Cancer du poumon: peu de progrès majeurs en 40 ans, mais une petite révolution en marche dans les traitements

Le cancer du poumon constitue probablement l’un des secteurs de la médecine qui a le moins bénéficié des progrès de la recherche. De 1975 à 2015, la survie à cinq ans s’est améliorée d’à peine 7%. C’est très peu en 40 ans. Ce cancer provoque plus de décès que les trois autres cancers les plus mortels réunis et tue plus de femmes que le cancer du sein. Pourtant, une révolution est en marche dans les traitements pour le cancer du poumon de stade avancé, se réjouit le Dr Simon Martel, pneumologue et chef du Département de pneumologie et de chirurgie à l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec (IUCPQ). Entrevue.Quels traits peut prendre le cancer du poumon? Le Dr Simon Martel, pneumologue et chef du Département multidisciplinaire de pneumologie et de chirurgie à l'IUCPQLe cancer du poumon compte quatre variétés: à petites cellules, adénocarcinome, carcinome épidermoïde et carcinome à grandes cellules, qui est moins répandu. Le fumeur peut développer tous les types, mais principalement le carcinome épidermoïde ou à petites cellules. Chez le non-fumeur, on voit davantage d’adénocarcinomes.Près de 15% des patients avec un adénocarcinome n’ont jamais été ou ont été très peu exposés à la fumée de cigarette. Le tabagisme représente toujours la cause première du cancer du poumon. Toutefois, parmi les 700 nouveaux cas diagnostiqués chaque année à l’IUCPQ, entre 30 et 40 concernent des individus sans facteur de risque identifiable.À quel stade est-il le plus souvent détecté?De 50 à 60% des cancers du poumon sont détectés au stade 4, soit le plus mortel. On ne voit pas de guérison à ce stade de la maladie. Les mutations des cellules cancéreuses sont tellement importantes que le cancer met rapidement en place des mécanismes de résistance à tous les traitements.En contrepartie, quand le cancer est détecté au stade 1 ou 2, les taux de guérison sont de 50 à 75%. Au stade 3, où on offre de la chirurgie et de la chimiothérapie, ils baissent à 15%.Qu’est-ce que les médecins devraient savoir sur le cancer du poumon qu’ils ne savent pas déjà?Principalement que les traitements ont beaucoup changé. Maintenant, en plus de la chimiothérapie et de la chirurgie, nous avons accès à de la thérapie ciblée et, depuis peu, à de l’immunothérapie. Ce ne sont pas des traitements miraculeux, les taux de guérison ne sont pas encore élevés, mais ils sont mieux tolérés que la chimiothérapie, offrent de meilleures réponses et entraînent des survies plus longues.Quels sont les gains en termes de survie?Chez les sous-groupes de patients qui ont certains marqueurs et qui sont éligibles à une thérapie ciblée, les taux de survie qui étaient d’un an ou deux sont désormais doublés. C’est une grande avancée. Certains patients de ces groupes sont encore vivants après 3, 4 et 5 ans. On espère voir un jour des survies encore plus longues.Quels patients peuvent profiter de ces thérapies?Principalement ceux qui ont un adénocarcinome, la sorte de cancer du poumon la plus fréquente. De 10 à 15% des patients atteints de cette variété auront des marqueurs. Si c’est le cas, ils peuvent recevoir ces thérapies ciblées susceptibles de produire de meilleurs résultats. C’est la nouvelle voie dans le traitement du cancer du poumon, une thérapie personnalisée. Des molécules sont à l’essai pour d’autres marqueurs.Et pour les autres variétés de cancer du poumon?L’immunothérapie a démontré des réussites dans le traitement du mélanome. On a obtenu des résultats assez spectaculaires, même si des gens avaient des mélanomes très avancés. L’immunothérapie est offerte depuis 2015. Par ailleurs, les patients non-fumeurs présentent fréquemment des mutations génétiques pouvant être ciblées par des médicaments moins toxiques et plus efficaces que la chimiothérapie conventionnelle.Si elle s’avère efficace, pourquoi l’immunothérapie n’est-elle pas utilisée à plus grande échelle?Elle n’est pas remboursée actuellement au Québec. L’IUCPQ y a eu accès pendant sept à huit mois parce que son fabriquant nous donnait gratuitement le traitement, mais il a cessé de le faire. Le coût est de 50 000$ pour environ six mois. Il peut être remboursé par un assureur privé ou payé par le patient. C’est assurément un frein à l’immunothérapie. De novembre à juillet, quand le produit était gratuit, nous avons traité entre 50 et 60 patients, mais depuis qu’il ne l'est plus, moins de 10 personnes. L’INESSS a reconnu sa valeur thérapeutique, mais il est apparu trop cher au plan pharmacoéconomique.Que ce soit avec les thérapies ciblées ou d’immunothérapie, en vient-on à parler de rémission ou même de guérison comme la chose est possible lors des stades 1 et 2?Pour l’instant, on parle de prolongation de la survie. Avec la chimiothérapie, il est exceptionnel de voir des gens qui survivent de façon prolongée. Avec l’immunothérapie, on voit des survies très prolongées et le traitement est beaucoup mieux toléré. On parle de «long time survivors». C’est comme si les gens avaient une maladie chronique. Le cancer n’est pas parti, mais il est contrôlé. Nous n’avons pas encore assez de recul sur la survie avec l’immunothérapie, mais des patients reçoivent ce traitement depuis deux ans. Pour le cancer du poumon, deux ans de progrès, c’est énorme, car à un stade avancé, le taux de décès est de 80% à deux ans, et de 98% à cinq ans. Les petites victoires sont importantes et nous avons l’impression que nous en avons plus qu’avant.Un programme de dépistage serait-il approprié?Les données de ces cinq dernières années démontrent que l’on pourrait probablement faire du dépistage avec un CT Scan, de la tomodensitométrie à faibles doses. Il semble que ce soit efficace, mais il y a des pour et des contre. Le problème est qu’un CT Scan détecte toutes sortes d’autres petites anomalies pas nécessairement significatives, et qui génèrent beaucoup d’utilisations de ressources et de coûts de santé. On peut trouver aussi beaucoup de nodules non cancéreux sur les poumons. Il faut donc faire le ménage dans les faux positifs, ce qui s’avère long et coûteux.Alors, des programmes de dépistage sont-ils envisageables?Ils ont permis de diminuer la mortalité, mais il faut regarder les coûts pour la société et déterminer s’ils sont acceptables. Il faudrait trouver des méthodes pour raffiner notre analyse afin d’éviter les examens complémentaires inutiles. Cet outil, le CT Scan, est le seul dont on dispose actuellement, mais il ne peut pas dépister les cancers à petites cellules pour lesquels on n’a pas d’outils.Combien de temps faut-il à un ancien fumeur pour se croire à l’abri d’un cancer du poumon?Statistiquement, il faut entre 15 et 17 ans après l’arrêt du tabac pour que le risque de développer un cancer du poumon soit presque le même que pour un non-fumeur à vie. C’est très long, et il reste toutefois un petit risque. Il ne redevient jamais complètement comme un non-fumeur. Néanmoins, il faut continuer d’investir dans la prévention et le dépistage. Ce sont les deux voies pour faire des gains majeurs et sauver des vies.Comme pneumologue, que pensez-vous de la cigarette électronique?Malheureusement, le taux de tabagisme plafonne dans la population, en particulier chez les jeunes. On ne voit plus de baisse, comme si on avait atteint un plafond. Cesser de fumer est une entreprise très difficile. Pour moi, si le fumeur qui n’a pas réussi à arrêter avec d’autres méthodes y parvient avec la cigarette électronique, je suis content. Les effets à long terme sont toutefois inconnus et il faudra que le fumeur arrive un jour à se débarrasser de la cigarette électronique. Il ne faut pas non plus qu’elle devienne le loisir de remplacement pour les jeunes. Je trouve cela dangereux.

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