C.-B.: la rémunération longitudinale a-t-elle eu un impact positif sur les omnis?

Le déluge de paperasse qui épuise les médecins ne cesse de s’intensifier. L’ancien président de Doctors of British Columbia, le Dr Joshua Greggain, estime qu’elle représente de 20 à 25% du travail des médecins de famille. En Colombie-Britannique, on constate toutefois que les omnipraticiens surchargés acceptent beaucoup mieux leurs longues heures de travail consacrées aux soins indirects lorsque ce temps est apprécié à sa juste valeur. Lancé le 1er février 2023, le nouveau modèle de rémunération longitudinale des médecins de famille (ou LFP pour Longitudinal Family Physician) de la Colombie-Britannique rétribue les praticiens admissibles à raison de 32,50$ par tranche de 15 minutes pour les soins directs et indirects prodigués aux patients, avec un plafond de 120 heures par deux semaines.«C’est un changement complet dans notre façon de faire les choses», considère la Dre Maryam Zeineddin, médecin de famille de West Vancouver, l’un des cinq jeunes omnipraticiens ayant participé à la négociation du LFP, avec la Dre Ramneek Dosanjh, alors présidente de Doctors of BC, le Dr Greggain, le Dr Adam Thompson, président du conseil d’administration de Doctors of BC, et la Dre Renee Fernandez, ancienne présidente de BC Family Doctors.«Aujourd’hui, les médecins sont payés pour le travail administratif qu’ils effectuent après avoir vu leurs patients. C’est une grande victoire, car ils ne faisaient de la paperasserie que le soir après être rentrés chez eux», signale la Dre Zeineddin. Modèle de rémunération mixte Doctors of BC parle d’un modèle de rémunération mixte qui rétribue les omnipraticiens offrant des soins longitudinaux en prenant en compte : le temps de travail du médecin, les interactions avec ses patients,la taille et la complexité de la patientèle du médecin. Des honoraires de 25 dollars sont également facturés par patient et par interaction directe. La LFP est facultative. Certains médecins de famille travaillent sous statut d’employé, d’autres ont choisi de rester rémunérés à l’acte. Mais pour plus de 80% des omnipraticiens éligibles qui ont opté pour cette formule, le LFP a permis d’augmenter leurs revenus à un moment critique où l’on rapportait dans toute la province que des omnipraticiens quittaient leur cabinet. De nombreuses cliniques offrant du sans rendez-vous avaient déjà fermé leurs portes.«J’étais au bord du gouffre, à cause de l’épuisement professionnel, du fait que je n’avais pas d’autre collègue, et parce que la pression financière faisait que je n’arrivais pas à joindre les deux bouts», se souvient la Dre Tahmeena Ali, médecin de famille à White Rock, au sud de Vancouver. «Il y avait beaucoup, beaucoup, beaucoup de médecins qui, comme moi, étaient au bord du précipice», insiste-t-elle. «Je pense que nous aurions vraiment assisté à l’effondrement des soins primaires sans le LFP. On était au point de rupture.»La Dre Ali indique que le nouveau modèle de rémunération a permis à son cabinet d’être à nouveau viable financièrement. Elle est aussi enchantée qu’il ait complètement transformé l’environnement de recrutement en Colombie-Britannique, pour le meilleur. La médecin est ainsi sur le point d’accueillir deux nouveaux médecins de famille dans son cabinet, l’un en provenance des États-Unis, l’autre du Royaume-Uni. «Nous espérons que chacun d’entre eux ajoutera 900 ou 1000 patients de plus, ce qui nous permettra d’atteindre un peu moins de 3000 patients» au sein du cabinet, rapporte-t-elle.L’augmentation des revenus des médecins de famille participant au programme LFP est substantielle. «Il est difficile de donner un chiffre exact, mais nous avons constaté que les médecins gagnent environ 30% de plus», a calculé le Dr Greggain. «Au cours des 20 dernières années, la médecine familiale en Colombie-Britannique a été sous-payée. Même si cela peut sembler beaucoup, ces 30% additionnels nous ont ramené au niveau de rémunération de nombreuses autres provinces.» Lire aussi: Les facteurs de succès d'une première ligne efficace 700 médecins ont adhéré Au cours de sa brève existence, le LFP a attiré 700 médecins de famille supplémentaires vers les soins longitudinaux, selon le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique. Qui sont ces médecins? Certains étaient peut-être des hospitalistes qui ont opté pour les soins longitudinaux, car il y aurait actuellement une pénurie de cliniciens dans certains hôpitaux de la province. Mais pour ce qui est de savoir s’il s’agit de nouveaux diplômés en médecine familiale ou de médecins formés à l’étranger, les données ne les enregistrent qu’en tant que nouveaux inscrits en médecine familiale et n’indiquent pas d’autres sources d’information. Pour l’instant, avec environ un million de Britanno-Colombiens sans médecin attitré, ces 700 omnipraticiens en plus sont assez significatifs.Comment en est-on arrivé à payer les médecins pour les soins indirects qu’ils fournissaient auparavant gratuitement? La Colombie-Britannique était à bout de souffle, les médecins de famille comme la Dre Ali ayant du mal à payer leurs frais généraux et le nombre de patients orphelins était devenu trop important pour être ignoré. Il s’agissait là de conditions préalables à la mise en place du programme LFP, mais pas de l’élément déclencheur, de nombreuses provinces connaissant une crise identique.Ce qui a mis le gouvernement provincial dans une situation suffisamment inconfortable pour qu’il aille de l’avant avec une nouvelle solution a beaucoup à voir avec un mouvement citoyen qui exerçait alors une pression énorme, le BC Health Care Matters (BCHCM).Toujours actif et vigilant à ce jour, BCHCM a plaidé sur les médias sociaux et sur la pelouse du parlement provincial en faveur d’une meilleure rémunération et de meilleures conditions de travail pour les médecins de famille. L’un de ses principaux objectifs était de créer un plan d’action d’urgence pour recruter et retenir les omnipraticiens afin qu’ils prennent en charge les patients. Le mouvement a présenté des histoires vraies illustrant les conséquences de l’inaction du gouvernement qui ont fait la manchette des journaux, des radios communautaires ainsi qu’à la télévision, non pas à quelques reprises seulement, mais sans relâche.Le moment était bien choisi. Alors que des familles manifestaient en portant des pancartes, de même que des travailleurs de la santé, Doctors of BC était en pleine renégociation de son accord-cadre avec la province. «Le calendrier prévoyait une manifestation (du BCHCM) en mai 2022», se souvient le Dr Greggain. «Ce jour-là, John Horgan (premier ministre de la Colombie-Britannique) et Adrian Dix (ministre de la Santé) ont rencontré les docteurs Thompson et Dosanjh. Ils se sont engagés dans cette avenue. En juin de la même année, nous avons commencé à nous rencontrer collectivement.» Après cela, il y a eu un été de travail considérable avant que le programme LFP ne soit annoncé le 31 octobre 2022.»Le Dr Greggain reconnaît que le ministère de la Santé de la Colombie-Britannique a pris conscience de la nécessité d’un avenir différent. «Trop souvent par le passé, on a entendu dire: “Je vais résoudre le problème et vous donner la solution”. Le ministère a fait preuve d’humilité, et je citerai en particulier Stephen Brown, le vice-ministre qui nous a dit: “Résolvons ce problème ensemble”». Avec du recul, le Dr Greggain estime que l’ensemble du processus a été positif: «Il n’y a pas eu de confrontation ni de lutte. Nous avons constaté que nous avions un objectif commun. C’est la raison pour laquelle ce projet a été couronné de succès.»Lire aussi: Les facettes méconnues de l'écart salarial entre les hommes et les femmes médecinsLa genèse de l’idéeLa Dre Renee Fernandez est généralement considérée comme la première architecte du programme, mais une grande partie du travail initial a été réalisée par cinq femmes médecins de la génération X lors d’une séance de remue-méninges au cours d’une fin de semaine de printemps, en 2022, au cours de laquelle elles ont esquissé la première itération du LFP. Outre la Dre Fernandez, ce petit groupe comprenait les docteures Ali, Zeineddin, Dosanjh et Goldis Mitra (une médecin de famille du Lower Mainland, au sud de la province).«Toute innovation commence par une idée», souligne la Dre Fernandez dans un courriel adressé au Medical Post (la publication sœur de Profession Santé ailleurs au Canada). «Nous avons fusionné trois modèles de rémunération différents (en nous inspirant principalement de deux organisations à but non lucratif aux États-Unis) et nous nous sommes appuyés sur des données probantes provenant d’autres systèmes de santé. Nous avons combiné nos connaissances en tant que leaders dans le domaine de la santé et nos expériences personnelles en tant que médecins de famille.»«En seulement huit mois, le projet LFP est passé d’un tableau blanc dans un bureau ensoleillé à la réalité dans des milliers de cliniques de médecins de famille de la province. Cela nous a montré que nous pouvons être agiles lorsque nous sommes confrontés à une crise. Nous pouvons faire preuve d’audace lorsque les médecins et le gouvernement travaillent ensemble pour atteindre un objectif commun. Cela nous a montré que nous pouvions faire aujourd’hui une différence pour les patients et les médecins, tout en créant un avenir meilleur», ajoute la Dre Fernandez.Valorisation de la médecine familialeLe Dr Greggain constate que l’impact du LFP se fait déjà sentir à la faculté de Médecine de l’Université de la Colombie-Britannique.«Il est difficile d’assimiler la rétribution (monétaire) à la joie, mais le modèle de rémunération honore fondamentalement le travail que vous effectuez avec les patients (et vous rémunère pour cela)», observe l’ancien président de Doctors of BC «Je pense donc que les gens ont d’abord ressenti du soulagement, mais aussi de l’intérêt et de la gratitude pour ce modèle de paiement qui les a incités à rester en pratique. En fin de compte, lorsque les médecins de famille restent en pratique et qu’ils partagent des ondes positives ou des façons de faire inspirantes, cela encourage les autres. Que ce soit les étudiants en médecine ou les résidents, ils se disent qu’il s’agit non seulement d’une profession viable, mais aussi qu’ils veulent exercer, parce que ces médecins (qui adhèrent au LFP) sont désormais vraiment très satisfaits.»Cela change ce que nous avons rapporté ces dernières années, en Saskatchewan par exemple, où Nima Hamidi Toussi, un étudiant en troisième année de médecine originaire de Colombie-Britannique observait l’année dernière que, dans sa faculté de l’Université de Saskatchewan, ses camarades manifestaient un préjugé défavorable à l’égard de la médecine familiale, pratiquement dès le premier jour. (Il a effectué un sondage informel dans la cantine).Nima Hamidi Toussi affirme aujourd’hui que l’impact positif du LFP est largement ressenti par sa génération. «Je pense que la dynamique autour de la médecine familiale, du moins en Colombie-Britannique, a évolué de façon significative en raison des changements apportés par le modèle du LFP », écrit-il dans un courriel transmis au Medical Post. «Par exemple, j’ai suivi une brillante médecin de famille en Colombie-Britannique pendant une partie des deux derniers étés et, comme elle le disait elle-même, l’introduction du LFP a complètement changé son état d’esprit et ses futurs plans de carrière. Parmi les étudiants de mon école, certains expriment ouvertement leur intérêt pour une résidence en médecine familiale en Colombie-Britannique (en raison du nouveau modèle de rémunération). Pour ce qui est de la promotion de la médecine familiale en tant que carrière, je ne peux pas dire si cela a beaucoup changé ici, mais d’après mon expérience au contact de quelques médecins de famille de la Colombie-Britannique, il y a certainement plus une adhésion — plutôt qu’une opposition.»D’autres jeunes médecins ont déjà fait part de leurs réactions. Plus tôt cette année, un groupe de cinq résidents en médecine familiale de l’UBC (les Drs Kristie Chau, Spencer Cheyne, Philip Green, Matthew Lum et Kristen Wiemken) ont réalisé un sondage auprès des résidents en médecine familiale sur l’impact du LFP. Leur enquête a révélé que:65% des résidents éligibles ont répondu qu’ils adhéreraient au modèle du LFP lorsqu’ils exerceraient, contre 4% qui prévoient d’adhérer au modèle du paiement à l’acte et 12% qui prévoient d’exercer dans le cadre d’un accord de services alternatifs.44% des résidents ont répondu que le modèle du LFP les avait beaucoup incités à augmenter le pourcentage d’heures de clinique hebdomadaires qu’ils consacrent aux soins primaires longitudinaux.«Lorsque je discute avec des résidents qui ont obtenu leur diplôme en juin dernier, ils ont donc commencé à exercer la médecine familiale en juillet 2022 et terminé cette année. Ils ont pu voir à quoi ressemblait la médecine familiale avant le LFP puis avec», explique le Dr Greggain. «Ils m’ont dit, en termes très clairs, que leurs superviseurs étaient plus heureux et plus engagés, ce qui les a incités à choisir la médecine familiale longitudinale.»Lire aussi: Salarier les médecins et réduire leur rémunération pour un réseau plus en santé?Dans les autres provincesPartout au Canada, les provinces — qui se disputent les nouveaux omnipraticiens diplômés — ont commencé à faire des pieds et des mains pour intégrer les soins indirects dans leurs propres modèles de paiement.La Nouvelle-Écosse a été la première à suivre l’exemple de la Colombie-Britannique, en modifiant il y a un an son modèle de rémunération à l’acte pour y inclure un tarif horaire fixe pour le temps passé à s’occuper des patients, directement et indirectement. De même, la province a introduit une rémunération trimestrielle calculée en fonction de la taille de la patientèle de chaque médecin, de la complexité des patients et de la démographie de la communauté.Les médecins de famille néo-écossais, comme leurs homologues britanno-colombiens, gagnent-ils plus avec leur nouveau modèle de rémunération? Selon la présidente sortante de Doctors Nova Scotia, la Dre Heather Johnson, il y a eu une augmentation de 10 à 15% des revenus. «Pour certaines personnes, selon leur mode de travail, l’augmentation pourrait être beaucoup plus importante.»

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