectures: Farmer’s lung. Zergham AS (2002) NLM Management of extrapulmonary sarcoidosis: challenges and solutions. Al-Kofahi K et al: (2016) Ther Clin Risk Manag 12:1623-34 Increased risk of ischemic stroke in systemic sclerosis. Ying, D et al (2020): J Rheumatol, 47(1): 82-88

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