Cas prise de tête: une fièvre étrange, un patient récalcitrant aux investigations

Médecin de famille à l’Hôpital de Gatineau, la Dre Sophie Hyland a dernièrement pris en charge un patient qui lui a posé des défis de différentes natures. Cet homme était hospitalisé depuis une semaine pour une pneumonie. Dans ses antécédents médicaux figuraient une dépression chronique, traitée avec deux antidépresseurs, ainsi qu’une lombalgie chronique en lien avec de l’arthrose.Sous antibiotique intraveineux, il présentait un pic de fièvre mesuré à 38,2°C. «On a changé d’antibiotique, mais sa fièvre est restée anormalement élevée», indique l’omnipraticienne en précisant que la radiographie ne montrait pas de deuxième pneumonie ni d’embolie. «Il a fallu chercher plus loin.»Le patient quadragénaire avait déjà passé un scan abdominal qui avait révélé la présence d’une faible quantité de liquide en périphérie du pancréas. «En l’absence de symptômes, on ne s’en était pas occupé», signale la Dre Hyland. Elle a donc demandé un nouveau scan. «De par sa position, la collection de liquide inconnu était difficilement évaluable, mais elle était toujours présente, en quantité légèrement augmentée. Ce n’était vraiment pas clair. Le radiologue a suspecté une pancréatite ou une perforation digestive.»À lire aussi: Un lent déclinEn plus d’une recommandation en gastroentérologie, la médecin a contacté le chirurgien de garde. Ce dernier préconisait une gastroscopie afin de se prononcer. La Dre Hyland s'est alors rendue au chevet du patient pour lui expliquer que sa fièvre anormale et/ou sa douleur chronique au dos étaient peut-être liées à ce liquide suspect et qu’il fallait l’investiguer. L’homme a refusé. «N’allez pas voir, je veux mourir», lui a-t-il répondu.En consultant plus en détail son dossier, l’omnipraticienne a constaté que le patient avait des idées suicidaires et qu’il avait formulé une demande d’aide médicale à mourir (AMM) au début de son hospitalisation. «J’ai fait face à un dilemme éthique», témoigne la clinicienne qui pratique l’AMM en Outaouais. Elle sait bien qu’une condition de santé mentale n’y est pas admissible. Mais «ce patient-là qui a un diagnostic en santé mentale présente aussi des symptômes physiques. Ces symptômes ne sont-ils pas à l’origine de sa demande d’AMM?» s’est interrogée la Dre Hyland. Elle s’est également demandé s’il fallait lui faire subir contre son gré une investigation invasive. «La réponse semblait oui.»Afin de déterminer la bonne approche, la médecin a sollicité la psychiatre de garde à l’hôpital. Celle-ci a appellé le psychiatre traitant du patient, qui lui a mentionné que la dépression et les idées suicidaires de ce dernier étaient liées à sa lombalgie chronique, mais qu'elles s'atténuaient lorsque ses douleurs au dos étaient contrôlées.Négociation fructueuse«J’ai jasé longtemps avec la psychiatre. On a eu un débat éthique ouvert et constructif dont la conclusion a été qu’on allait procéder à la gastroscopie et que s’il persistait à la refuser, on allait demander une ordonnance de traitement à la Cour», relate la Dre Hyland en convenant que «ce n’est jamais le fun de forcer un patient».À consulter: La vérité en médecineAvant d’en arriver là, la psychiatre a tenté de négocier avec l’homme. Elle lui a expliqué qu’un diagnostic psychiatrique ne fonctionne pas pour l’AMM, qu’il faut un diagnostic physique et qu’en passant cet examen, il en aurait possiblement un. Son explication l’a convaincu et il a finalement accepté de subir la gastroscopie. «J’étais contente qu’il ait accepté. Ça nous a enlevé de la culpabilité», reconnaît la Dre Hyland.La gastroscopie réalisée à l’Hôpital de Gatineau a montré qu’il n’y avait pas de perforation digestive. Le chirurgien et le gastroentérologue n’étant pas en mesure d’investiguer davantage, ils ont transféré le patient au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). L’homme y a passé une quinzaine de scans et d’échographies. «Les scans étaient non spécifiques et les échographies ne se rendaient pas jusqu’à la collection de liquide», indique la médecin de famille qui a suivi le dossier à distance.Finalement, l’installation d’un drain a permis d’analyser le liquide. Conclusion: pancréatite nécrosante. «Elle s’est résorbée grâce au drain et aux antibiotiques qu’ils lui ont donnés. Ils n’ont donc pas eu besoin de l’ouvrir», observe la Dre Hyland en convenant qu’elle se souviendra longtemps de ce cas. «J’ai fait beaucoup de téléphones pour ce dossier et j’ai travaillé fort avec les spécialistes. Ça a été un challenge diagnostique auquel se sont ajoutés des aspects santé mentale et médico-légal.»Un patient vous a donné du fil à retordre, que ce soit pour établir son diagnostic, trouver le bon plan de traitement ou pour toute autre raison qui sort de l’ordinaire? Vous voulez présenter ce cas particulier à vos pairs médecins de famille ou spécialistes? Contactez notre journaliste Geoffrey Dirat et racontez lui votre histoire.

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