Cancer colorectal: une maladie de plus en plus précoce

«Si on m’avait diagnostiqué à 40 ans au lieu de 41 ans, peut-être que le cancer ne se serait pas rendu à mes poumons.»C’est ce que Barry D. Stein, président-directeur général de l’organisme Cancer colorectal Canada, a déclaré lors d’une entrevue avec ProfessionSanté.ca.Au Canada, le dépistage du cancer colorectal est recommandé à toute personne de plus de 50 ans – un âge où le risque de cancer est considéré comme moyen si aucun antécédent familial ou autre facteur n’influence ce risque.S'appuyant notamment sur de nouvelles données, Barry D. Stein se dit en faveur d'un dépistage plus précoce que ce qui est actuellement recommandé par les lignes directrices canadiennes, citant les États-Unis et l'Australie en exemples, où l’âge recommandé pour le dépistage a déjà été abaissé à 45 ans.«Les données canadiennes commencent à indiquer qu’on devrait peut-être réduire [l’âge de dépistage]», poursuit le PDG de Cancer colorectal Canada, ajoutant néanmoins qu'il est conscient que cela pourrait représenter un fardeau supplémentaire pour le système de santé.Une étude publiée dans le journal Current Oncology démontre que bien que le dépistage chez les plus de 50 ans permette de diagnostiquer ce cancer efficacement, il en va autrement pour les moins de 50 ans. L’étude, à laquelle M. Stein a participé à titre de coauteur, met aussi de l’avant l’augmentation du nombre de diagnostics de cancer colorectal précoce (CCRP). Plus de 30% des patients diagnostiqués avec un CCRP avaient entre 45 et 50 ans, tandis qu’environ 25% avaient entre 40 et 45 ans.«Le plus jeune [patient] qu’on a eu à notre hôpital avait 17 ans», témoigne de son côté la Dre Carole Richard, spécialisée en chirurgie colorectale au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) et cheffe de division pour la chirurgie générale au département universitaire de chirurgie de l’Université de Montréal. Ce patient n’avait d’ailleurs aucun historique familial de CCR, ni aucune autre prédisposition à cette maladie. «Au Canada et aux États-Unis, on a effectivement une augmentation d’incidence de cancers colorectaux sporadiques, c’est-à-dire qu’il n’y a pas de prédisposition et pour lesquels on ne trouve pas de marqueurs génétiques», explique-t-elle. Au Québec, les dépistages chez les personnes admissibles sont faits tous les deux ans à titre préventif à l’aide du test immunochimique de recherche de sang occulte dans les selles (RSOSi). Au moment du dépistage, l’individu ne présente aucun symptôme de la maladie.Abaisser l’âge de dépistage va inévitablement mener à une augmentation des coloscopies, étant l’étape de choix après un résultat anormal du test RSOSi. «Les gens attendent trop longtemps pour une coloscopie», estime M. Stein.Des antécédents et symptômes ignorés ou mal diagnostiqués«Pourquoi tous ces jeunes gens se retrouvent-ils avec un cancer du côlon sans prédisposition génétique, antécédents familiaux, ni symptômes?» questionne le PDG de Cancer colorectal Canada. Les facteurs qui ont un impact sur le développement d’un cancer abondent et varient d’une personne à l’autre, compliquant davantage la recherche sur cette maladie. «On essaye de trouver des causes à effets, mais pour l’instant, on n’a pas encore la réponse», convient la Dre Richard. M. Stein considère que la population générale doit pouvoir améliorer ses connaissances en matière de santé colorectale et être en mesure d’identifier les symptômes anormaux dès qu’ils se manifestent. Selon lui, un premier pas dans cette direction est d’encourager les familles à discuter de leurs antécédents médicaux librement, afin qu’ils puissent être aux aguets des signes précurseurs potentiels. Ces symptômes incluent de la diarrhée, de la constipation, des douleurs abdominales et une perte de poids inexpliquée. D'après l'étude, près de 73% des patients n'avaient pas eu ces discussions avant leur diagnostic, que ce soit avec leurs famille, amis ou médecin de famille. Il est plus facile d’avoir un œil sur les signes précurseurs de ce cancer une fois conscient de ceux-ci, remarque-t-il.«Présenter ces symptômes ne veut pas dire que c’est un cancer colorectal, mais c’est une raison suffisante pour se faire examiner», précise-t-il. Et ce, surtout chez ceux de moins de 50 ans, chez qui le dépistage n’est pas recommandé et chez lesquels ce cancer n’est souvent pas suspecté à un jeune âge.À lire aussi: Cancer colorectal: un nouvel outil de dépistage est désormais offert aux QuébécoisCes symptômes peuvent aussi être indicatifs d’autres problèmes gastro-intestinaux et problèmes de santé, tels que des hémorroïdes, le syndrome du côlon irritable ou le syndrome de Lynch. Il est donc crucial que le patient soit à l’écoute de son corps (par exemple, si des symptômes inhabituels à leur condition normale perdurent) et s’informe sur les possibles causes de ces symptômes afin d’être mieux préparé lorsque vient le temps de consulter.Beaucoup de jeunes qui vont consulter pour ces symptômes reçoivent un diagnostic autre qu’un CCR, ou se font recommander de ne revenir que si les symptômes persistent, indique M. Stein. Après tout, les probabilités que l’origine de leurs symptômes soit un cancer, surtout à un jeune âge, sont plus faibles. Ce ne fut pas le cas de M. Stein, dont le diagnostic a surpris son médecin. «J’étais trop jeune, selon lui», raconte-t-il. «La plupart des gens qui reçoivent leur diagnostic sont déjà en stade 3 ou 4», souligne-t-il, car les symptômes ont soit été mentionnés trop tard ou ont été attribués à une autre cause. Conséquemment, le taux de survie de ces jeunes patients est plus faible que celui des individus diagnostiqués à un âge plus avancé.«Je tiens à vous dire qu’il est possible de survivre, même si le cancer se rend au foie ou aux poumons», affirme M. Stein, lui-même ayant reçu un diagnostic d’un CCR à un stade 4 il y a plus de 25 ans. Les probabilités de traiter ce cancer avec succès dépendent du stade de la maladie lorsque cette dernière est diagnostiquée. La Dre Richard convient que tout est fait pour «maximiser la visée curatrice» des traitements (tels que la chimiothérapie, la radiothérapie et la chirurgie) de patients atteints de CCR, particulièrement pour les jeunes patients. Discuter de la vie post-maladiePlus de 5% des cas de CCRP touchent des individus âgés de 20 et 24 ans et près de 15% ont entre 30 et 34 ans, selon l’étude. Ces groupes d’âge sont ceux où le taux de diagnostic de CCRP présente la plus forte croissance, bien qu’il s’agisse pour le moment d’une minorité de patients. Certains aspects des conversations qu’un oncologiste doit aborder concernent l’avenir post-maladie du jeune patient. Évidemment, ces aspects peuvent grandement différer de ce qui est abordé avec, par exemple, un patient qui est déjà à la retraite et a des enfants et petits-enfants.«Quand tu as 25 ans et que tu as un cancer colorectal, c’est très différent, mentionne M. Stein. Tu es à l’école, peut-être que tu cherches à faire des rencontres amoureuses, tu as une carrière devant toi.» «Il y a deux volets aux enjeux de la fonction sexuelle, explique la Dre Richard. Et ça, on en discute avec les jeunes et moins jeunes.» Le premier volet touche le stress associé au cancer et aux enjeux qui lui sont relatifs, qui relègue souvent la vie sexuelle et la libido du patient au second plan, ajoute-t-elle.Pour établir l’impact mental et physique du traitement sur la fonction sexuelle du patient, il est important de poser les bonnes questions, déclare la chirurgienne. Pour un homme, ces questions aborderont le sujet des troubles érectiles et éjaculatoires. Pour une femme, il faudra demander à la patiente si des troubles de lubrification vaginale ou si des douleurs au moment de la pénétration surviennent. Selon elle, ces troubles comptent parmi les plus communément nommés.Le deuxième volet concerne les conséquences des traitements nécessaires à la survie du patient qui lui sont administrés. «La radiothérapie peut affaiblir les nerfs responsables de la fonctionne sexuelle, détaille la Dre Richard. Et en chirurgie, on peut altérer et anatomiquement couper des nerfs qui sont en relation avec la fonction sexuelle.» Ces enjeux sont donc habituellement abordés par les chirurgiens mêmes, particulièrement dans des cas de cancer du rectum, le rectum étant anatomiquement plus proche des organes reproducteurs que le côlon.À lire aussi: Cancer colorectal: une molécule contre la dépendance à la cocaïne offre un espoirÀ un jeune âge, il est commun de ne même pas savoir si l’on souhaite avoir des enfants, indique M. Stein. Ces patients ont besoin de soutien pour faire face à cette réalité et pour leur donner les options qui s’offrent à eux. Tant pour les hommes et les femmes, l’opération peut altérer leur vie sexuelle et leur fertilité et avoir de graves répercussions sur leur qualité de vie. Des trousses informatives sur le sujet sont disponibles afin de mieux renseigner le patient, afin que ce dernier puisse se préparer à la vie après le cancer.Peu importe le sexe de l’individu malade, sa fertilité sera affectée par le traitement. Lorsque la chimiothérapie est jugée adéquate comme traitement, les oncologues discuteront de ses effets secondaires sur la fertilité avec leur patient. La radiothérapie, quant à elle, peut causer une ménopause précoce chez une jeune femme, révèle la Dre Richard. Chez un homme, la radiothérapie peut mener à un assèchement de la banque de sperme, ajoute-t-elle. Dans les deux scénarios, la Dre Richard souligne que des solutions existent afin de permettre à de jeunes patients de maintenir leurs chances de concevoir des enfants un jour. «On va considérer, chez de jeunes femmes, des transpositions ovariennes», explique-t-elle. L’ovaire est retiré du champ visé par la radiothérapie et est implanté ailleurs, ce qui permet de «maintenir l’enjeu hormonal» de la patiente et d’éviter une ménopause précoce. Les hommes sont, quant à eux, référés à une banque de sperme afin d’en entreposer avant le début des traitements. Malgré ces méthodes, «ces [patients] risquent d’avoir des troubles de fertilité quand même beaucoup plus élevés que la moyenne des gens», déplore-t-elle.Ces jeunes patients ont besoin de support émotionnel et mental unique, car ils font face à des défis uniques. Ils ont besoin d’outils afin de jouir de la meilleure qualité de vie possible pendant et après la maladie, rappelle M. Stein. Certains établissements hospitaliers offrent des services de soutien spécialisé pour de jeunes adultes ayant reçu un diagnostic de CCRP, comme le Sunnybrook Health Sciences Center et le Princess Margaret Cancer Center, tous deux à Toronto. La Société canadienne du cancer offre également des conseils pour les professionnels dans son dernier rapport sur les communautés qui sont mal desservies en soins oncologiques. «La grosse question: est-ce que [ces enjeux] sont discutés par tout le monde?», demande la Dre Richard. «Nous, en centre spécialisé [de cancérologie], c’est sûr.» Cependant, elle espère que la formation continue soit en mesure d’outiller les chirurgiens, radiologues, psychologues et autres professionnels soignants à aborder ces conversations avec les patients afin d’optimiser leur qualité de vie après la maladie.

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