Au revoir et merci, @drgbarrette

Il y a quelques semaines, le Dr Gaétan Barrette annonçait son intention de se retirer de la vie politique au moment de l’élection provinciale de 2022. Quel aura été le plus grand héritage du sulfureux ministre de la Santé du gouvernement de Philippe Couillard? Certains diront qu’il a eu le mérite de servir l’électrochoc nécessaire au mammouth qu’est devenu le ministère de la Santé et des Services sociaux au Québec. Comme ancien syndicaliste, il aura certainement impressionné aussi par sa capacité à se recentrer sur son nouveau client: l’usager du réseau de santé. Il n’aura eu aucune gêne lorsque vint le temps d’en découdre avec ses anciens collègues des fédérations médicales. De sa réforme, on retiendra l’abolition d’un palier de gestion complet, celui des Agences régionales, ainsi que l’intégration de tous les services de santé et services sociaux, incluant la protection de la jeunesse. Une décision intéressante, minée par la réduction trop draconienne du nombre de cadres dans le réseau. La mise en place d’une structure où tout part d’en haut, ainsi que le fait de réduire au même moment le nombre de décideurs en poste, a eu l’effet pervers d’augmenter considérablement la distance entre les dirigeants et le terrain. Quel gestionnaire n’a pas eu à attendre durant des semaines voire des mois une simple signature d’un PDG pour une décision nécessaire de l’avis de tous sur le terrain? Exit aussi les initiatives de la base… Si ton idée n’est pas partie d’en haut, elle risque fort de tomber dans l’oubli, aussi logique soit-elle. D’un point de vue personnel, je ne pourrai jamais oublier le Dr Gaétan Barrette et son principal legs dans ma vie professionnelle, soit l’utilisation régulière de Twitter. Eh oui! C’est d’abord et surtout ce que je retiendrai de lui! Honnêtement, je ne peux que l’en remercier! Laissez-moi vous raconter cette savoureuse histoire qui a, sans exagérer, transformé ma façon d’interagir professionnellement avec la sphère publique. Novembre 2014: Gaétan Barrette présente son fameux projet de loi 20. Comme médecin de famille impliqué autant en clinique qu’en gestion, c’est un sérieux coup de semonce. J’ai toujours été en accord avec les objectifs poursuivis par ce genre de projet: celui d’augmenter l’accessibilité à la première ligne et plus particulièrement au médecin de famille. Cependant, la «méthode» Barrette m’a profondément bousculé puisqu’elle s’appuyait selon moi sur des prémisses erronées (la paresse des médecins de famille) et avait un ton et un fond basés sur le mépris et la division; bref, à l’antipode de mon style de leadership habituel. J’avais déjà mon compte Twitter en 2014 (@matpel22) mais je l’utilisais très peu. Or, un soir, je tombe sur un échange acerbe entre @drgbarrette et @LussiD (Dr David Lussier). Le ministre de la Santé répond publiquement de façon irrespectueuse à Dr Lussier, un gériatre que je ne connaissais absolument pas et qui remettait en question de façon logique, habile et polie certains aspects du projet de loi. Il n’en fallait pas plus pour m’enflammer. Ma passion pour Twitter, née de cet échange, ne s’est jamais éteinte par la suite. @LussiD est devenu cette journée là pour moi une espèce de mentor Twitter et il l’est encore aujourd’hui pour des dizaines de médecins maintenant présents sur Twitter. En 2014, les médecins étaient en général peu présents sur cette plateforme. On y trouvait bien sûr le sage et pertinent @Vadeboncoeur_Al (Dr Alain Vadeboncoeur). Aussi, certains médecins y naviguaient sous pseudonymes comme Urgentoblogue (@EmergencyBlog) et Hal Dol MD (@haldol). Mais je crois que je peux dire sans me tromper que l’automne 2014 fut un point tournant sur la Twittosphère, marquant l’arrivée de nombreux médecins québécois (les #MedTwitterQc) souhaitant faire valoir leur point de vue face à un ministre et de nombreux journalistes qui utilisaient des raccourcis inquiétants et frustrants par rapport à la profession médicale. Je me demande si @drgbarrette lui-même réalise à quel point il aura été un catalyseur dans l’arrivée des #MedTwitterQc. Je ne pourrai jamais lui demander. Il m’a malheureusement «bloqué» de son compte. Cette fonction Twitter, le «blocage», permet à un utilisateur Twitter de faire en sorte de ne plus voir et de ne plus pouvoir être vu par un autre utilisateur. En général, on la réserve aux gens irrespectueux ou aux faux comptes. J’ai la sincère conviction de ne jamais avoir manqué de respect au @drgbarrette. J’ai certainement eu avec lui des échanges serrés et remis en question ses positions, mais du manque de respect, ça, non. J’ai toujours trouvé étranges et inquiétants ces politiciens et ces journalistes qui «bloquent» des abonnés sur la base de leurs opinions plutôt que sur la base de menaces ou d’insultes. @drgbarrette n’est pas le seul à perdre un peu trop vite patience face à ses électeurs. La fonction de blocage, lorsqu’elle est utilisée de façon abusive, peut conduire à une vision en tunnel, masquant les opinions divergentes des nôtres. En politique et en journalisme, la diversité des opinions est une richesse dont on ne saurait se priver. Blocage, hashtag, followers… Tout ça était du charabia pour moi en 2014 avant que @drgbarrette n’insuffle une seconde vie à mon vieux compte Twitter. Mais pourquoi investir de l’énergie dans un autre média social? La présence de médecins, de pharmaciens et autres professionnels de la santé sur Twitter en vaut-elle la peine? D’abord, réglons la fameuse question du professionnalisme. Je pense qu’il est devenu assez clair pour tous que notre code de déontologie nous suit, même sur les médias sociaux. Surtout si comme moi et plusieurs #MedTwitterQc vous vous affichez clairement sous votre nom et que vous échangez activement sur la profession et la science… Certains médecins et pharmaciens l’ont oublié durant la pandémie COVID-19 et ont dû être ramenés à l’ordre. Des comptes ont même disparu de la twittosphère. On peut de façon très personnelle être en désaccord avec certaines décisions gouvernementales en temps de pandémie, mais le terrain de la science et de la politique épidémiologique est glissant. Comme l’opinion publique d’un médecin peut grandement influencer ses concitoyens, on doit s’assurer que cette opinion est conforme aux données de la science, qu’elle est posée, prudente et diligente. La profession n’en attend pas moins de nous. Je vais être honnête: oui, on doit être prudent si on décide de devenir un #MedTwitterQc très actif. Mieux vaut se relire et réfléchir avant de gazouiller. Au début, j’ai souvent écouté le chant des oiseaux pour me faire la main. D’ailleurs, on peut s’inscrire sur Twitter et demeurer silencieux! Aucun risque alors! Et quel spectacle… On doit aussi avoir les reins solides si on décide de croiser le fer avec les fameux trolls et bots. Parlez-en à @boisclairameli1 (Dre Amélie Boisclair), @JosephDahine (Dr Joseph Dahine), @LussiD, @Vadeboncoeur_Al et de nombreux autres médecins qui, en prenant publiquement position fermement en faveur de la vaccination et des mesures sanitaires, ont dû faire face parfois à des hordes de cyber soldats défendant le fameux «j’ai l’douâ» (j’ai le droit…). Contrebalancer la désinformation En même temps, ça nous fait réaliser que OUI, il est important que les médecins, pharmaciens et autres professionnels soient présents sur Twitter, pour contrebalancer la désinformation. Évidemment, il existe sur Twitter comme sur les autres plateformes des façons de signaler les propos haineux. Mais rien ne remplace les conseils avisés de collègues en messagerie privée. Il existe une grande solidarité parmi la communauté des professionnels de la santé québécois présents sur Twitter. Twitter n’est pas toujours si lourd. Mais c’est effectivement une sérieuse plateforme. Plus que TikTok ou Instagram, disons. C’est la plateforme des journalistes et politiciens en quête de renseignements et d’information terrain. Des #MedTwitterQc comme @SimonPiLandry (Dr Simon-Pierre Landry), @ieVincentDemers (Dr Vincent Demers) et @SebMarinMD (Dr Sébastien Marin) l’ont bien compris. Ils corrigent régulièrement la désinformation et le doctor bashing qui circule, établissant ainsi de sérieux contacts avec des journalistes qui peuvent alors livrer un travail d’information de meilleure qualité. Ils proposent aussi régulièrement d’intéressantes solutions aux problèmes d’organisation du réseau de la santé, solutions pouvant être reprises par des politiciens. Éducation scientifique et réseautage Aussi, pour des médecins comme @carignan_alex (Dr Alex Carignan), @CaroQuach (Dre Caroline Quach) et le nouveau phénomène @Wal_Trudeau (Dr Mathieu Nadeau-Vallée), Twitter est un excellent médium d’éducation scientifique pour le public. On ne fait pas que donner sur Twitter. On reçoit aussi. Je suis abonné à des comptes comme @INESSS_Qc, @bmj_latest et @NEJM qui me permettent d’être avisé rapidement d’importantes nouvelles scientifiques médicales. Si j’ai une question sur la meilleure façon de collaborer avec mes collègues pharmaciens, je peux bien sûr la poser à ma conjointe… Mais je suis content de pouvoir réseauter avec @MagnanVmagnan (Véronique Magnan) ou @tom_pharma, deux pharmaciens bien actifs sur la twittosphère. Leurs opinions sont toujours équilibrées et posées. N’hésitez pas à faire le saut sur Twitter! Il existe une foule de guides de base sur le web. Et surtout, dès que vous vous serez abonnés à quelques collègues actifs, vous ferez partie d’une communauté solidaire qui peut vous épauler. Nos professions gagnent à être présentes sur Twitter. Après sept ans, j’en suis convaincu. Merci @drgbarrette! @matpel22

Au revoir et merci, @drgbarrette

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Derrière ce blogue:

Mathieu Pelletier